Dans cette paracha, il est question des villes refuges, dans lesquelles un homme qui avait tué accidentellement pouvait fuir, trouver la sécurité et expier. Le mois d’Eloul, au cours duquel nous lisons toujours cette paracha, est, en termes de temps, ce que les villes refuges étaient en termes d’espace. C’est un mois de refuge et de repentance, un temps protégé, dans lequel un homme peut se détourner des fautes du passé, et se consacrer à un avenir nouveau et sanctifié. Dans ce discours, le Rabbi analyse un aspect important de ces villes : on ne les trouvait qu’en Terre d’Israël, bien que les juges et les fonctionnaires qui appliquaient la loi de la Torah dussent être nommés partout où vivaient des Juifs. Pourquoi la loi s’étend-elle partout, alors que le refuge appartient seulement à la Terre Sainte ? Et quelles sont les implications de ce fait pour le mois d’Eloul, le lieu de notre refuge spirituel dans le calendrier de l’année juive ?
1. Les juges et le refuge
Le mois d’Eloul, selon une comparaison ‘hassidique bien connue, est semblable à une ville de refuge. Le Sifri1 interprète le verset d’ouverture de notre paracha, « Tu établiras des juges et des magistrats à toutes tes portes », comme s’appliquant à « tous les lieux où tu habites », même ceux hors d’Israël. L’interprétation se poursuit : l’on pourrait penser que les villes, refuges existaient peut-être aussi hors d’Israël. C’est pourquoi la Torah emploie le terme restrictif « celles-ci sont les villes refuges » pour indiquer qu’elles devaient être créées seulement à l’intérieur d’Israël.
Néanmoins, le Sifri2 dit que celui qui s’est rendu coupable d’homicide accidentel hors d’Israël et s’est enfui dans l’une des villes refuges serait assuré d’y être en sécurité. C’étaient les villes elles-mêmes – non les hommes qu’elles protégeaient – qui étaient limitées à Israël.
Le fait que le Sifri entreprend une comparaison entre « les juges et les magistrats » d’une part, et les cités-refuges d’autre part, indique qu’il existe un rapport entre eux. Le voici : les magistrats qui appliquaient la loi, et les fonctionnaires qui exécutaient les sentences ne visaient pas le châtiment, mais seulement l’amendement du coupable. Et le but des villes-refuges était d’imposer au fugitif un exil expiatoire3 – l’expiation étant entendue dans le sens d’un remords qui efface le crime, jusqu’à ce que le coupable recouvre sa proximité antérieure avec la volonté divine.4 Nous pourrions, dès lors, penser que si cette sauvegarde, ce lieu d’expiation, étaient accessibles dans l’environnement saint d’Israël, ils devenaient d’autant plus nécessaires hors de ses frontières, où il était plus facile de commettre une faute. Pourtant, seuls les magistrats et les fonctionnaires devaient exister hors des frontières d’Israël – seuls les agents de la loi, non ses refuges.
2. Passé et avenir
Il y a deux phases dans la téchouva, ou repentance : le remords causé par ce qui a été commis, et l’engagement d’agir différemment à l’avenir.5 Les deux sont inextricablement liés. Car la seule preuve de la sincérité du remords est l’engagement ultérieur d’avoir une conduite plus vertueuse dans la vie. Être plein de contrition pour le passé sans rien changer au comportement n’est qu’un geste creux.
C’est la raison pour laquelle le refuge ne se trouvait qu’en Terre d’Israël. Car un homme n’aurait pu expier tout en s’attachant à l’environnement qui l’a conduit au péché. Il eût pu éprouver du remords, mais il n’aurait pas fait le pas décisif le coupant de son passé. Pour cela, il lui fallait fuir en Terre d’Israël, c’est-à-dire vers la sainteté. Là, sur cette terre sanctifiée, son engagement pour un avenir meilleur aurait eu une certaine force.
Toutefois, des magistrats devaient être nommés hors d’Israël, car nos sages disent : « Ne juge pas ton semblable tant que tu ne t’es pas trouvé à sa place. »6 Une cour de justice qui siège en Israël ne peut connaître les épreuves et les tentations du dehors, ou les difficultés qu’on a à demeurer fidèle à sa foi dans un lieu d’exil. Israël est un pays sur lequel « l’Éternel, ton D.ieu, a continuellement Ses yeux, du commencement de l’année à la fin de l’année ».7 C’est un pays de grâce divine. Il n’est pas possible de juger d’après ses critères un homme qui vit hors de sa protection. C’est pourquoi des magistrats devaient être choisis dans le même environnement que celui qu’ils avaient à juger. Ils devaient non seulement savoir de quoi il était coupable, mais aussi connaître par l’expérience la nature de l’environnement qui l’avait amené à agir comme il l’avait fait.
Rabbi DovBer (le Mittéler Rebbe, second Rabbi de Loubavitch) donnait un jour une audience privée quand, à un moment, il fit une pause et demeura silencieux quelque temps, avant de la poursuivre. On apprit par la suite que l’homme qui avait sollicité l’audience désirait que le Rabbi l’aidât à redresser un acte particulièrement dégradant qu’il avait commis. Et le Rabbi expliqua que nous devons découvrir une qualité correspondante en nous-mêmes – quelque élevé qu’en soit le niveau – avant que nous puissions aider quelqu’un à remédier à son péché. Son silence pendant l’audience était dû à une tentative de trouver en lui-même ce point à partir duquel il pourrait s’identifier au pécheur.8
C’est ce principe qui existait derrière le commandement de D.ieu à Moïse, quand les Israélites eurent confectionné le Veau d’or : « Va, descends ; car ton peuple s’est corrompu. »9 Car, à ce moment-là, Moïse habitait les hauteurs spirituelles du Mont Sinaï, sans manger ni boire, séparé du monde. Les Israélites étaient dégradés par leur péché. Mais en disant « ton peuple », D.ieu créait un lien entre Moïse et le peuple, sur la base duquel le premier avait la possibilité de plaider en faveur du second.
3. Le refuge et le péché
Bien que les villes-refuges dussent se trouver en Israël, elles n’étaient pas toutes dans le même territoire. Il y avait les trois situées en Israël proprement dit – en Terre Sainte. Trois autres se trouvaient en Transjordanie, pays où le meurtre était courant.10 Et, dans les Temps Futurs lorsque « l’Éternel, ton D.ieu, élargira tes frontières »11 – trois autres villes-refuges seront créées dans les pays nouvellement acquis.
Cela signifie que chaque niveau de spiritualité a son propre refuge, de la Transjordanie, pays relativement sans loi, à la Terre Sainte ; et même dans les Temps Futurs. Et cela est vrai aussi bien spirituellement que géographiquement. À chaque étape de la vie religieuse d’un homme existe la possibilité d’une faiblesse pour laquelle refuge et expiation sont nécessaires. Même si cet homme ne désobéit jamais à la volonté divine, il pourrait ne pas accomplir tout ce qui est en son pouvoir pour se rapprocher de D.ieu. C’est la tâche du mois d’Eloul : le mois de l’examen de conscience, où chacun doit se demander si ce qu’il a accompli était bien tout ce qu’il pouvait accomplir.12 Et si la réponse est négative, il doit se repentir et s’efforcer vers un avenir mieux rempli. Tant l’homme d’affaires que l’érudit, celui qui a vécu dans le monde, et celui qui a passé ses jours sous le dais de la Torah, tous deux doivent faire d’Eloul un temps pour l’examen de conscience et pour le refuge.
C’est la coutume dans le monde occidental de faire d’Eloul – le mois du plein été – une période de vacances. L’étude y est interrompue. C’est le contraire qui devrait avoir lieu : par-dessus tout, un temps pour l’examen intérieur, pour changer sa propre vie. Et le lieu pour le faire est la ville-refuge, en Terre sainte, ce qui, pour nous, signifie un lieu de Torah. Chaque Juif devrait réserver Eloul, ou au moins à partir du 18 et au-delà (soit les douze derniers jours, un pour chaque mois de l’année13), ou en tout cas les jours où les Seli’hot sont dites, et prendre refuge dans un lieu de Torah.
Un refuge est un endroit où l’on fuit : c’est-à-dire où l’on met de côté son passé et où l’on se fait un nouveau foyer. Eloul, c’est l’enterrement du passé pour un avenir meilleur. Et il constitue la préparation nécessaire pour les bénédictions célestes de Roch Hachana, la promesse d’abondance et d’accomplissement pour l’année à venir tout entière.
(Source : Likoutei Si’hot, Vol. Il, p. 380-384)
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