Il s’appelait Getzel Shlomo. C’était un pauvre qui mendiait de porte en porte.
Si quelqu’un avait pitié de lui et lui donnait quelque chose, il disait, en guise de remerciement, « Chéma Israël ». D’un autre côté, s’il ne recevait rien de plus qu’un « Une autre fois » gêné, ou autre chose du genre, il disait aussi « Chéma Israël ». Ce sont les deux seuls mots en hébreu qu’on l’ait jamais entendu prononcer. Naturellement, les gens le considéraient comme un simplet. Ils étaient trop occupés par leurs propres affaires et leurs problèmes pour se préoccuper de Getzel Shlomo ou de son jeune fils, ‘Haïm Chmouel.
‘Haïm Chmouel grandit avec peu d’attention de la part de ses parents. Lorsqu’il atteignit l’âge de la bar-mitsva, un maître d’école du bourg le prit en pitié et lui apprit à lire dans le sidour, à mettre les téfiline et à réciter les prières principales.
Quand le pauvre garçon négligé eut quatorze ans, il quitta la ville pour chercher fortune ailleurs. Il errait dans les villes et les villages, mais il n’était pas un schnorrer : il ne demandait pas l’aumône.
Il était en revanche prêt à faire tout travail qui se présentait.
Parfois, il se louait comme berger. D’autres fois, il travaillait dans les champs ou les jardins. La plupart du temps, son travail était temporaire, mais il parvenait quand même à gagner sa vie. C’est ainsi que dix ans passèrent et ce garçon solitaire devint un beau jeune homme.
Nombreuses étaient les tentations qui parsemaient le chemin de ‘Haïm Chmouel, mais alors qu’il ne se sentait responsable devant personne, une noblesse intérieure le maintenait honnête et droit. Il se maria finalement à l’approche de ses trente ans. Sa femme était la fille d’un humble villageois juif.
Pendant ce temps, son père, Getzel Shlomo, était resté dans sa ville natale de Harki, en Russie, où il avait poursuivi sa routine, mendiant de porte en porte et ne prononçant toujours que les deux mots « Chéma Israël ». Lorsque Getzel Shlomo sentit sa fin approcher, il fit appeler le préposé de la société funéraire locale (‘hevra kadicha) et lui dit : « Je voudrais informer le responsable de la ‘hevra kadicha que ma dernière demande est que je sois enterré dans la partie la plus pauvre du cimetière. Je demande seulement d’être enterré au début d’une nouvelle rangée. » Il donna ensuite au préposé un panier et demanda que celui-ci soit enterré avec lui.
« Je suis désolé, dit-il, mais je n’ai pas d’argent pour payer mon enterrement, c’est pourquoi je me suis efforcé de causer le moins de tracas possible à la société funéraire. Là, dans un coin de la pièce, vous trouverez un tonneau d’eau, de sorte que vous n’auriez pas à vous donner la peine d’en apporter pour mon “ablution de purification”. »
Le préposé regarda et, effectivement, le tonneau se tenait à l’endroit indiqué par le mourant. Des linceuls étaient également prêts.
Le préposé se précipita chez ses amis, les autres fossoyeurs, plein de joie dans ce qu’il considérait comme une énorme blague. « Qu’en pensez-vous, mes amis ? Figurez-vous que Getzel Shlomo a demandé qu’on lui donne la pire partie du cimetière comme lieu de sépulture ! Comme s’il avait le choix en la matière. Mais, voyez-vous, il veut être le premier d’une toute nouvelle rangée ! Tout ce que je peux dire, c’est que ce devra être une rangée de fous ! »
Alors qu’ils éclataient tous de rire, le premier fossoyeur montra à ses amis le panier que Getzel Shlomo avait demandé qu’on enterre avec lui. Ils le regardèrent tous avec curiosité, se demandant ce qu’il contenait. L’un d’eux le secoua et dit : « Il n’est pas vide, voyons voir ce qu’il contient ! » Ils l’ouvrirent et trouvèrent des manuscrits. « Peut-être est-ce une œuvre littéraire écrite par Getzel Shlomo », dit l’un d’eux en riant. « Nous devrions retourner auprès de lui pour nous assurer qu’il n’oublie pas de dire Chéma Israël après tout ! », et il éclata de rire de son propre « mot d’esprit ».
Quand ils revinrent dans la chambre de Getzel Sholomo, ils trouvèrent le mourant en train de réciter le « Vidouï » les yeux fermés. Cet homme que personne n’avait considéré capable de dire plus que « Chéma Israël ! ». Comment était-ce possible ? Quelques instants plus tard, Getzel Shlomo rendit son dernier souffle.
Le Rav de Harki, Rabbi Na’hman Yits’hak, s’était toujours fait un devoir d’assister à tous les enterrements.
Et quand il apprit le décès du pauvre Getzel Shlomo, il demanda à être informé de l’heure des funérailles.
Quand il arriva à l’enterrement, le préposé, qui tenait le panier contenant les manuscrits ou les documents, ou quoi que ce fut, s’approcha de Rabbi Na’hman Yits’hak et lui dit que Getzel Shlomo avait demandé qu’il soit enterré avec lui. Le préposé voulait que le Rav confirme qu’il était bien correct d’accomplir ce dernier vœu du mourant.
Rabbi Na’hman Yits’hak prit le panier avec les papiers et les examina. À son grand étonnement, il découvrit qu’il s’agissait de comptes que Getzel Shlomo avait conservés pendant des années !
Le rabbin les consulta tous et découvrit qu’ils représentaient les sommes d’argent que le « mendiant » Getzel Shlomo avait collectées jour après jour. Getzel Shlomo avait tenu un compte précis de toutes ces sommes qui montrait qu’elles avaient été distribuées à des personnes nécessiteuses, qui étaient trop fières pour tendre la main pour demander de l’aide.
Getzel Shlomo les avait ainsi sauvées de cette « honte » en mendiant à leur place afin de pouvoir subvenir à leurs besoins !
Maintenant qu’il était clair que le défunt avait été l’un des tsadikim (hommes justes) cachés toute sa vie, le Rav veilla à ce qu’il soit inhumé avec tout l’honneur et la révérence qui lui étaient dus. Le Rav s’engagea à réciter lui-même le kaddish jusqu’à ce que le fils du tsadik puisse être retrouvé et informé de la mort de son père.
Ce n’est que deux ans plus tard que ‘Haïm Chmouel apprit la mort de son père et quel grand tsadik il avait été. C’est à ce moment qu’il revint avec sa famille s’installer à Harki. Il loua un logement à la périphérie de la ville, où le loyer était moins cher. Car bien qu’il travaillât dur pour gagner sa vie en voyageant dans les villages environnants, il parvenait à peine à joindre les deux bouts. De fait, il était très pauvre. Pour ajouter à son malheur, il avait des enfants malades. Pourtant, jamais un mot de plainte ne passa sur les lèvres de ce saint homme. Il ne mit jamais en doute les voies de D.ieu.
‘Haïm Chmouel aurait pu grandement améliorer sa situation en tirant parti du fait qu’il était le fils du tsadik Getzel Shlomo, dont la mémoire était désormais vénérée par les Juifs de Harki ; ils se rendaient sur sa tombe lors des occasions spéciales pour prier Hachem auprès de sa sainte sépulture. Mais ‘Haïm Chmouel n’aurait jamais songé à utiliser la mémoire de son saint père au profit de sa famille. Il vivait discrètement et s’absentait tellement à la recherche d’un gagne-pain que personne ne pensait à lui.
Une personne, cependant, manifesta un intérêt particulier pour ‘Haïm Chmouel. Ce n’était autre que le saint Baal Chem Tov. Il avait plusieurs adeptes secrets à Harki et, peu après le retour de ‘Haïm Chmouel, le Baal Chem Tov leur ordonna de le prendre sous leur aile.
Le Baal Chem Tov leur dit : « ’Haïm Chmouel est un homme d’une âme élevée, et beaucoup de bonnes choses ont été décrétées pour lui au Ciel, y compris une richesse considérable. Il deviendra un homme riche, au sens matériel comme au sens spirituel. »
Sous la protection attentionnée des disciples secrets du Baal Chem Tov à Harki, ‘Haïm Chmouel se jeta corps et âme dans l’étude de la Torah et réalisa des progrès considérables. Matériellement, il connut un tel succès qu’il devint rapidement très riche. Il apporta tout son soutien aux pauvres et aux nécessiteux et joua un rôle important dans la vie juive de sa ville.
‘Haïm Chmouel était un membre actif du groupe secret des ‘hassidim à Harki qui accomplissaient leurs bonnes œuvres en secret, car le moment n’était pas encore venu pour le Baal Chem Tov et ses partisans de se révéler.
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