la Tora tout entière à l’exception du Chema peut être énoncée en toute langue ? En effet, si elle doit être énoncée dans la langue de sainteté, pourquoi l’Écriture a-t-elle besoin d’employer ici le terme restrictif « seront » ?
כׇּל הַתּוֹרָה בְּכׇל לָשׁוֹן נֶאֶמְרָה דְּאִי סָלְקָא דַּעְתָּךְ בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ נֶאֶמְרָה וְהָיוּ דִּכְתַב רַחֲמָנָא לְמָה לִי
Même si le reste de la Tora doit aussi être lu en hébreu, réfute la guemara, il était nécessaire d’ajouter « seront » pour lever l’ambiguïté qui s’attache au mot « écoute ». Plutôt que d’y reconnaître l’exigence de le prononcer de manière audible, on aurait pu y voir l’autorisation exceptionnelle de lire ce passage en n’importe quelle langue – comme l’affirment les collègues de Rabbi.
אִיצְטְרִיךְ מִשּׁוּם דִּכְתִיב שְׁמַע
Est-ce à dire, continue la guemara, que d’après les Sages, la Tora tout entière, à l’exception du Chema, doit être dite exclusivement en hébreu ? En effet, si l’ensemble de l’Écriture peut être dit en toute langue, pourquoi faut-il employer le mot « écoute » pour donner la même autorisation dans le cas du Chema ?
לֵימָא קָסָבְרִי רַבָּנַן כׇּל הַתּוֹרָה כּוּלָּהּ בִּלְשׁוֹן קוֹדֶשׁ נֶאֶמְרָה דְּאִי סָלְקָא דַּעְתָּךְ בְּכׇל לָשׁוֹן שְׁמַע דִּכְתַב רַחֲמָנָא לְמָה לִי
Le mot « écoute » est nécessaire, rétorque la guemara, parce qu’il est écrit « seront ». Au lieu d’y voir une interdiction de prononcer le Chema à rebours, on aurait compris – comme Rabbi – que l’hébreu est obligatoire.
אִיצְטְרִיךְ מִשּׁוּם דִּכְתִיב וְהָיוּ
D’après notre michna, la prière peut être dite en toute langue. On le déduit du simple bon sens : la prière étant un appel à la miséricorde, il est logique de laisser à chaque fidèle la possibilité de le faire dans la langue de son choix.
תְּפִלָּה רַחֲמֵי הִיא כׇּל הֵיכִי דְּבָעֵי מְצַלֵּי
Le Talmud Steinsaltz (Steinsaltz Center)
Traduit paragraphe par paragraphe; commenté par le Rabbin Adin Even-Israël Steinsaltz.
La prière peut-elle réellement être récitée en toute langue ? Pourtant Rav Yehouda a déclaré : il ne faut jamais exprimer ses demandes en araméen, Rabbi Yo‘hanan ayant affirmé que les anges du Service ne prennent pas en considération les requêtes formulées en cette langue, parce qu’ils ne la connaissent pas !
וּתְפִלָּה בְּכׇל לָשׁוֹן וְהָאָמַר רַב יְהוּדָה לְעוֹלָם אַל יִשְׁאַל אָדָם צְרָכָיו בִּלְשׁוֹן אֲרָמִית דְּאָמַר רַבִּי יוֹחָנָן כׇּל הַשּׁוֹאֵל צְרָכָיו בִּלְשׁוֹן אֲרַמִּי אֵין מַלְאֲכֵי הַשָּׁרֵת נִזְקָקִין לוֹ לְפִי שֶׁאֵין מַלְאֲכֵי הַשָּׁרֵת מַכִּירִין בִּלְשׁוֹן אֲרַמִּי
En réalité, répond la guemara, notre michna ne contredit pas Rav Yehouda. Celui-ci a parlé d’une prière faite en privé. Requérant l’appui des anges pour être exaucée, elle ne doit pas être énoncée en araméen (puisqu’ils ne comprennent pas cette langue). En revanche, notre michna permet, à un office public, de dire les prières dans une langue étrangère, car le Saint béni soit-Il y répond sans l’intervention des anges.
לָא קַשְׁיָא הָא בְּיָחִיד הָא בְּצִבּוּר
Les anges du Service ne connaissent-ils pas la langue araméenne, interroge la guemara ? Pourtant on a enseigné dans une baraïta – « Un jour de Kipour, alors que le Cohen Gadol Yo‘hanan se trouvait dans le Saint des Saints, il entendit l’écho d’une Voix qui disait : les enfants (de jeunes Cohanim de la famille des Asmonéens) qui, avant Kipour, étaient allés faire la guerre contre les Grecs à Antioche ont remporté aujourd’hui la victoire. Un autre Kipour, alors que Chim‘on le Juste officiait comme Cohen Gadol dans le Saint des Saints, il entendit l’écho d’une Voix annonçant : l’armée que l’ennemi voulait diriger contre le Temple a été décimée ; Gaskalgas a été tué et ses décrets ont été annulés. Dans l’un et l’autre cas, on a inscrit, à l’issue de Kipour, le moment exact de ces révélations et il s’avéra que ces événements s’étaient produits à l’instant même où ils avaient été annoncés aux Cohanim Guedolim. » Or, poursuit la guemara, ces messages célestes ont été prononcés en araméen !
וְאֵין מַלְאֲכֵי הַשָּׁרֵת מַכִּירִין בִּלְשׁוֹן אֲרַמִּי וְהָתַנְיָא יוֹחָנָן כֹּהֵן גָּדוֹל שָׁמַע בַּת קוֹל מִבֵּית קֹדֶשׁ הַקֳּדָשִׁים שֶׁהוּא אוֹמֵר נְצַחוּ טָלַיָּא דַּאֲזַלוּ לַאֲגָחָא קְרָבָא לְאַנְטוֹכְיָא וְשׁוּב מַעֲשֶׂה בְּשִׁמְעוֹן הַצַּדִּיק שֶׁשָּׁמַע בַּת קוֹל מִבֵּית קֹדֶשׁ הַקֳּדָשִׁים שֶׁהוּא אוֹמֵר בְּטֵילַת עֲבִידְתָּא דַּאֲמַר שָׂנְאָה לְאַיְיתָאָה עַל הֵיכְלָא וְנֶהֱרַג גַּסְקַלְגָּס וּבָטְלוּ גְּזֵירוֹתָיו וְכָתְבוּ אוֹתָהּ שָׁעָה וְכִיוְּונוּ וּבְלָשׁוֹן אֲרַמִּי הָיָה אוֹמֵר
Première réponse : contrairement aux autres, l’ange chargé de communiquer avec les hommes par l’écho d’une Voix connaît les soixante-dix langues, parce qu’il est appelé à se faire comprendre par toutes les nations. Ou bien, c’était l’archange Gabriel qui a transmis les messages en araméen captés par les deux Cohanim Guedolim. Il connaît les soixante-dix langues car, d’après un maître (Rabbi Yo‘hanan), il est venu les enseigner à Joseph pour que celui-ci puisse briller à la cour de Pharaon (voir en 36b).
אִי בָּעֵית אֵימָא בַּת קוֹל שָׁאנֵי דִּלְאַשְׁמוֹעֵי עֲבִידָא וְאִי בָּעֵית אֵימָא גַּבְרִיאֵל הֲוָה דְּאָמַר מָר בָּא גַּבְרִיאֵל וְלִימְּדוֹ שִׁבְעִים לָשׁוֹן
D’après la suite de notre michna, les bénédictions après le repas peuvent être récitées en toute langue. En effet, l’expression (Deut. 8, 10) – « Tu mangeras, tu seras rassasié et tu béniras l’Éternel ton Dieu » qui n’impose pas l’hébreu laisse entendre qu’elles peuvent être récitées en toute langue.
בִּרְכַּת הַמָּזוֹן דִּכְתִיב וְאָכַלְתָּ וְשָׂבָעְתָּ וּבֵרַכְתָּ אֶת ה׳ אֱלֹהֶיךָ בְּכׇל לָשׁוֹן שֶׁאַתָּה מְבָרֵךְ
La michna continue – « Le serment de ne pas pouvoir rendre témoignage » en faveur du demandeur condamne à une offrande en cas de parjure, même prononcé dans une langue étrangère. En effet, la formule (Lév. 5, 1) – « Et une personne qui aura commis une faute en entendant la voix d’un serment » inclut celui prononcé en toute langue entendue, c’est-à-dire comprise par son auteur.
שְׁבוּעַת הָעֵדוּת דִּכְתִיב וְנֶפֶשׁ כִּי תֶחֱטָא וְשָׁמְעָה קוֹל אָלָה בְּכׇל לָשׁוֹן שֶׁהִיא שׁוֹמַעַת
« Il en va de même pour le serment prêté par un gardien accusé de s’être approprié ce qui lui avait été remis en dépôt. » On le déduit par une analogie sémantique, car la Tora emploie là aussi l’expression « qui aura commis une faute », comme dans le cas précédent : le serment de ne pas pouvoir rendre témoignage.
שְׁבוּעַת הַפִּקָּדוֹן אָתְיָא תֶּחְטָא תֶּחְטָא מִשְּׁבוּעַת הָעֵדוּת
§ La michna poursuit – « En revanche, ces autres textes doivent être récités en hébreu : les versets lus lors de l’offrande des prémices ; les déclarations des intéressés lors du rituel du déchaussement ; les bénédictions et les malédictions que les Lévites ont adressées à l’époque de Josué au peuple hébreu, au mont Guerizim et au mont ‘Eyval, etc. Comment déduisons-nous de l’Écriture que les versets se rapportant à l’offrande des prémices doivent être récités en hébreu ? Il est écrit à leur sujet (Deut. 26, 5) – “Tu proclameras et tu diras devant l’Éternel ton Dieu”. Plus loin, à propos des bénédictions et des malédictions prononcées par les Lévites postés entre le mont Guerizim et le mont ‘Eyval (ibid. 27, 14), il est dit – “Les Lévites proclameront et diront... à haute voix.” On apprend de cette analogie que l’emploi de l’hébreu, obligatoire dans ce dernier cas, l’est aussi ici, lors de l’offrande des prémices. »
וְאֵלּוּ נֶאֱמָרִין בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ מִקְרָא בִּיכּוּרִים וַחֲלִיצָה כּוּ׳ עַד מִקְרָא בִּיכּוּרִים כֵּיצַד וְעָנִיתָ וְאָמַרְתָּ לִפְנֵי ה׳ אֱלֹהֶיךָ וּלְהַלָּן הוּא אוֹמֵר וְעָנוּ הַלְוִיִּם וְאָמְרוּ אֶל כׇּל אִישׁ יִשְׂרָאֵל מָה עֲנִיָּיה הָאֲמוּרָה לְהַלָּן בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ אַף כָּאן בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ
Et, explique la guemara, d’où savons-nous que les Lévites eux-mêmes ont prononcé les bénédictions et les malédictions en hébreu ? On le déduit par une autre analogie, car la Tora emploie à leur sujet la même expression – « la voix » – que celle perçue par Moïse au Sinaï. En effet, il est écrit ici au sujet des Lévites – « Ils diront… à haute voix », et il est écrit là-bas au moment de la Révélation (Ex. 19, 19) : « Moïse parlait et Dieu répondait par une voix. » De même que la Tora a été révélée en hébreu, les Lévites ont prononcé les bénédictions et les malédictions dans cette langue.
וּלְוִיִּם גּוּפַיְיהוּ מְנָלַן אָתְיָא קוֹל קוֹל מִמֹּשֶׁה כְּתִיב הָכָא קוֹל רָם וּכְתִיב הָתָם מֹשֶׁה יְדַבֵּר וְהָאֱלֹהִים יַעֲנֶנּוּ בְקוֹל מָה לְהַלָּן בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ אַף כָּאן בִּלְשׁוֹן הַקּוֹדֶשׁ
Suite de la michna : « Comment sait-on que lors du rituel du déchaussement les déclarations des intéressés doivent être faites en hébreu ? » Le premier Tana, anonyme, le déduit par une analogie sémantique. Il est écrit au sujet de la femme qui accomplit la ‘halitsa (Deut. 25, 9) : « Elle proclamera et dira : comme ceci il sera fait à l’homme qui ne rebâtit pas la maison de son frère. » Et il est dit plus loin, dans le verset déjà cité – « Les Lévites proclameront et diront. » On en conclut que l’emploi de l’hébreu, obligatoire dans ce dernier cas, l’est ici aussi. Rabbi Yehouda, lui, lit le verset ainsi – « Elle proclamera et dira comme ceci [kakha]. » Il en déduit que la veuve accomplissant la ‘halitsa doit s’exprimer en hébreu, dans les termes mêmes de la Tora. Et les Sages, représentés par le Tana anonyme, qu’apprennent-ils de l’expression « comme ceci » ? D’après eux, la Tora a employé la formule « comme ceci il sera fait » pour enseigner que les deux actions mentionnées à propos de la ‘halitsa – déchausser son beau-frère et cracher devant lui – sont indispensables.
חֲלִיצָה כֵּיצַד וְכוּ׳ וְרַבָּנַן הַאי כָּכָה מַאי עָבְדִי לֵיהּ מִיבְּעֵי לְהוּ לְדָבָר שֶׁהוּא מַעֲשֶׂה מְעַכֵּב
Selon Rabbi Yehouda, on aurait pu déduire cette règle même si la Tora avait employé l’expression « ainsi [ko] sera fait » – ko, avec un seul kaf. La Tora a utilisé la formule « comme ceci » [kakha], avec deux kaf, pour enseigner une seconde règle : imposer l’emploi de l’hébreu à la veuve accomplissant la ‘halitsa. Pour leur part, les autres Sages n’attribuent aucune signification exégétique à cette différence entre ko et kakha.
וְרַבִּי יְהוּדָה מִכֹּה כָּכָה וְרַבָּנַן כֹּה כָּכָה לָא מַשְׁמַע לְהוּ
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