Et quel enseignement Rabbi Yehouda déduit-il de l’expression « elle proclamera et dira » – que ses collègues ont utilisée pour l’analogie sémantique ? La même expression se retrouvant à propos des bénédictions et des malédictions, il en déduit que les Lévites les ont prononcées en hébreu. וְרַבִּי יְהוּדָה הַאי וְעָנְתָה וְאָמְרָה מַאי עָבֵיד לֵיהּ מִיבְּעֵי לֵיהּ לְאַגְמוֹרֵי לִלְוִיִּם דְּבִלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ
Il aurait pu l’apprendre, comme ses collègues, de l’analogie reposant sur le mot « voix » employé à leur propos et lors de la Révélation à Moïse au Sinaï ! Un Sage ne peut établir une analogie sémantique que s’il l’a entendue de son maître. En l’occurrence, Rabbi Yehouda avait appris celle fondée sur l’emploi répété du verbe « proclamer » à propos des Lévites et du déchaussement, et non celle mettant en parallèle « la voix » des Lévites avec « la voix » perçue par Moïse. וְלֵילַף קוֹל מִמֹּשֶׁה עֲנִיָּיה עֲנִיָּיה גְּמִיר קוֹל קוֹל לָא גְּמִיר
Cette explication est confirmée par la baraïta suivante : « Selon Rabbi Yehouda, là où la Tora emploie les termes “ainsi”, “comme ceci” ou “proclamer et dire”, l’hébreu est obligatoire. En clair, il s’agit de la bénédiction sacerdotale, introduite par la formule – Ainsi, vous bénirez les Enfants d’Israël (Nbres 6, 23) ; des déclarations des intéressés lors de la cérémonie du déchaussement où il est dit – Elle proclamera et dira comme ceci” ; et enfin, des bénédictions et des malédictions que les Lévites devaient “proclamer et dire.” » תַּנְיָא נָמֵי הָכִי רַבִּי יְהוּדָה אוֹמֵר כׇּל מָקוֹם שֶׁנֶּאֱמַר כֹּה כָּכָה עֲנִיָּיה וַאֲמִירָה אֵינוֹ אֶלָּא לְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ כֹּה כֹּה תְבָרְכוּ כָּכָה דַּחֲלִיצָה עֲנִיָּיה וַאֲמִירָה דִּלְוִיִּם
§ Suite de la michna – « Dans quelles circonstances les Lévites ont-ils prononcé les bénédictions et les malédictions à l’époque de Josué ? Après la traversée du Jourdain, les Hébreux arrivèrent aux monts Guerizim et ‘Eyval se trouvant en Samarie, du côté de Sichem, près des chênes de Moré. En effet, Moïse leur avait dit (Deut. 11, 30) – Voici ils (le mont Guerizim et le mont ‘Eyval) sont de l’autre côté du Jourdain, derrière la route où vient le soleil, au pays du Cananéen qui habite dans la steppe, face à Guilgal, près des chênes de Moré.” » Les différentes parties de ce verset vont être expliquées, point par point, dans cette baraïta – tirée du Sifrè : « Alors que les Enfants d’Israël se trouvaient dans le désert, à l’est du Jourdain, Moïse leur indiqua l’emplacement des monts Guerizim et ‘Eyval – “Voici ils sont de l’autre côté du Jourdain.” C’est-à-dire, explique Rabbi Yehouda, à l’ouest, bien au-delà du Jourdain.Derrière [a‘harei] la route où vient le soleil c’est-à-dire loin de l’est, du levant où ils se trouvaient à ce moment-là (a‘harei désignant toujours un lieu éloigné). בְּרָכוֹת וּקְלָלוֹת כֵּיצַד כֵּיוָן שֶׁעָבְרוּ יִשְׂרָאֵל אֶת הַיַּרְדֵּן כּוּ׳ תָּנוּ רַבָּנַן הֲלֹא הֵמָּה בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן מֵעֵבֶר לַיַּרְדֵּן וְאֵילָךְ דִּבְרֵי רַבִּי יְהוּדָה אַחֲרֵי דֶּרֶךְ מְבוֹא הַשֶּׁמֶשׁ מְקוֹם שֶׁחַמָּה זוֹרַחַת
La formule :Au pays du Cananéen qui habite dans la steppe” se réfère au mont Guerizim et au mont ‘Eyval où les Samaritains allaient s’établir après leur transfert dans la région par le roi Sennachérib à la place des dix tribus exilées (voir II Rois 17, 24). “Face à Guilgal, c’est-à-dire près de Guilgal.Près des chênes de Moré, à Sichem. En effet, il est dit ailleurs (Gen. 12, 6) – “Avram traversa le pays jusqu’à la localité de Sichem, jusqu’au chêne de Moré”. Là, le chêne de Moré est localisé à Sichem et il en va de même pour ceux mentionnés dans le Livre de Josué. » בְּאֶרֶץ הַכְּנַעֲנִי הַיּוֹשֵׁב בָּעֲרָבָה אֵלּוּ הַר גְּרִיזִים וְהַר עֵיבָל שֶׁיּוֹשְׁבִין בָּהֶם כּוּתִיִּים מוּל הַגִּלְגָּל סָמוּךְ לַגִּלְגָּל אֵצֶל אֵלוֹנֵי מֹרֶה שְׁכֶם וּלְהַלָּן הוּא אוֹמֵר וַיַּעֲבֹר אַבְרָם בָּאָרֶץ עַד מְקוֹם שְׁכֶם עַד אֵלוֹן מוֹרֶה מָה אֵלוֹן מוֹרֶה הָאָמוּר לְהַלָּן שְׁכֶם אַף כָּאן שְׁכֶם

Le Talmud Steinsaltz (Steinsaltz Center)

Traduit paragraphe par paragraphe; commenté par le Rabbin Adin Even-Israël Steinsaltz.

Suite du Sifrè – « On sait par ailleurs que les Samaritains reniaient la Tora orale et avaient apporté des modifications à la Tora écrite. À ce propos, Rabbi El‘azar fils de Rabbi Yossè a déclaré : en citant ce verset de la Genèse, j’ai démontré que les Rouleaux de la Tora des Samaritains étaient falsifiés. Je leur ai dit : vous avez falsifié en vain vos Rouleaux de la Tora. Car vous avez ajouté en toutes lettres que le chêne de Moré se trouve à Sichem qui est, selon vous, le lieu de prédilection de la Présence divine. Nous convenons, nous aussi, que le chêne de Moré est à Sichem. Cependant, nous l’avons appris en établissant un parallèle entre les versets de Josué et de la Genèse. Mais vous, qui rejetez notre Tora orale et nos méthodes d’exégèse, comment l’avez-vous appris ? תַּנְיָא אָמַר רַבִּי אֶלְעָזָר בְּרַבִּי יוֹסֵי בְּדָבָר זֶה זִיַּיפְתִּי סִפְרֵי כוּתִיִּים אָמַרְתִּי לָהֶם זִיַּיפְתֶּם תּוֹרַתְכֶם וְלֹא הֶעֱלִיתֶם בְּיֶדְכֶם כְּלוּם שֶׁאַתֶּם אוֹמְרִים אֵלוֹנֵי מוֹרֶה שְׁכֶם אַף אָנוּ מוֹדִים שֶׁאֵלוֹנֵי מוֹרֶה שְׁכֶם אָנוּ לְמַדְנוּהָ בִּגְזֵרָה שָׁוָה אַתֶּם בַּמֶּה לְמַדְתֶּום
Contrairement à Rabbi Yehouda, qui situe les monts Guerizim et ‘Eyval bien au-delà du Jourdain, Rabbi El‘azar explique le verset ainsi : “Voici ils (les monts Guerizim et ‘Eyval) sont de l’autre côté du Jourdain”, c’est-à-dire près du Jourdain. Ils ne peuvent pas être loin du Jourdain à l’ouest, car il est écrit (Deut. 27, 4) – “Il adviendra quand vous traverserez le Jourdain”, c’est-à-dire le jour même “vous érigerez ces pierres sur le mont ‘Eyval”. רַבִּי אֶלְעָזָר אָמַר הֲלֹא הֵמָּה בְּעֵבֶר הַיַּרְדֵּן סָמוּךְ לַיַּרְדֵּן דְּאִי מֵעֵבֶר הַיַּרְדֵּן וְאֵילָךְ הֲלֹא כְּתִיב וְהָיָה בְּעׇבְרְכֶם אֶת הַיַּרְדֵּן
Suivant cette explication, l’expression “derrière la route où vient le soleil” signifie : loin de l’ouest, du couchant, donc près du levant, c’est-à-dire près du Jourdain. “Au pays du Cananéen”. En réalité, c’était le pays du ‘Hivéen, car Sichem, le fondateur de la ville qui porte son nom, était un ‘Hivéen (voir Gen. 34, 2). אַחֲרֵי דֶּרֶךְ מְבוֹא הַשֶּׁמֶשׁ מָקוֹם שֶׁהַחַמָּה שׁוֹקַעַת בְּאֶרֶץ הַכְּנַעֲנִי אֶרֶץ חִוִּי הִיא
Les deux expressions suivantes ne peuvent être comprises au sens littéral. En effet, il est écrit que les monts Guerizim et ‘Eyval se trouvent au pays du ‘Hivéen, “qui habite dans la steppe”, alors que c’est une région de montagnes et de collines. Le verset ajoute qu’ils sont “face à Guilgal”, or Sichem n’est pas à portée de vue de Guilgal ! הַיּוֹשֵׁב בָּעֲרָבָה וַהֲלֹא בֵּין הָרִים וּגְבָעוֹת הֵן יוֹשְׁבִין מוּל הַגִּלְגָּל וַהֲלֹא לֹא רָאוּ אֶת הַגִּלְגָּל
Aussi, Rabbi Eli‘ézer ben Ya‘acov – qui partage l’avis de Rabbi El‘azar – affirme que les expressions “la route”, “qui habite” et “dans la steppe” ne sont pas des indications géographiques. En réalité, le Saint béni soit-Il, prévoyant la disparition des nuées qui avaient guidé les Hébreux la première fois lors de la sortie d’Égypte et pendant les quarante ans dans le désert, leur indique maintenant l’itinéraire qu’ils devront suivre en Erets-Israël. En parlant de “la route”, Il leur ordonne : vous marcherez sur la route, et non à travers champs et vignobles. En ajoutant “qui habite”, Il leur recommande : passez par des régions habitées, et non par le désert. Il leur dit enfin : faites le tour par le pays du Cananéen dans la steppe”, au lieu d’entrer directement à Sichem, au pays du ‘Hivéen, qui est une région de montagnes et de collines. » רַבִּי אֱלִיעֶזֶר בֶּן יַעֲקֹב אוֹמֵר לֹא בָּא הַכָּתוּב אֶלָּא לְהַרְאוֹת לָהֶן דֶּרֶךְ בַּשְּׁנִיָּה כְּדֶרֶךְ שֶׁהֶרְאָה לָהֶן בָּרִאשׁוֹנָה דֶּרֶךְ בַּדֶּרֶךְ לֵכוּ וְלֹא בְּשָׂדוֹת וּכְרָמִים הַיּוֹשֵׁב בַּיִּשּׁוּב לֵכוּ וְלֹא בְּמִדְבָּרוֹת בָּעֲרָבָה בַּעֲרָבָה לֵכוּ וְלֹא בְּהָרִים וּגְבָעוֹת
Voici une baraïta, tirée de la Tossefta, décrivant l’entrée des Hébreux en Terre sainte : « Comment les Hébreux ont-ils traversé le Jourdain ? Dans le désert, les porteurs de l’Arche se mettaient en marche, chaque jour, à la suite des tribus de Juda et Ruben s’avançant avec leurs drapeaux (voir Nbres 10, versets 14, 18 et 21). Le jour de la traversée du Jourdain, ils partirent les premiers, car il est dit (Jos. 3, 11) – “Voici l’Arche de l’alliance du Maître de toute la terre passe devant vous [tous]. Habituellement, l’Arche était portée par les Lévites (Nbres 3, 31), et ce jour-là, elle le fut par les Cohanim, car il est dit (Jos. 3, 13) – “Dès que la plante des pieds des Cohanim portant l’Arche de l’Éternel se posera…” » תָּנוּ רַבָּנַן כֵּיצַד עָבְרוּ יִשְׂרָאֵל אֶת הַיַּרְדֵּן בְּכׇל יוֹם אָרוֹן נוֹסֵעַ אַחַר שְׁנֵי דְגָלִים וְהַיּוֹם נָסַע תְּחִילָּה שֶׁנֶּאֱמַר הִנֵּה אֲרוֹן הַבְּרִית אֲדוֹן כׇּל הָאָרֶץ עֹבֵר לִפְנֵיכֶם בְּכׇל יוֹם וָיוֹם לְוִיִּם נוֹשְׂאִין אֶת הָאָרוֹן וְהַיּוֹם נְשָׂאוּהוּ כֹּהֲנִים שֶׁנֶּאֱמַר וְהָיָה כְּנוֹחַ כַּפּוֹת רַגְלֵי הַכֹּהֲנִים נוֹשְׂאֵי אֲרוֹן ה׳ וְגוֹ׳
La baraïta poursuit en citant cet enseignement de Rabbi Yossè – « Les Cohanim portèrent l’Arche en trois occasions : lors de la traversée du Jourdain, quand ils firent le tour de Jéricho (ibid. 6, 6) et lorsqu’ils la remirent à sa place, dans le Saint des Saints (du Temple de Salomon ; voir I Rois chap. 8). תַּנְיָא רַבִּי יוֹסֵי אוֹמֵר בִּשְׁלֹשָׁה מְקוֹמוֹת נָשְׂאוּ כֹּהֲנִים אֶת הָאָרוֹן כְּשֶׁעָבְרוּ אֶת הַיַּרְדֵּן וּכְשֶׁהֵסֵיבּוּ אֶת יְרִיחוֹ וּכְשֶׁהֶחְזִירוּהוּ לִמְקוֹמוֹ