À l’évidence, note la guemara, ces Sages pensent qu’il est interdit à un mari d’adresser une mise en garde à sa femme, puisqu’ils donnent au mot kinouï un sens péjoratif.
אַלְמָא קָסָבְרִי דְּאָסוּר לְקַנּאוֹת
En revanche, d’après Rabbi Yichma‘el (voir plus loin) qui l’autorise, quel est le sens du mot kinouï ? Rav Na‘hman bar Yits‘hak explique : kinouï est un synonyme de mise en garde. Et de même, il est dit : « L’Éternel adressa une mise en garde pour Sa Terre et eut pitié de Son peuple » (Joël 2, 18), en défendant aux sauterelles, mentionnées par le prophète dans le chapitre précédent, d’y revenir.
וּמַאן דְּאָמַר מוּתָּר לְקַנּאוֹת מַהוּ לְשׁוֹן קִינּוּי אָמַר רַב נַחְמָן בַּר יִצְחָק אֵין קִינּוּי אֶלָּא לְשׁוֹן הַתְרָאָה וְכֵן הוּא אוֹמֵר וַיְקַנֵּא ה׳ לְאַרְצוֹ
On a enseigné dans une baraïta – « Rabbi Mèir disait souvent : une personne – telle la femme infidèle – commet une infraction en secret, et le Saint béni soit-Il la rend publique en incitant son mari à lui adresser une mise en garde devant témoins. En effet, il est dit à propos de ce mari : “Un esprit de jalousie s’est emparé [ve-‘avar] de lui” (Nbres 5, 14), et le verbe ‘avar désigne une proclamation, comme dans ce verset : “sur l’ordre de Moïse on fit circuler [va-ya‘avirou] une proclamation dans le camp” (Ex. 36, 6). »
תַּנְיָא הָיָה רַבִּי מֵאִיר אוֹמֵר אָדָם עוֹבֵר עֲבֵירָה בַּסֵּתֶר וְהַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מַכְרִיז עָלָיו בְּגָלוּי שֶׁנֶּאֱמַר וְעָבַר עָלָיו רוּחַ קִנְאָה וְאֵין עֲבֵירָה אֶלָּא לְשׁוֹן הַכְרָזָה שֶׁנֶּאֱמַר וַיְצַו מֹשֶׁה וַיַּעֲבִירוּ קוֹל בַּמַּחֲנֶה
Selon Rèch Lakich, une personne ne commet une infraction que sous l’effet d’un vent de folie, car il est dit : « si la femme de quelqu’un dévie [tisté] » (Nbres 5, 12) ; l’Écriture n’étant pas vocalisée, on peut lire tichté, « est mue par un vent de folie », comme si le verbe était écrit avec un chin au lieu du sin.
רֵישׁ לָקִישׁ אָמַר אֵין אָדָם עוֹבֵר עֲבֵירָה אֶלָּא אִם כֵּן נִכְנַס בּוֹ רוּחַ שְׁטוּת שֶׁנֶּאֱמַר אִישׁ אִישׁ כִּי תִשְׂטֶה אִשְׁתּוֹ תִּשְׂטֶה כְּתִיב
L’École de Rabbi Yichma‘el a enseigné : « Pourquoi la Tora a-t-elle ajouté foi à l’accusation d’adultère portée contre une femme par un seul témoin ? Parce que sa culpabilité est plausible, puisqu’elle s’est isolée avec l’amant présumé malgré la mise en garde de son mari, et qu’un témoin atteste qu’elle a fauté. »
תַּנְיָא דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל מִפְּנֵי מָה הֶאֱמִינָה תּוֹרָה עֵד אֶחָד בְּסוֹטָה שֶׁרַגְלַיִם לַדָּבָר שֶׁהֲרֵי קִינֵּא לָהּ וְנִסְתְּרָה וְעֵד אֶחָד מְעִידָהּ שֶׁהִיא טְמֵאָה
Le Talmud Steinsaltz (Steinsaltz Center)
Traduit paragraphe par paragraphe; commenté par le Rabbin Adin Even-Israël Steinsaltz.
Rav Papa demanda à Abayè : pourtant, dans l’Écriture (Nbres chap. 5), la mise en garde du mari est mentionnée au verset 14 (« Un esprit de jalousie s’est emparé de lui et il a adressé une mise en garde à sa femme »), après l’isolement secret de la femme avec l’amant présumé et le constat d’adultère établi par le témoin, évoqués au verset 13 – Ce qui laisse entendre que celui-ci est digne de foi même sans qu’il y ait eu de mise en garde du mari.
אֲמַר לֵיהּ רַב פָּפָּא לְאַבָּיֵי וְהָא כִּי כְּתִיבָה קִינּוּי בָּתַר סְתִירָה וְטוּמְאָה הוּא דִּכְתִיבָה
Abayè répondit à Rav Papa : par le mot ve-‘avar, la Tora veut dire que le vent de jalousie ayant suscité cette mise en garde s’était déjà emparé de lui avant l’isolement et le constat d’adultère établi par le témoin.
אֲמַר לֵיהּ וְעָבַר וּכְבָר עָבַר
S’il en est ainsi, interroge la guemara, quand Moïse déclare aux membres des tribus de Reouven et de Gad – qui proposaient de participer à la conquête d’Erets-Israël avant de prendre possession des territoires conquis en Transjordanie – « Si chacun de vous, équipé, passe [ve-‘avar] le Jourdain devant l’Éternel jusqu’à ce qu’Il ait évincé ses ennemis de devant Lui ; une fois le pays conquis devant l’Éternel, alors seulement vous reviendrez, vous serez quittes envers Dieu et envers Israël, et cette terre vous sera légitimement acquise devant l’Éternel » (Nbres 32, 21–22) – Veut-il dire : « si vous êtes déjà passé » ? Le verbe ve-‘avar ne se rapporte-t-il pas au futur passage du Jourdain ?
אֶלָּא מֵעַתָּה וְעָבַר לָכֶם כׇּל חָלוּץ הָכִי נָמֵי
Là-bas, répond la guemara, puisqu’il est écrit : « Une fois le pays conquis devant l’Éternel, alors seulement vous reviendrez », on comprend qu’il s’agit d’un futur. Mais ici, à propos de la femme soupçonnée d’adultère, si les versets étaient traduits textuellement, c’est-à-dire après l’isolement et le constat d’adultère (v. 13), « un esprit de jalousie s’est emparé du mari » (v. 14), pourquoi adresserait-il une mise en garde à ce moment-là ?
הָתָם מִדִּכְתִיב וְנִכְבְּשָׁה הָאָרֶץ לִפְנֵי ה׳ וְאַחַר תָּשֻׁבוּ מַשְׁמַע דִּלְהַבָּא אֶלָּא הָכָא אִי סָלְקָא דַעְתָּךְ כְּדִכְתִיבִי וְעָבַר בָּתַר טוּמְאָה וּסְתִירָה קִינּוּי לְמָה לִי
L’École de Rabbi Yichma‘el a enseigné dans une nouvelle baraïta – « Un homme n’adresse de mise en garde à sa femme que sous l’emprise d’un esprit, car il est dit : “Un esprit de jalousie s’est emparé de lui et il a adressé une mise en garde à sa femme”. » Quelle est la nature de cet esprit ?
תָּנָא דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל אֵין אָדָם מְקַנֵּא לְאִשְׁתּוֹ אֶלָּא אִם כֵּן נִכְנְסָה בּוֹ רוּחַ שֶׁנֶּאֱמַר וְעָבַר עָלָיו רוּחַ קִנְאָה וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ מַאי רוּחַ
Des Sages, disciples de Rav Achi, affirment qu’il s’agit d’un esprit d’impureté. Mais Rav Achi lui-même soutient que c’est un esprit de pureté qui amène le mari à adresser une mise en garde à sa femme par horreur de la débauche.
רַבָּנַן אָמְרִי רוּחַ טוּמְאָה רַב אָשֵׁי אָמַר רוּחַ טׇהֳרָה
Et cet avis est plausible, car on a enseigné dans une autre baraïta : « Rabbi Yichma‘el interprète le verset “Et il a adressé une mise en garde à sa femme” comme un droit accordé au mari. Rabbi ‘Akiba, lui, y voit une obligation. » Certes, si l’École de Rabbi Yichma‘el a fait allusion à un esprit de pureté, on comprend cette controverse – entre Rabbi Yichma‘el et Rabbi ‘Akiba. Mais si l’École de Rabbi Yichma‘el s’est référée à un esprit d’impureté, aurait-on le droit ou l’obligation de laisser entrer en soi un esprit d’impureté ?
וּמִסְתַּבְּרָא כְּמַאן דְּאָמַר רוּחַ טׇהֳרָה דְּתַנְיָא וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל רַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה אִי אָמְרַתְּ בִּשְׁלָמָא רוּחַ טׇהֳרָה שַׁפִּיר אֶלָּא אִי אָמְרַתְּ רוּחַ טוּמְאָה רְשׁוּת וְחוֹבָה לְעַיּוֹלֵי לְאִינִישׁ רוּחַ טוּמְאָה בְּנַפְשֵׁיהּ
A propos de cette controverse entre Rabbi Yichma‘el et Rabbi ‘Akiba sur le droit ou l’obligation du mari d’adresser une mise en garde à sa femme, la baraïta rapporte deux autres discussions similaires. « D’après Rabbi Yichma‘el, la formule employée par la Tora à propos d’un Cohen (Lév. 21, 3) : “Pour sa sœur aussi, si elle est vierge... pour elle il se rendra impur” se comprend comme une autorisation. Rabbi ‘Akiba y voit une obligation.
גּוּפָא וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל וְרַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה לָהּ יִטַּמָּא רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל וְרַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה
De même, selon Rabbi Yichma‘el, l’expression employée à propos des esclaves cananéens (ibid. 25, 46) “eux, vous les asservirez à jamais” permet de les maintenir indéfiniment dans cette condition. Et Rabbi ‘Akiba y voit là encore une obligation : l’interdiction de libérer ces esclaves. »
לְעֹלָם בָּהֶם תַּעֲבֹדוּ רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל רַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה
Rav Papa demanda à Abayè, ou selon une autre version, Rav Mecharchya demanda à Rava – Doit-on en conclure que Rabbi Yichma‘el et Rabbi ‘Akiba sont divisés ainsi sur toutes les injonctions de la ToraE ? Abayè (ou Rava, selon la seconde version) répondit : dans les trois cas mentionnés, leur débat porte sur le sens des versets y afférents, suivant l’explication donnée par la suite.
אֲמַר לֵיהּ רַב פָּפָּא לְאַבָּיֵי וְאָמְרִי לַהּ רַב מְשַׁרְשְׁיָא לְרָבָא לֵימָא רַבִּי יִשְׁמָעֵאל וְרַבִּי עֲקִיבָא בְּכׇל הַתּוֹרָה כּוּלָּהּ הָכִי פְּלִיגִי דְּמָר אָמַר רְשׁוּת וּמָר אָמַר חוֹבָה אֲמַר לֵיהּ הָכָא בִּקְרָאֵי פְּלִיגִי
Premier débat : « Rabbi Yichma‘el interprète le verset “Et il a adressé une mise en garde à sa femme” comme un droit accordé au mari. Rabbi ‘Akiba, lui, y voit une obligation. »
וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל רַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה
Quelle est la raison de Rabbi Yichma‘el ? Il partage l’avis du Tana cité dans cette nouvelle baraïta : « Rabbi Eli‘ézer ben Ya‘acov a déclaré – Puisqu’il est dit (Lév. 19, 17) : “Tu ne haïras pas ton prochain dans ton cœur”, on aurait pu penser que cet interdit s’applique également dans un cas comme celui-ci, en préconisant d’éviter tout conflit avec sa femme ayant eu un comportement indécent. Aussi la Tora a-t-elle autorisé ce dernier à exprimer son hostilité envers sa femme dans le verset : “Et un esprit de jalousie s’est emparé de lui et il a adressé une mise en garde à sa femme effectivement souillée.” » Pour les autres injonctions de la Tora, ne venant pas lever un interdit, Rabbi Yichma‘el admet que ce sont des obligations.
מַאי טַעְמָא דְּרַבִּי יִשְׁמָעֵאל סָבַר לַהּ כִּי הַאי תַּנָּא דְּתַנְיָא רַבִּי אֱלִיעֶזֶר בֶּן יַעֲקֹב אוֹמֵר כְּלַפֵּי שֶׁאָמְרָה תּוֹרָה לֹא תִשְׂנָא אֶת אָחִיךָ בִּלְבָבֶךָ יָכוֹל כְּגוֹן זוֹ תַּלְמוּד לוֹמַר וְעָבַר עָלָיו רוּחַ קִנְאָה וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ
Et pourquoi Rabbi ‘Akiba affirme-t-il que le mari est tenu d’adresser une mise en garde à sa femme ? Parce que la Tora en fait mention une seconde fois dans la suite du verset (Nbres 5, 14) : « Ou qu’un esprit de jalousie s’est emparé de lui et qu’il a adressé une mise en garde à sa femme alors qu’elle ne s’est pas rendue impure » ; la première référence vient l’autoriser, et la seconde l’érige en obligation.
וְרַבִּי עֲקִיבָא קִינּוּי אַחֲרִינָא כְּתִיב
Et Rabbi Yichma‘el, que répond-il à cet argument ? Puisqu’il fallait envisager les deux possibilités « effectivement souillée », et « elle ne s’est pas rendue impure », pour laisser entendre qu’elle est interdite, dans le doute, à son mari, on a répété aussi la formule « et il a adressé une mise en garde à sa femme ».
וְרַבִּי יִשְׁמָעֵאל אַיְּידֵי דְּבָעֵי לְמִיכְתַּב וְהִיא נִטְמָאָה וְהִיא לֹא נִטְמָאָה כְּתִיב נָמֵי וְקִנֵּא אֶת אִשְׁתּוֹ
Et cette interprétation suit l’enseignement de l’École de Rabbi Yichma‘el – Bien que la Tora aurait pu dire plus simplement – « Et un esprit de jalousie s’est emparé de lui et il a adressé une mise en garde à sa femme et elle s’est souillée ou elle ne s’est pas souillée », l’École de Rabbi Yichma‘el a enseigné cette règle : l’Écriture répète parfois un passage entier pour y apporter ne fût-ce qu’une seule innovation.
לְכִדְתָנָא דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל דְּתָנָא דְּבֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל כָּל פָּרָשָׁה שֶׁנֶּאֶמְרָה וְנִישְׁנֵית לֹא נִישְׁנֵית אֶלָּא בִּשְׁבִיל דָּבָר שֶׁנִּתְחַדֵּשׁ בָּהּ
Deuxième discussion rapportée plus haut entre les deux Tanaïm : « D’après Rabbi Yichma‘el, la formule “pour sa sœur aussi... pour elle il se rendra impur” (Lév. 21, 3) se comprend comme une autorisation. Rabbi ‘Akiba y voit une obligation. »
לָהּ יִטַּמָּא רְשׁוּת דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל רַבִּי עֲקִיבָא אוֹמֵר חוֹבָה
Quelle est la raison de Rabbi Yichma‘el ? Puisqu’il est écrit (au verset 1) – « Parle aux Cohanim fils d’Aaron et tu leur diras : pour la personne de l’un de ses concitoyens, il ne se rendra pas impur », il était nécessaire de préciser – (v. 3) « Pour elle il se rendra (c’est-à-dire il aura le droit de se rendre) impur. »
מַאי טַעְמָא דְּרַבִּי יִשְׁמָעֵאל אַיְּידֵי דִּכְתִיב אָמַר אֶל הַכֹּהֲנִים בְּנֵי אַהֲרֹן וְאָמַרְתָּ אֲלֵיהֶם לְנֶפֶשׁ לֹא יִטַּמָּא בְּעַמָּיו אִיצְטְרִיכָא לְמִיכְתַּב לָהּ יִטַּמָּא
Selon Rabbi ‘Akiba, le droit d’un Cohen de se rendre impur pour sa sœur se déduit du verset : « Si ce n’est pour sa chair qui lui est proche... » (v. 2) Dans ces conditions, pourquoi la Tora a-t-elle ajouté « pour elle il se rendra impur » ? Pour l’ériger en obligation.
וְרַבִּי עֲקִיבָא מִכִּי אִם לִשְׁאֵרוֹ נָפְקָא לָהּ יִטַּמָּא לְמָה לִי לְחוֹבָה
Et Rabbi Yichma‘el, que répond-il à cet argument ? Il comprend ainsi : « Pour elle (sa sœur) il peut se rendre impur » afin de s’occuper de ses funérailles, mais pas au contact de ses organes si certains ont été perdus à la suite d’une maladie ou d’un accident.
וְרַבִּי יִשְׁמָעֵאל לָהּ מִיטַּמֵּא וְאֵין מִיטַּמֵּא לְאֵיבָרֶיהָ
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