Qu’aurait-on pensé ? Dans le passage ayant trait à la sota (Nbres chap. 5), l’expression « elle s’est souillée » est répétée deux fois, une fois pour interdire la femme adultère à son mari, et une autre fois pour l’interdire à l’amant, même après le divorce ou la mort du mari. On aurait pensé que la Tora impose l’épreuve à une femme qui devient interdite à l’amant à la suite de l’adultère commis avec lui, et non à celle qui lui était déjà défendue auparavant pour cause de parenté. Aussi l’auteur de la michna nous a-t-il enseigné qu’on n’exclut pas la possibilité de soumettre une femme à l’épreuve des eaux amères quand elle a enfreint l’interdiction de son mari de s’isoler avec un proche parent. מַהוּ דְּתֵימָא נִטְמָאָה נִטְמָאָה שְׁנֵי פְּעָמִים אֶחָד לַבַּעַל וְאֶחָד לַבּוֹעֵל הֵיכָא דְּקָא מִיתַּסְרָא בְּהָא זְנוּת אֲבָל הָא הוֹאִיל וַאֲסוּרָה וְקָיְימָא אֵימָא לָא קָא מַשְׁמַע לַן
§ En revanche, poursuit la michna, la mise en garde n’est pas valable si les soupçons du mari portent sur « un mineur », car la Tora (ibid. 5, 13) parle d’une femme ayant une relation avec « un homme », et non avec un mineur qui, avant l’âge de treize ans, n’est pas un homme mais un enfant. D’après la suite de la michna, la mise en garde ne peut pas viser non plus « celui qui n’est pas un homme ». Qui vient-elle exclure ? Un homme étique au corps décharné – sans grande force virile ? Pourtant Chemouel a déclaré qu’une femme est soumise à l’épreuve des eaux amères, même si elle s’est isolée, malgré la mise en garde de son mari, avec un homme étique, infécond. En outre, si la femme est apte à consommer de la terouma (par exemple la fille d’un Cohen), et l’amant étique est de basse extraction (par exemple, né d’une relation adultère ou incestueuse), il lui fait perdre à jamais le droit de consommer la terouma. Ainsi, pour Chemouel, la formule « celui qui n’est pas un homme », employée par notre michna, ne s’applique pas à un amant étique. חוּץ מִן הַקָּטָן וְכוּ׳ אִישׁ אָמַר רַחֲמָנָא וְלֹא קָטָן וְשֶׁאֵינוֹ אִישׁ לְמַעוֹטֵי מַאי אִילֵּימָא לְמַעוֹטֵי שָׁחוּף וְהָאָמַר שְׁמוּאֵל שָׁחוּף מְקַנִּין עַל יָדוֹ וּפוֹסֵל בִּתְרוּמָה
Avant de proposer une autre explication, la guemara s’interroge sur la déclaration de Chemouel : pourquoi a-t-il dû préciser qu’une femme est soumise à l’épreuve des eaux amères même si l’homme visé par la mise en garde du mari était étique ? C’est évident ! Qu’aurait-on pu penser ? À propos de la sota, la Tora se réfère au cas où « un homme a une relation charnelle féconde avec elle » (ibid. 5, 13), ce qui semble exclure un amant étique, sans vigueur virile. Aussi Chemouel a-t-il précisé que la mise en garde du mari est valable même s’il a interdit à sa femme de s’isoler avec cet homme. מְקַנִּין עַל יָדוֹ פְּשִׁיטָא מַהוּ דְּתֵימָא וְשָׁכַב אִישׁ אֹתָהּ שִׁכְבַת זֶרַע אָמַר רַחֲמָנָא וְהָא לָאו בַּר הָכִי הוּא קָא מַשְׁמַע לַן
La seconde partie de l’enseignement de Chemouel – « Et si la femme est apte à consommer de la terouma (par exemple la fille d’un Cohen), et l’amant étique est de basse extraction, il lui fait perdre à jamais le droit de consommer la terouma » – semble évidente, elle aussi. En effet, il est écrit (Lév. 22, 12) : « Quand la fille d’un Cohen aura été à un étranger, elle ne mangera plus du prélèvement sacré » et Rav en déduit (voir Yebamot 68a) que toute fille de Cohen qui s’est unie à un homme qui lui était interdit (c’est ce qu’on entend ici par « étranger ») n’a plus le droit de consommer la terouma. Qu’aurait-on pu penser ? À propos du Cohen Gadol, il est écrit (ibid. 21, 15) : « Il ne profanera [ye‘halel] pas sa descendance. » Le terme ye‘halel (avec deux lamed, au lieu de ya‘hel, avec un seul), laisse entendre que l’union interdite d’un Cohen Gadol cause une double profanation : celle de sa femme et celle de sa descendance, l’une et l’autre étant privées du droit de consommer la terouma. Cependant, puisque les deux profanations sont évoquées par la même formule, on aurait pu comprendre ainsi : une femme n’est « profanée » et interdite de terouma que si elle a une relation interdite avec un homme qui peut avoir une descendance, et non avec un homme étique. Aussi Chemouel nous a-t-il détrompés. וּפוֹסֵל בִּתְרוּמָה פְּשִׁיטָא מַהוּ דְּתֵימָא לֹא יְחַלֵּל זַרְעוֹ אָמַר רַחֲמָנָא דְּאִית לֵיהּ זֶרַע לִיחַלֵּל דְּלֵית לֵיהּ זֶרַע לָא לִיחַלֵּל קָא מַשְׁמַע לַן
En tout état de cause, Chemouel a déclaré explicitement que la mise en garde peut viser un homme étique. Mais alors, la question se pose de nouveau : qui est visé par la formule de la michna : « celui qui n’est pas un homme » ? Vient-elle exclure un non-juif ? Pourtant, Rav Hamnouna a déclaré : la mise en garde est valable même si l’amant visé est un non-juif, et si la femme était la fille ou la femme d’un Cohen, en s’unissant avec elle le non-juif lui fait perdre à jamais le droit de consommer la terouma. וְאֶלָּא לְמַעוֹטֵי נׇכְרִי וְהָאָמַר רַב הַמְנוּנָא נׇכְרִי מְקַנִּין עַל יָדוֹ וּפוֹסֵל בִּתְרוּמָה

Le Talmud Steinsaltz (Steinsaltz Center)

Traduit paragraphe par paragraphe; commenté par le Rabbin Adin Even-Israël Steinsaltz.

Ainsi, pour Rav Hamnouna, la formule « celui qui n’est pas un homme » ne se rapporte pas à un amant païen. Avant d’avancer une troisième explication, la guemara s’interroge sur l’enseignement de cet Amora. Pourquoi a-t-il précisé qu’une femme est soumise à l’épreuve des eaux amères même si l’amant visé par la mise en garde du mari était un non-juif ? C’est évident ! La guemara répond comme précédemment : qu’aurait-on pu penser ? L’expression « elle a été souillée » est répétée deux fois, une fois pour interdire la femme adultère à son mari, et une autre fois pour l’interdire à son amant, même après le divorce ou la mort du mari. Ainsi, on aurait pu croire que l’accusée est soumise à l’épreuve des eaux amères seulement si elle devient interdite à l’amant à la suite de l’adultère, et non s’il lui était défendu auparavant parce que non-juif. Aussi Rav Hamnouna nous a-t-il détrompés. מְקַנִּין עַל יָדוֹ פְּשִׁיטָא מַהוּ דְּתֵימָא נִטְמָאָה נִטְמָאָה שְׁתֵּי פְּעָמִים אֶחָד לַבַּעַל וְאֶחָד לַבּוֹעֵל הֵיכָא דְּקָמִיתַּסְרָא בְּהָא זְנוּת אֲבָל הָא הוֹאִיל וַאֲסִירָא וְקָיְימָא אֵימָא לָא קָמַשְׁמַע לַן
La seconde partie de l’enseignement de Rav Hamnouna – « Et l’amant non-juif fait perdre à la femme le droit de consommer la terouma » – semble évidente, elle aussi ! Qu’aurait-on pu penser ? On a vu précédemment que la fille d’un Cohen qui a eu une relation illicite est interdite de terouma, selon le verset : « Et quand une fille de Cohen aura été à un étranger. » On aurait pu en conclure qu’elle perd le droit de consommer la terouma seulement si elle s’est unie à un homme qui peut la posséder, c’est-à-dire établir avec elle des liens matrimoniaux, et non à un non-juif qui n’en a pas la capacité (voir Sanhédrin 52b). Aussi Rav Hamnouna a-t-il précisé qu’un amant non-juif la prive, lui aussi, du droit de consommer la terouma, וּפוֹסֵל בִּתְרוּמָה פְּשִׁיטָא מַהוּ דְּתֵימָא וּבַת כֹּהֵן כִּי תִהְיֶה לְאִישׁ זָר אָמַר רַחֲמָנָא דְּבַר הֲוָיָה אִין דְּלָאו בַּר הֲוָיָה לָא קָמַשְׁמַע לַן דְּפָסֵיל מִדְּרַבִּי יוֹחָנָן
conformément à cet enseignement de Rabbi Yo‘hanan au nom de Rabbi Yichma‘el : de quel passage biblique déduisons-nous qu’un non-juif ou un esclave qui se sont unis à la fille d’un Cohen, la fille d’un Lévite ou la fille d’un simple Israélite, les rendent inaptes dorénavant à consommer de la terouma ? Du verset (Lév. 22, 13) : « Si la fille d’un Cohen devient veuve ou divorcée, qu’elle n’a pas de postérité et qu’elle retourne à la maison de son père comme en sa jeunesse, elle mangera du pain de son père. » D’après ce verset, elle ne pourra consommer la terouma que si elle s’est unie à un Juif – avec qui elle peut établir des liens matrimoniaux susceptibles de faire d’elle une veuve ou une divorcée – et pas à un non-juif ou à un esclave qui ne peuvent pas la lier par des engagements matrimoniaux, et donc ne sauraient lui conférer le statut de veuve ou de divorcée. דְּאָמַר רַבִּי יוֹחָנָן מִשּׁוּם רַבִּי יִשְׁמָעֵאל מִנַּיִן לְנׇכְרִי וְעֶבֶד שֶׁבָּאוּ עַל הַכֹּהֶנֶת וְעַל הַלְּוִיָּיה וְעַל בַּת יִשְׂרָאֵל שֶׁפְּסָלוּהָ שֶׁנֶּאֱמַר וּבַת כֹּהֵן כִּי תִהְיֶה אַלְמָנָה וּגְרוּשָׁה מִי שֶׁיֵּשׁ לוֹ אַלְמְנוּת וְגֵירוּשִׁין בָּהּ יָצְאוּ נׇכְרִי וְעֶבֶד שֶׁאֵין לוֹ אַלְמְנוּת וְגֵירוּשִׁין בָּהּ
En tout état de cause, Rav Hamnouna a déclaré explicitement que la mise en garde du mari peut viser un amant non-juif. Mais alors, la question se pose de nouveau : qui est exclu par la formule de la michna « celui qui n’est pas un homme » ? Rav Papa répond : elle exclut le cas où le mari a défendu à sa femme de s’unir à un animal ; cette mise en garde n’a aucune valeur, car la relation éventuelle de la femme avec un animal n’est pas considérée comme un « adultère » interdisant la poursuite de la vie conjugale. וְאֶלָּא לְמַעוֹטֵי מַאי אָמַר רַב פָּפָּא לְמַעוֹטֵי בְּהֵמָה דְּאֵין זְנוּת בִּבְהֵמָה
Rava de Parzakeya a demandé à Rav Achi : de quel passage biblique déduisons-nous cette règle énoncée par les Sages, selon laquelle une relation avec un animal n’est pas considérée comme un adultère ? Rav Achi lui répondit – Il est écrit (Deut. 23, 19) : « Tu n’apporteras pas dans la maison de l’Éternel ton Dieu comme offrande votive d’aucune sorte le salaire d’une prostituée [étnan zona] ni le prix d’un chien [me‘hir kélev], car tous deux sont une abomination pour l’Éternel, ton Dieu. » Le « salaire d’une prostituée » fait référence à un agneau qui lui a été donné pour ses services, alors que le « prix d’un chien » désigne l’agneau échangé contre un chien lors d’une transaction. אֲמַר לֵיהּ רָבָא מִפַּרְזִקְיָא לְרַב אָשֵׁי מְנַָא הָא מִילְּתָא דַּאֲמוּר רַבָּנַן אֵין זְנוּת בִּבְהֵמָה דִּכְתִיב לֹא תָבִיא אֶתְנַן זוֹנָה וּמְחִיר כֶּלֶב וְגוֹ׳
Et une baraïta précise : il ressort de ce verset que « le salaire d’un chien » [étnan kélev], c’est-à-dire l’agneau donné comme salaire à une prostituée ayant accepté de s’accoupler à un chien, « et le prix d’une prostituée » [me‘hir zona] – l’agneau reçu par un maître en échange de son esclave prostituée, peuvent être apportés en sacrifice. En effet, il est dit : « tous deux – “le salaire d’une prostituée et le prix d’un chien” – sont une abomination pour l’Éternel » ; ces deux-là, et pas quatre (les deux autres). À l’évidence, le étnan kélev peut être offert en sacrifice, car l’accouplement avec un chien, perversion passible de la peine de mort, n’est pas considéré comme un acte de prostitution – de sorte que l’agneau offert au titre d’étnan kélev n’est pas assimilé « au salaire d’une prostituée ». De même, un animal n’est pas « un amant » interdisant la femme à son mari pour cause d’adultère. וְתַנְיָא אֶתְנַן כֶּלֶב וּמְחִיר זוֹנָה מוּתָּרִין שֶׁנֶּאֱמַר גַּם שְׁנֵיהֶם שְׁנַיִם וְלֹא אַרְבָּעָה
On a vu précédemment que Chemouel impose l’épreuve des eaux amères même si la mise en garde, enfreinte par la femme, visait un homme étique. Mais alors, pourquoi la Tora a-t-elle parlé à propos de la sota d’« une relation charnelle féconde » (Nbres 5, 13) ? On en a besoin pour l’interprétation rapportée dans cette baraïta : « La formule de la Tora “une relation charnelle féconde” vient exclure autre chose. » וְאֶלָּא שִׁכְבַת זֶרַע לְמָה לִי מִיבְּעֵי לֵיהּ לְכִדְתַנְיָא שִׁכְבַת זֶרַע פְּרָט לְדָבָר אַחֵר
La guemara s’interroge : à quoi cet euphémisme fait-il allusion ? Rav Chèchet explique : la baraïta a voulu exclure la mise en garde contre une relation contre nature avec l’amant présumé. Rava lui objecta : la femme est interdite à son mari même dans ce cas, puisqu’il est écrit à propos des rapports homosexuels (Lév. 18, 22) – « Ne couche pas avec un mâle comme [l’une] des deux [manières] de coucher avec une femme. » L’Écriture établissant une analogie entre les deux formes de rapports possibles avec une femme, celle-ci est interdite si elle s’est unie d’une manière ou d’une autre à son amant et la mise en garde du mari à ce sujet est valable. מַאי דָּבָר אַחֵר אָמַר רַב שֵׁשֶׁת פְּרָט לְשֶׁקִּינֵּא לָהּ שֶׁלֹּא כְּדַרְכָּהּ אֲמַר לֵיהּ רָבָא שֶׁלֹּא כְּדַרְכָּהּ מִשְׁכְּבֵי אִשָּׁה כְּתִיב
Mais en réalité, affirme Rava, la formule « une relation charnelle féconde » vient exclure le cas le mari a mis sa femme en garde contre des contacts intimes peau à peau sans contact entre les deux sexes. Abayè lui objecta : ce contact corporel étant un simple acte d’impudicité qui, bien que répréhensible, n’interdit pas la femme à son mari, une mise en garde à ce sujet n’a aucune valeur selon l’Écriture ! אֶלָּא אָמַר רָבָא פְּרָט לְשֶׁקִּינֵּא לָהּ דֶּרֶךְ אֵבָרִים אֲמַר לֵיהּ אַבָּיֵי פְּרִיצוּתָא בְּעָלְמָא הִיא וּפְרִיצוּתָא מִי אָסַר רַחֲמָנָא
Mais en réalité, affirme Abayè, la formule « une relation charnelle féconde » vient exclure le cas le mari met en garde sa femme de rapprocher son corps nu de celui de l’amant présumé au point que leurs sexes se touchent. Cette explication, argumente la guemara, s’accorde avec l’avis de Rabbi Yo‘hanan (Yebamot 55b) considérant qu’en regard de la loi, l’intromission de l’organe viril jusqu’au niveau de la partie la plus large du gland est considérée comme une relation sexuelle, mais pas un simple frôlement des deux sexes. Selon cette opinion, on comprend que le verset soit venu exclure ce frôlement, car on aurait pu l’assimiler à une relation et interdire la femme à son mari. Mais d’après Chemouel (ibid.) qui soutient que ce frôlement est déjà considéré comme une relation, que peut-on répondre ? Que vient exclure le verset ? אֶלָּא אָמַר אַבָּיֵי פְּרָט לְשֶׁקִּינֵּא לָהּ בִּנְשִׁיקָה הָנִיחָא לְמַאן דְּאָמַר הַעֲרָאָה זוֹ הַכְנָסַת עֲטָרָה אֲבָל נְשִׁיקָה וְלֹא כְּלוּם הִיא הַיְינוּ דְּאָתֵי קְרָא לְמַעוֹטֵי נְשִׁיקָה אֶלָּא לְמַאן דְּאָמַר הַעֲרָאָה זוֹ נְשִׁיקָה מַאי אִיכָּא לְמֵימַר
Selon Chemouel, répond la guemara, on peut maintenir que la formule « une relation charnelle féconde » vient exclure le cas le mari a mis sa femme en garde contre le contact de son corps nu avec celui de son amant – sans que leurs sexes se touchent entre eux. Qu’aurait-on pu penser ? La Tora ayant lié l’interdiction de la femme à la rancœur de son mari révélée par sa mise en garde, elle doit lui être défendue si elle a passé outre à l’avertissement de ne pas avoir de contact corporel avec un autre homme, puisque son mari a dévoilé son ressentiment en s’y opposant explicitement. Aussi la Tora nous a-t-elle détrompés sur ce point. לְעוֹלָם לְשֶׁקִּינֵּא לָהּ דֶּרֶךְ אֵבָרִים וּמַהוּ דְּתֵימָא בִּקְפִידָא דְבַעַל תַּלְיָא רַחֲמָנָא וּבַעַל הָא קָא קָפֵיד קָמַשְׁמַע לַן
Chemouel a déclaré : il vaut mieux épouser אָמַר שְׁמוּאֵל יִשָּׂא אָדָם