La Haftara que nous avons lue la semaine dernière et celle de cette semaine sont les deux premières Haftaras de « consolation », deux puissants textes issus des prophéties d’Isaïe qui présentent une vision d’espoir et de réconfort à Israël aux jours sombres de la perte du Temple. Toutefois, une source midrachique nous dit qu’il y a une différence entre elles. La première est l’appel de D.ieu aux prophètes afin qu’ils réconfortent le peuple. Mais Israël demande plus ; il demande la consolation, de D.ieu Lui-même. C’est ce que représente la seconde Haftara. Dans ce discours, le Rabbi rattache cette distinction à la différence entre la paracha de Vaét’hanane et celle de Eikev, particulièrement entre le premier et le second paragraphe du Chéma qu’elles contiennent respectivement. Le thème sous-jacent est la différence entre deux sortes de révélation, celle qui vient de l’extérieur et celle qui vient de l’intérieur d’une personne. La signification pour notre temps est claire : quelle forme doit assumer notre vie spirituelle quand la vision de D.ieu nous abandonne, quand la face de D.ieu est cachée, et que nous devons Le découvrir de l’intérieur.

1. Consolation : les prophètes de D.ieu

La Haftara de cette semaine, la seconde des « Sept Semaines de Consolation » pour la destruction des Temples, est le passage extrait d’Isaïe commençant avec : « Mais Sion dit : l’Éternel m’a abandonnée, et l’Éternel m’a oubliée. »1 Le Midrach2 nous dit que ceci est la continuation du thème de la Haftara précédente : « Consolez, consolez Mon peuple. »3 Dans ce premier message de réconfort, D.ieu donne instruction aux prophètes de consoler Israël. À cela la réponse d’Israël est : « L’Éternel m’a abandonné. » En d’autres termes, il cherche, non la voix des prophètes, mais une consolation qui vienne directement de D.ieu.

Chaque année ces Haftaras sont lues respectivement, avec les Parachas de Vaét’hanane et de Eikev. Il s’ensuit que si les Haftaras sont reliées par ce thème commun, il en est de même des Parachas. Vaét’hanane doit contenir quelque référence à la consolation des prophètes, et Eikev à la demande d’Israël d’un réconfort qui vienne de D.ieu Lui-même.

2. Le Chéma

Les deux Parachas diffèrent considérablement dans leur teneur, de sorte que ce contraste dans l’accentuation n’est pas immédiatement perceptible. Cependant, il y a un lien évident, à savoir que le premier paragraphe du Chéma se trouve dans Vaét’hanane, et le second dans Eikev. Ces deux passages sont clairement reliés l’un à l’autre ; ils ont beaucoup d’idées en commun, mais ils divergent aussi sur un certain nombre de points. Et c’est ici que nous trouverons un écho du contraste entre les deux Haftaras et les deux sortes de consolation.

3. Contrastes

Voici quelques-unes des différences entre le premier et le second paragraphe du Chéma :

1) Dans le premier, il nous est commandé (individuellement) d’« aimer l’Éternel, ton D.ieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir ». Mais dans le second, il nous est dit (collectivement) seulement la phrase « de tout votre cœur et de toute votre âme ». Le « pouvoir » est omis.

2) Dans le premier paragraphe, il nous est dit d’abord : « Et tu les inculqueras diligemment à tes enfants, et tu en parleras... » ; puis « et tu les attacheras comme un signe sur ta main... ». Mais dans le second, l’ordre est inversé. D’abord : « Vous les attacherez », et seulement après : « Vous les inculquerez à vos enfants ». Les commandements suivent « l’étude de la Torah » dans le premier paragraphe, mais ils la précèdent dans le second.

3) Le premier paragraphe contient seulement des commandements. Mais le second mentionne aussi les récompenses (« pour que vos jours soient multipliés », etc.) et les châtiments (« la colère de l’Éternel s’allumerait contre vous ») qui les accompagnent.

4. Différences sous-jacentes

Une différence sous-jacente entre les deux passages est, comme le souligne Rachi,4 que le premier (tout entier au singulier) s’adresse au Juif en tant qu’individu, alors que le second (qui emploie le pluriel) s’adresse à Israël en tant que collectivité.

Ceci s’applique au commandement général de l’amour de D.ieu. Au surplus, les commandements spécifiques des Téfiline et de la Mézouza, que nous trouvons dans les deux paragraphes, apportent quelque chose de nouveau quand ils sont formulés une seconde fois. Selon les termes de Rachi,5 la signification supplémentaire est que « même durant votre exil, distinguez-vous des autres au moyen de Mes commandements : revêtez les Téfiline, apposez les Mézouzot, afin qu’ils ne vous soient point nouveaux (peu familiers) quand vous reviendrez ».

Enfin, une nuance distingue les commandements prescrivant de répandre la Torah. « Et tu les inculqueras diligemment » – version du premier paragraphe – se réfère à l’obligation du maître envers ses élèves.6 « Et vous les inculquerez » – le texte du second paragraphe – se réfère, lui, aux rapports d’un père avec ses enfants.7

5. Au-dessus et au dedans

Toutes ces distinctions résultent d’un seul point de différence : Vaét’hanane concerne la révélation et la délivrance qui vient d’en Haut, de la grâce divine. Aussi commence-t-elle avec la supplication de Moïse pour que D.ieu lui accorde Sa grâce et le fasse entrer en Terre Promise. Car Moïse fut l’émissaire de l’Éternel, c’est par son intermédiaire que se produisirent les événements surnaturels de l’exode et ceux du désert. S’il avait été autorisé à conduire les Israélites par-delà le Jourdain, la conquête du pays eût été également un événement surnaturel, au lieu d’une lente succession de victoires militaires.

Tandis que la Paracha Eikev concerne la situation de l’homme, et la révélation qu’il attire sur lui-même par ses propres actes. Aussi commence-t-elle par un compte rendu de ce qu’il peut accomplir et de quelle manière : « Parce que vous écoutez ces ordonnances... » Même son nom, Eikev (« parce que ») a en hébreu pour connotation le « talon » – la partie du plus inférieur et du moins sensible des membres de l’homme, et un symbole adéquat de sa nature physique, qu’il peut transformer en écoutant la parole de D.ieu.

Ce contraste est aussi reflété dans le choix des verbes dans l’ouverture des deux Parachas. Dans Vaét’hanane, Moïse plaide sa cause : il veut « voir le bon pays ».8 Mais dans Eikev, D.ieu dit : « Parce que vous écouterez (littéralement “entendrez”) ces ordonnances ». « Voir » décrit la « vision » du surnaturel conférée par D.ieu dans les moments de grâce. « Entendre » se réfère à la perception plus éloignée, moins lucide du spirituel, à laquelle l’homme peut aspirer par ses propres efforts.

6. Voir et entendre

Voir quelque chose est plus clair et plus impératif qu’en entendre parler.9 Néanmoins, cette force et cette clarté sont dues plus à ce qu’on voit, qu’à la personne qui le voit. C’est l’objet qui est clairement défini ; et l’homme qui le voit peut encore n’en être pas affecté. Mais s’il a fait l’effort d’entendre parler de quelque chose, il a déjà éveillé ses sentiments, et s’est rendu sensible à ce qu’il est sur le point d’entendre, et qui peut, par conséquent, pénétrer l’intériorité de son âme.

Cela est vrai aussi de la différence entre Vaét’hanane et Eikev. Bien que la « vision » que Moïse cherchait à avoir de D.ieu (pour tout Israël), fût une révélation plus grande que le fait d’écouter (réalisable par les Israélites eux-mêmes), elle était cependant moins intérieure ; elle serait venue à l’homme de l’extérieur au lieu de monter du dedans de lui-même.

L’effet sur le monde eût été différent aussi. Par l’intervention divine, et par l’intermédiaire de Moïse, les nations opposées à Israël auraient vu leur hostilité disparaître complètement : « tous les habitants de Canaan tombent en défaillance ; la crainte et la frayeur les envahissent ».10 Mais à travers de la fidélité même d’Israël, une transformation plus grande et plus intérieure aura lieu : « Tu seras béni mikol haamim – par tous les peuples »,11 entendant par-là que même les adversaires d’Israël le béniront et chanteront ses louanges.

7. Le partiel et l’entier

Une autre différence entre les deux sens est la suivante : la vue est seulement une des facultés de l’homme. Mais l’ouïe touche à toutes – à son intellect : quand il s’efforce de comprendre le commandement de D.ieu ; à sa volonté : quand il choisit d’obéir ; à ses facultés pratiques : quand il traduit ses intentions en actes.

La loi juive reflète cette différence. Car si un homme perd la vue par la faute d’un autre, celui-ci doit compenser la perte précise de l’organe. Mais si un homme devient sourd par la faute d’un de ses semblables, ce dernier doit payer la contre-valeur de la vie entière de celui qu’il a lésé, comme s’il l’avait dépouillé de toutes ses qualités.12

8. Les deux révélations et le Chéma

Nous pouvons maintenant suivre jusqu’à leur origine les nombreuses différences entre les deux paragraphes du Chéma.

Le premier appartient à la Paracha Vaét’hanane, qui concerne la révélation venue d’en Haut, et symbolisée par la vue. Le second est emprunté à Eikev, qui a trait à la révélation venue du dedans, et qui correspond à l’ouïe.

Ainsi, le premier s’adresse à l’individu, l’un, car il parle de la révélation venue de D.ieu, l’Un, laquelle éveille l’unicité de l’homme. Cette vision d’infinité rend l’homme impatient « de tout ton pouvoir ». Mais le second paragraphe, se rattachant à l’homme dans sa situation humaine, parle au pluriel, à la collectivité, car il s’adresse à l’homme dans sa diversité et la pluralité de ses pouvoirs. L’amour de D.ieu que l’homme réalise par lui-même est stable et serein (« de tout votre cœur et de toute votre âme »). Il ne participe pas de ce violent désir de monter au-delà du monde que les mots « de tout ton pouvoir » signifient.

En conséquence, le premier paragraphe place l’étude de la Torah (la parole de D.ieu) avant le commandement des Téfiline et de la Mézouza (l’acte de l’homme). Mais le second, partant de l’homme et s’efforçant d’aller vers D.ieu, inverse l’ordre.

Le premier paragraphe omet aussi toute référence à la récompense et au châtiment. Car en présence d’une vision de D.ieu, l’homme n’a besoin d’aucune autre incitation pour obéir à Sa volonté. Mais quand il entreprend des efforts vers D.ieu en partant de sa propre situation, il a besoin, au début, d’une motivation (récompense et châtiment) qu’il puisse comprendre en termes purement humains.

9. La foi dans l’exil

En dépit de cette concession à la fragilité humaine, c’est ici, dans le second paragraphe, que nous trouvons une référence à l’observance des commandements « même pendant votre exil ».

Car le premier paragraphe représente un état d’esprit où l’exil pourrait balayer la volonté d’obéir, voire priver le commandement divin de toute sa force. Si le désir d’obéir à la volonté de D.ieu s’appuie sur la vision de Sa présence, alors, une fois cette vision cachée par les sombres nuées de l’exil, le désir se cachera lui aussi. Mais quand il vient du dedans de l’homme lui-même, il garde toute sa force même dans l’exil.

Et de même que cette révélation de l’intérieur persiste, qu’il y ait de la lumière ou de l’obscurité sur la face que D.ieu dirige vers le monde, ainsi sera-t-elle communiquée non seulement à ceux qui auront vu la lumière – les « disciples », mais à chacun – les « enfants ».

10. La véritable consolation

Enfin, nous pouvons voir le lien qui rattache les deux sortes de révélations représentées par Vaét’hanane et Eikev, et les deux genres de consolations concrétisées par leurs Haftaras.

La révélation qui vient de l’extérieur de l’homme manque de la dimension finale d’intériorité. C’est la raison pour laquelle la Haftara de Vaét’hanane : « Consolez, consolez Mon peuple », décrit une consolation indirecte, qui vient par l’intermédiaire des prophètes.

Mais la Haftara de Eikev se situe dans la tentative humaine de lutter vers D.ieu de l’intérieur. Ses mots d’ouverture présentent cette situation à son point le plus sombre : « Mais Sion dit : L’Éternel m’a abandonnée, et l’Éternel m’a oubliée ». Et c’est pourtant une mesure de son intériorité, quand les consolations d’un prophète ne sont pas suffisantes. Ainsi, le Midrach nous dit que D.ieu accède à la requête d’Israël. Il admet : « Vous qui êtes affligés, secoués par la tempête, vous n’êtes pas consolés. »13 Et Il proclame : « C’est Moi, Moi-même qui vous console » – avec la vraie, la finale et imminente consolation : l’avènement de l’ère messianique.

(Source : Likoutei Si'hot vol. 9 p. 79-85)