La Paracha Devarim est toujours lue le Chabbat qui précède le 9 Av, date à laquelle les deux Temples furent détruits. Ces tragédies sont reflétées dans le choix des Haftarot pour les semaines autour de cette date : celles qui précèdent le 9 Av sont des prophéties d’admonestation pour les péchés qui furent la cause spirituelle de la destruction ; celles qui suivent le 9 Av apportent des messages de réconfort et de consolation. La Haftara de Devarim, la célèbre « vision » d’Isaïe, donne son nom au jour : Chabbat ‘Hazone, le « Chabbat de la Vision ». Traditionnellement, elle est lue comme une mise en accusation sévère d’un peuple rebelle. Mais, fidèle à la tradition ‘hassidique qui voit une bénédiction divine même dans une malédiction apparente, Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev, l’un des premiers maîtres ‘hassidiques, y voit une « vision » éloignée du Troisième Temple de l’Ère messianique. Dans ce discours, le Rabbi définit le rapport entre cette pensée et le contenu de la Paracha Devarim qui est l’ouverture de la « Répétition de la Loi » par Moïse aux Israélites alors qu’ils se tiennent sur le seuil de leur Terre Promise.

1. Le Chabbat de la Vision

Une maxime de Rabbi Lévi Its’hak de Berditchev dit1 que Chabbat ‘Hazone (où nous lisons comme Haftara la célèbre vision — ‘Hazone — d’Isaïe) est un jour où nous est présentée une vision du futur Troisième Temple, même si nous ne le voyons qu’à grande distance.2

Cela nous permet de comprendre le rapport qui existe entre la « vision » de la Haftara et la Paracha Devarim, lesquelles sont toujours lues ensemble le Chabbat précédant le 9 Av. Car avec Devarim commence le « Michné Torah », la récapitulation de la Torah par Moïse. Et le livre entier de Devarim diffère des quatre autres du ‘Houmach en ce qu’il s’adressait à la génération qui était sur le point de pénétrer en Terre Sainte.3 Cette génération avait besoin de conseils et de mises en garde alors que les générations précédentes n’en avaient pas besoin. Car les Israélites qui avaient voyagé dans le désert possédaient une connaissance immédiate du Divin.4 Ils avaient vu D.ieu au Sinaï. Mais la génération suivante, touchée par ses responsabilités dans le monde physique, perdit cette immédiateté. Elle entendit D.ieu, mais ne Le vit point. Il lui était dit : « Et maintenant, Israël, écoute... »5

Et la différence entre voir et entendre est6 que celui qui a été témoin d’un événement est inébranlable dans son témoignage — il l’a vu, comme on dit, de ses propres yeux. Mais celui qui a entendu parler de ce même événement peut avoir des doutes au moment où il en témoigne. Entendre ne donne pas de certitude.

C’est la raison pour laquelle la génération qui était sur le point d’entrer en Israël, celle qui entendait D.ieu, mais ne L’avait point vu, avait besoin de se voir commander le sacrifice de soi, par exemple. Un tel commandement eût été superflu au peuple de la traversée du désert.

D’une certaine manière, la génération ultérieure manquait donc de cette immédiateté spirituelle qu’avait celle qui l’avait précédée. Elle devait néanmoins accéder à quelque chose que n’avait pas atteint la génération précédente, à qui il avait été dit : « Vous n’êtes point encore arrivés dans le lieu de repos et dans l’héritage que l’Éternel, votre D.ieu, vous a donnés. »7 Chilo et Jérusalem,8 seule la génération ultérieure y eut accès. Car c’est seulement par la descente dans les soucis matériels et la traduction de la volonté de D.ieu en action pratique que pouvait être atteint l’accomplissement « du repos et de l’héritage ».

En bref, Devarim nous parle du paradoxe qui veut que ce soit par l’intermédiaire de la descente que vient l’élévation : les plus grands accomplissements de l’esprit sont obtenus dans le domaine terrestre et non dans le domaine céleste.

C’est là aussi le message de la « vision » : même si cette Haftara est lue lors des « Neuf Jours » de deuil pour la perte des Temples, néanmoins, à travers l’exil qui en est résulté, viendra la véritable rédemption, dont nous avons une vision fugace (selon les termes de Rabbi Lévi Its'hak de Berditchev) au moment même de la perte.

2. Tristesse et réjouissance

Le sentiment d’affliction, celui d’être « dans l’étroitesse »,9 qui domine notre conscience au cours des Neuf Jours quand nous nous souvenons de la destruction des Temples, ce sentiment est mis en échec par le Chabbat, le jour où doit dominer la joie.10 En effet, le Chabbat précédant le 9 Av, il nous est demandé de nous réjouir plus encore que d’habitude, afin d’enlever à la mélancolie des jours qui l’entourent la possibilité de se glisser dans l’esprit du Chabbat.

Mais, en ce Chabbat, nous faisons plus qu’éliminer la tristesse, nous augmentons notre joie.

Car la Rédemption future sera spirituellement bien plus intense que toute autre l’ayant précédée. Si ce n’était que pour rétablir simplement le statu quo, l’exil eût été inutile. Chaque exil des Juifs a débouché sur de nouveaux niveaux de spiritualité, car, en étant dispersés, ils ont été capables de racheter et d’amener au service de D.ieu des milieux qui, autrement, n’auraient pas été touchés par la Torah. Et le « terminus » de ce voyage — la Vie Future — sera une rédemption sans exil ultérieur, un état de totale spiritualité qui n’a point besoin de nouvelles pérégrinations.

Ainsi, le Chabbat le plus étroitement lié à l’exil, le jour de la « Vision », étant un prélude à ce qui doit venir, voit la consommation de tout exil et sa transformation en une réjouissance que rien ne saura troubler. Le Choul’hane Aroukh nous dit11 qu’en ce jour il est permis de préparer même un banquet semblable à celui qu’organisait le roi Salomon, afin que l’anticipation du royaume futur nous donne la force de changer les chagrins de l’exil en joies de la rédemption.

(Source : Likoutei Si'hot, vol. 2, p. 357-359)