Le cérémonial pour une femme soupçonnée d’adultère est décrit dans cet ordre par la Tora : « Le Cohen écrira ces imprécations dans le livre et [l’] effacera dans les eaux amères » (Nbres 5, 23). Puis – « Et il fera boire à la femme les eaux de la malédiction... » (v. 24). Ensuite – « Le Cohen fera un balancement de l’offrande... et l’approchera de l’autel » (v. 25). « Le Cohen prélèvera une poignée, la fera fumer sur l’autel puis il fera boire les eaux [amères] à la femme » (v. 26). Et enfin : « Il lui fera boire les eaux... » (v. 27). En vue d’expliquer la controverse entre le Tana anonyme de la michna et Rabbi Chim‘on, la guemara rapporte une baraïta« Et il fera boire. » Pourquoi la Tora a-t-elle mentionné au verset 24, entre l’effacement du rouleau et l’obligation de faire fumer la poignée de farine, que le Cohen fera boire à la femme les eaux amères ? Pourtant il est dit au verset 27 – « Il lui fera boire les eaux amères », et il est clair que la femme n’est soumise à cette épreuve qu’après que tous les rites de l’offrande ont été effectués, puisqu’il est écrit explicitement au verset 26 : « puis il fera boire les eaux [amères] à la femme » ! Réponse : on déduit de la répétition de la formule « il fera boire » que dans le cas où l’accusée refuse de boire alors que le rouleau a déjà été effacé – fût-ce avant la combustion de la poignée de farine, contrairement à la règle prescrivant de retarder l’effacement le plus longtemps possible – le Cohen la contraint à ouvrir la bouche et lui fait boire les eaux amères contre son gré si elle persiste à clamer son innocence – telles sont les paroles de Rabbi ‘Akiba. Selon cette explication, si la Tora a mentionné aussitôt après l’effacement du rouleau (au verset 24) que le Cohen « fera boire les eaux amères de la malédiction », c’est donc pour enseigner qu’une fois ce stade franchi, l’épreuve des eaux amères devient inévitable, à moins que la femme n’avoue son infidélité. תָּנוּ רַבָּנַן וְהִשְׁקָה מָה תַּלְמוּד לוֹמַר וַהֲלֹא כְּבָר נֶאֱמַר וְהִשְׁקָהּ שֶׁאִם נִמְחֲקָה מְגִילָּה וְאוֹמֶרֶת אֵינִי שׁוֹתָה מְעַרְעֲרִין אוֹתָהּ וּמַשְׁקִין אוֹתָהּ בְּעַל כׇּרְחָהּ דִּבְרֵי רַבִּי עֲקִיבָא
Rabbi Chim‘on, lui, enseignePourquoi la Tora a-t-elle précisé au verset 26 : « puis il fera boire » ? Pourtant, la formule « et il lui fera boire », écrite au verset suivant, à la fin de la procédure, laisse déjà clairement entendre que l’épreuve succède à l’offrande ! Mais à l’évidence, l’ordre de succession est ainsi souligné pour nous enseigner que l’épreuve des eaux amères intervient au terme de toute la procédure indiquée. Le verset nous enseigne donc que l’épreuve des eaux amères est subordonnée à trois conditions préalables : on ne peut pas faire boire la femme tant que la poignée de farine de son offrande n’a pas été apportée sur l’autel, tant que le rouleau n’a pas été effacé, et tant qu’elle n’a pas accepté le serment prononcé par le Cohen. רַבִּי שִׁמְעוֹן אוֹמֵר וְאַחַר יַשְׁקֶה מָה תַּלְמוּד לוֹמַר וַהֲלֹא כְּבָר נֶאֱמַר וְהִשְׁקָהּ אֶלָּא לְאַחַר כׇּל מַעֲשִׂים כּוּלָּן הָאֲמוּרִין לְמַעְלָה מַגִּיד שְׁלֹשָׁה דְּבָרִים מְעַכְּבִין בָּהּ עַד שֶׁלֹּא קָרַב הַקּוֹמֶץ וְעַד שֶׁלֹּא נִמְחֲקָה מְגִילָּה וְעַד שֶׁלֹּא תְּקַבֵּל עָלֶיהָ שְׁבוּעָה
Quant à l’affirmation de Rabbi Chim‘on selon laquelle l’épreuve des eaux amères n’est pas imposée à l’accusée tant que la poignée de farine n’a pas été apportée sur l’autel, elle se comprend fort bien : elle est en effet conforme à son opinion – citée dans la michna – recommandant d’apporter d’abord l’offrande puis de faire boire l’accusée. עַד שֶׁלֹּא קָרַב הַקּוֹמֶץ רַבִּי שִׁמְעוֹן לְטַעְמֵיהּ דְּאָמַר מַקְרִיב אֶת מִנְחָתָהּ וְאַחַר כָּךְ מַשְׁקָהּ
Mais avait-il besoin de préciser que la femme ne subit pas l’épreuve des eaux amères tant que le rouleau n’a pas été effacé ? À ce stade, que lui ferait-on boire ? Les eaux n’ont aucun effet tant que l’encre du rouleau ne s’y est pas diluée ! Rav Achi répond : Rabbi Chim‘on a eu besoin de le préciser pour enseigner qu’on ne saurait soumettre l’accusée à l’épreuve des eaux amères avant d’avoir effacé toute trace de l’écrit visible à l’œil nu. עַד שֶׁלֹּא נִמְחֲקָה מְגִילָּה אֶלָּא מַאי מַשְׁקֶה לַהּ אָמַר רַב אָשֵׁי לֹא נִצְרְכָה לְשֶׁרִישּׁוּמוֹ נִיכָּר
Enfin, Rabbi Chim‘on a enseigné qu’elle ne boit pas les eaux amères tant qu’elle n’a pas accepté le serment prononcé par le Cohen. Est-ce à dire que c’est l’épreuve des eaux amères qui ne saurait lui être imposée sans ce préalable, mais que l’on peut en revanche écrire le rouleau même si cette condition n’a pas encore été remplie ? Pourtant Rava a enseigné (en 17b) que le rouleau d’une femme soupçonnée d’adultère qui aurait été écrit avant qu’elle ait accepté le serment n’a aucune valeur ! Effectivement, admet la guemara, il était inutile de préciser que l’accusée ne boit pas avant d’avoir accepté le serment puisque, tant qu’elle n’a pas rempli cette condition, on n’écrit pas le rouleau. עַד שֶׁלֹּא תְּקַבֵּל עָלֶיהָ שְׁבוּעָה מִישְׁתָּא הוּא דְּלָא שָׁתְיָא הָא מִיכְתָּב כָּתְבִי לַהּ וְהָאָמַר רָבָא מְגִילַּת סוֹטָה שֶׁכְּתָבָהּ קוֹדֶם שֶׁתְּקַבֵּל עָלֶיהָ שְׁבוּעָה לֹא עָשָׂה וְלֹא כְלוּם כְּדִי נַסְבַהּ

Le Talmud Steinsaltz (Steinsaltz Center)

Traduit paragraphe par paragraphe; commenté par le Rabbin Adin Even-Israël Steinsaltz.

Une fois citée la baraïta clarifiant le point de vue de Rabbi Chim‘on, la guemara s’interroge : sur quoi porte la discussion entre le premier Tana et Rabbi Chim‘on dans notre michna ? Réponse – Elle porte sur le sens des trois versets qui sont écrits pour désigner la même action : « et il fera boire » (v. 24), « puis il fera boire » (v. 26), et de nouveau « et il fera boire » (v. 27). בְּמַאי קָמִיפַּלְגִי תְּלָתָא קְרָאֵי כְּתִיבִי וְהִשְׁקָה קַמָּא וְאַחַר יַשְׁקֶה וְהִשְׁקָהּ בָּתְרָא
Selon les Sages, représentés par le Tana anonyme, la première fois qu’il est écrit : « il fera boire », c’est pour enseigner expressément que le Cohen la fait boire d’abord et seulement après apporte son offrande. Et s’il est écrit ensuite : « puis il fera boire », c’est parce que ce verset est nécessaire pour enseigner qu’il la fait boire seulement après qu’a disparu toute trace de l’écrit visible à l’œil nu. Enfin, la troisième occurrence, soit la seconde fois qu’intervient la formule « il fera boire », nous enseigne que si l’accusée refuse de boire alors que le rouleau a déjà été effacé, le Cohen la contraint à ouvrir la bouche et lui fait boire les eaux amères contre son gré. Telle est l’interprétation des Sages. רַבָּנַן סָבְרִי וְהִשְׁקָה קַמָּא לְגוּפוֹ שֶׁמַּשְׁקֶה וְאַחַר כָּךְ מַקְרִיב אֶת מִנְחָתָהּ וְאַחַר יַשְׁקֶה מִיבְּעֵי לֵיהּ לְשֶׁרִישּׁוּמוֹ נִיכָּר וְהִשְׁקָהּ בָּתְרָא שֶׁאִם נִמְחֲקָה מְגִילָּה וְאוֹמֶרֶת אֵינִי שׁוֹתָה מְעַרְעֲרִין אוֹתָהּ וּמַשְׁקֶה אוֹתָהּ בְּעַל כׇּרְחָהּ
Mais selon Rabbi Chim‘on, la signification des trois occurrences est différente : « puis il fera boire » vient expressément pour enseigner que le Cohen apporte d’abord son offrande et seulement après la fait boire. Quant à l’occurrence qui précède, soit la première fois qu’intervient la formule : « il fera boire », elle vient pour enseigner que si l’ordre a été inversé et que le Cohen l’a fait boire d’abord et qu’après seulement il a apporté son offrande, le rituel est néanmoins valable a posteriori. Enfin la troisième occurrence, soit la seconde fois qu’intervient la formule « et il fera boire », elle vient enseigner que si l’accusée refuse de boire alors que le rouleau a déjà été effacé, le Cohen la contraint à ouvrir la bouche et lui fait boire les eaux amères contre son gré. וְרַבִּי שִׁמְעוֹן סָבַר וְאַחַר יַשְׁקֶה לְגוּפוֹ שֶׁמַּקְרִיב אֶת מִנְחָתָהּ וְאַחַר כָּךְ מַשְׁקָהּ וְהִשְׁקָה קַמָּא שֶׁאִם הִשְׁקָהּ וְאַחַר כָּךְ הִקְרִיב אֶת מִנְחָתָהּ כְּשֵׁרָה וְהִשְׁקָהּ בָּתְרָא שֶׁאִם נִמְחֲקָה מְגִילָּה וְאָמְרָה אֵינִי שׁוֹתָה מְעַרְעֲרִין אוֹתָהּ וּמַשְׁקִין אוֹתָהּ בְּעַל כׇּרְחָהּ
Mais selon les Sages, représentés par le Tana anonyme de la michna, l’Écriture ne commence pas par valider le rituel a posteriori. Par conséquent la première occurrence de la formule « et il fera boire » ne peut pas se rapporter au Cohen qui aurait inversé l’ordre prescrit et fait boire la femme soupçonnée d’adultère avant d’apporter son offrande. De manière générale, en effet, la Tora mentionne d’abord l’ordre prescrit, et c’est seulement après qu’elle explique ce qu’il en est si cet ordre n’a pas été respecté. וְרַבָּנַן בְּדִיעֲבַד לָא פָּתַח קְרָא
Et Rabbi ‘Akiba, interroge la guemara, pense-t-il réellement qu’on la fait boire contre son gré dans le cas où elle s’y refuse après que l’encre du rouleau a été effacée ? Pourtant une baraïta enseigne : « Selon Rabbi Yehouda, on introduit un crochet en fer dans sa bouche, de sorte que si le rouleau a été effacé et qu’elle refuse de boire, on la contraigne à ouvrir la bouche et on lui fasse boire les eaux amères contre son gré. Selon Rabbi ‘Akiba, en revanche, le recours au rituel des eaux amères n’a d’autre enjeu que d’éprouver son innocence, or celle qui refuse de boire n’est-elle pas suffisamment éprouvée ? » Autrement dit, il est inutile de la contraindre à boire puisque son refus équivaut à un aveu de culpabilité ! En réalité, il faut comprendre ainsi l’enseignement de Rabbi ‘Akiba : tant que la poignée de farine de son offrande n’a pas été apportée sur l’autel, elle peut refuser de boire, car son refus équivaut alors à un aveu, mais dès lors que la poignée de farine a été apportée sur l’autel, elle ne peut plus refuser. וְסָבַר רַבִּי עֲקִיבָא מַשְׁקִין אוֹתָהּ בְּעַל כׇּרְחָהּ וְהָתַנְיָא רַבִּי יְהוּדָה אוֹמֵר כַּלְבּוֹס שֶׁל בַּרְזֶל מְטִילִין לְתוֹךְ פִּיהָ שֶׁאִם נִמְחֲקָה מְגִילָּה וְאָמְרָה אֵינִי שׁוֹתָה מְעַרְעֲרִין אוֹתָהּ וּמַשְׁקִין אוֹתָהּ בְּעַל כׇּרְחָהּ אָמַר רַבִּי עֲקִיבָא כְּלוּם אָנוּ צְרִיכִין אֶלָּא לְבוֹדְקָהּ וַהֲלֹא בְּדוּקָה וְעוֹמֶדֶת אֶלָּא עַד שֶׁלֹּא קָרַב הַקּוֹמֶץ יְכוֹלָה לַחֲזוֹר בָּהּ מִשֶּׁקָּרַב הַקּוֹמֶץ אֵינָהּ יְכוֹלָה לַחֲזוֹר בָּהּ
La guemara s’étonne : et d’après toi qui expliques ainsi l’enseignement de Rabbi ‘Akiba, s’ensuit que cette baraïta présente une difficulté« Dès lors que la poignée de farine a été apportée sur l’autel, elle ne peut plus refuser de boire »– pourquoi donc ne le peut-elle pas ? N’est-elle pas précisément éprouvée ? Autrement dit, selon Rabbi ‘Akiba, son refus de boire n’équivaut-il pas à un aveu de culpabilité avant comme après l’oblation ? וְלִיטַעְמָיךְ תִּיקְשֵׁי לָךְ הִיא גּוּפַהּ מִשֶּׁקָּרַב הַקּוֹמֶץ אֵינָהּ יְכוֹלָה לַחֲזוֹר בָּהּ וַהֲלֹא בְּדוּקָה וְעוֹמֶדֶת
En réalité, il n’y a pas de difficulté, car il faut comprendre ainsi l’enseignement de Rabbi ‘Akiba : celle qui refuse de boire parce qu’elle est impressionnée, on la fait boire contre son gré, car elle est peut-être innocente, ne refusant de boire que parce qu’elle est effrayée par le rituel des eaux amères ; mais celle qui refuse de boire en toute quiétude, il n’est pas nécessaire de la faire boire contre son gré puisque son refus équivaut alors à un aveu de culpabilité. לָא קַשְׁיָא הָא דְּקָהָדְרָא בַּהּ מֵחֲמַת רְתִיתָא וְהָא דְּקָהָדְרָא בָּהּ מֵחֲמַת בְּרִיּוּתָא
Et voici donc ce que Rabbi ‘Akiba a enseigné : toute femme qui refuse de boire en toute quiétude, la règle est qu’elle ne boit pas, puisque son refus équivaut à un aveu de culpabilité, mais si une femme refuse de boire parce qu’elle est impressionnée, on distingue deux cas – Si c’est avant que le Cohen ait apporté la poignée de farine en offrande, et que le rouleau n’a donc pas encore été effacé, ou bien même si le rouleau a été effacé avant qu’on ait apporté l’offrande, puisque dans ce cas ce n’est pas à bon droit que les Cohanim ont effacé l’encre du rouleau, elle peut refuser de boire. En revanche, dès lors que le Cohen a apporté la poignée de farine en offrande et que c’est donc à bon droit que les Cohanim ont déjà effacé le rouleau, elle ne peut plus refuser de boire et on la contraint donc à boire malgré elle. On peut en effet supposer qu’elle est innocente et que son refus de se soumettre à l’épreuve est motivé par une crainte irraisonnée. Suivant cette explication, dans la première baraïta citée plus haut, quand Rabbi ‘Akiba a recommandé de la faire boire de force, il se référait donc au cas d’une femme qui, après la combustion de la poignée de farine sur l’autel, craint de boire les eaux amères parce qu’elle est impressionnée. וְהָכִי קָאָמַר כׇּל מֵחֲמַת בְּרִיּוּתָא כְּלָל כְּלָל לָא שָׁתְיָא מֵחֲמַת רְתִיתָא עַד שֶׁלֹּא קָרַב הַקּוֹמֶץ דְּאַכַּתִּי לָא אִמְּחוּק מְגִילָּה אִי נָמֵי אִמְּחוּק מְגִילָּה דְּשֶׁלֹּא כְּדִין עֲבוּד כֹּהֲנִים דְּמַחֲקִי מָצְיָ[א] הָדְרָא בָּהּ מִשֶּׁקָּרַב הַקּוֹמֶץ דִּבְדִין עֲבוּד כֹּהֲנִים דְּמָחֲקִי לָא מָצֵי הָדְרָא בָּהּ