Dans le chapitre précédent, nous avons évoqué la différence entre la merirout, « l’amertume », qui est le type de mal-être qui conduit à une activité positive, et la atsvout, que nous avons traduit par « tristesse ». La merirout implique une reconnaissance de ses fautes, mais elle est basée sur un sentiment positif de bien-être qui nous pousse vers une solution. La atsvout, en revanche, est un sentiment sans vie qui ne produit aucun résultat positif. Elle conduit à l’inactivité et cause des dégâts intérieurs.
Pourquoi une personne ressent-elle de la atsvout alors qu’une autre ressent de la merirout ? Quelle est la source respective de chacun de ces sentiments et qu’est-ce qui nous rend enclins à l’un ou l’autre ?
Et encore une question, sur un sujet connexe : dans les chapitres précédents, nous avons expliqué qu’en cas de dépression, une personne doit chasser les pensées perturbatrices de son esprit. Au bout du compte, elle devra parvenir à reconnaître que tout vient de D.ieu, et que tout est donc essentiellement bon. Toutefois, à un niveau immédiat et pratique, la manière la plus efficace de traiter un problème est de chasser les pensées négatives et déprimantes de son esprit. La cause directe du déplaisir que nous ressentons n’est pas l’événement négatif en soi, mais le fait même que nous y pensons. Si une personne était capable d’écarter de son esprit les pensées qui la contrarient, elle n’éprouverait pas autant de malaise.
Ce concept nécessite également une explication. S’il est tellement plus confortable de chasser les pensées négatives de notre esprit, pourquoi n’est-ce pas facile à faire ? Pourquoi est-il si difficile de lâcher prise ? Pourquoi nous accrochons-nous à quelque chose qui nous détruit ?
La raison tient en un mot : la yechout. La yechout est l’obsession de soi. Il est certes important d’avoir une image de soi positive. Une personne doit se sentir forte, confiante et résiliente. Sans ces sentiments positifs, elle ne pourra pas fonctionner correctement dans ses relations avec les autres ni, d’ailleurs, dans sa relation avec D.ieu.1
Mais la yechout dépasse l’image positive de soi. C’est une approche dans laquelle le « moi » est au cœur de l’être et domine consciemment et inconsciemment son approche de la vie. Cette approche est la source de la dépression. Tout ce qui arrive à une telle personne, tout ce qui se passe dans sa vie tourne autour d’une seule et unique question : comment cela affecte-t-il son « moi » ?
Chacun est amené à vivre des choses qui ne correspondent pas à son idéal de ce que les choses devraient être. Et il est probable que chacun d’entre nous échouera de temps en temps à réaliser certains objectifs, ou sera blessé par d’autres personnes. Lorsqu’une personne est concentrée sur son ego, ces facteurs blessent son sens de soi et provoquent un mal-être. Le pire, toutefois, est lorsqu’elle s’accroche à cette blessure et refuse de la lâcher. Elle ne peut pas lâcher prise, car c’est de son « moi » qu’il s’agit, et son « moi » est tout ce qui l’intéresse.
Une personne qui n’est pas centrée sur elle-même sera en mesure de lâcher prise. La vie est ainsi : nous ne réussissons pas à chaque fois, nos rêves ne se réalisent pas toujours et nos relations ne fonctionnent pas toutes. Une personne qui n’est pas très égocentrique peut dépasser un échec temporaire, poursuivre sa vie, et le faire avec joie.
Il n’y a pas d’absolus ici. Tout le monde pense à soi, mais de quelle manière ? Prenons l’exemple suivant : un médecin soigne un patient atteint d’une maladie difficile, et il réussit à le guérir. Il sera sûrement heureux, mais il y a deux raisons possibles à son bonheur.
La première est liée au bien qu’il a accompli : un patient était en souffrance, sa vie était en danger et cette personne va désormais pouvoir vivre une vie heureuse et fructueuse et continuer d’apporter de la joie à sa famille.
La deuxième raison se concentre sur le pouvoir d’accomplissement du médecin lui-même. Il est fier et heureux d’être celui par qui la guérison a pu avoir lieu. C’est son sens du « moi » qui le rend heureux.
Il en va de même lorsque, à D.ieu ne plaise, la situation est inversée et que le médecin déploie de grands efforts pour sauver la vie d’un patient, mais qu’il se rend compte qu’il n’y parviendra peut-être pas. Certains médecins seront très bouleversés du fait qu’un être humain est en train de mourir. La vue des visages tristes des proches du malade lui brise le cœur.
D’autres médecins seront également contrariés, mais leur principale pensée sera : « J’ai échoué ». Ils seront déçus de ne pas avoir réussi à guérir le patient, non pas tant pour le bien de celui-ci que pour le leur. Ils souffrent lorsque eux ne réussissent pas.
Nous sommes tous habités par ces deux motivations. Chacun de nous partage un certain degré de sensibilité envers les autres, et chacun de nous a un certain degré de souci de soi. La question est de savoir quel est le principal facteur de motivation d’une personne.
Quelqu’un que l’on peut qualifier de « yech », c’est-à-dire préoccupé par soi-même, est motivé par son ego. C’est ce qui le pousse à aller de l’avant tout au long de la journée. En revanche, quelqu’un de « batel », de désintéressé, se concentre sur les objectifs qu’il cherche à accomplir. Il est également conscient de son « moi ». Il assume ses responsabilités et sait que les autres comptent sur lui. Mais sa propre personne, qu’il réussisse ou échoue, n’est pas son principal point d’intérêt. Son attention est centrée sur les objectifs à atteindre.
Prenons l’exemple suivant : un homme se tient devant un auditoire de 500 personnes à qui il donne une conférence. Dans une telle situation, il a une forte conscience de soi et de ce qu’il fait. Prenons le même homme dans une situation totalement différente : il monte dans un bus et composte son ticket. Est-il conscient qu’il monte dans le bus ? Oui. Est-il conscient qu’il composte son ticket ? Oui. Pense-t-il à lui-même de la même manière que lorsqu’il se trouve sur scène devant tous ces gens ? Absolument pas.
Lors de nos activités quotidiennes ordinaires, nous sommes conscients de ce que nous faisons, mais nous ne relions pas notre ego à nos actes. Nous nous contentons de faire face à la situation qui se présente à nous. En revanche lorsque nous sommes sur scène, ou dans d’autres situations où nous sommes le centre d’attention, nous prenons conscience de nous-mêmes ; nous pensons à la façon dont nous apparaissons aux autres et à ce qu’ils pensent de nous.
Nous voyons donc qu’il y a deux façons de fonctionner. La première consiste à se concentrer sur ce que je fais, sur la tâche qui m’incombe. L’autre est de se concentrer sur le fait que je le fais, de me considérer moi-même plus encore que la tâche que je dois accomplir.
Un yech est une personne dont l’attention est concentrée sur elle-même. Dont les pensées sont occupées par elle-même et par la façon dont tout ce qu’elle rencontre va l’affecter.
Le bitoul, l’opposé de la yechout, est l’annulation du « moi ». Il ne s’agit pas d’écraser sa personnalité, mais de se consacrer à un objectif plus élevé que le « moi » et de s’efforcer constamment d’atteindre cet objectif. Lorsqu’une personne est batel, elle fonctionne sans avoir son esprit conscient occupé par son « moi ». Et c’est cela qui est sain et naturel. Il n’est, au contraire, pas naturel qu’une personne soit monopolisée par la conscience de soi.
Un professeur d’orthopédie enseignait à ses étudiants le mouvement des pieds. Il expliquait comment les différents nerfs, muscles, tendons et os du pied travaillent en harmonie et nous permettent de marcher. Son cours terminé, il sortit de l’amphithéâtre et traversa le campus pour rentrer chez lui. Il se mit à penser à la dynamique de son mouvement, à la façon dont le déplacement de son pied nécessite le fonctionnement synchronisé de tant de parties différentes du corps. Et il essaya de sentir comment ces différentes fonctions se déployaient pendant qu’il avançait.
Pouvez-vous imaginer ce qui s’est passé ? Plus il y pensait, plus sa démarche devenait maladroite, et bientôt il ne pouvait plus marcher du tout. Ses pieds ne bougeaient plus.
Comment put-il reprendre la marche ? En chassant le sujet de son esprit. Il se mit à penser à une autre idée et ne prêta plus attention à ses pieds ; ce n’est qu’alors qu’il put marcher. Car lorsqu’une personne pense trop au fait qu’elle fait quelque chose, elle perd sa capacité à fonctionner naturellement.
Il existe une autre histoire similaire : un rabbin marchait dans la rue. Un passant l’arrêta et admira sa longue barbe blanche. Le rabbin lui sourit gracieusement. Le passant lui posa alors une question : « Rabbin, quand vous dormez la nuit, votre barbe est-elle au-dessus de votre couverture ou en dessous ? »
Le rabbin eut l’air très perplexe et répondit : « Pour vous dire la vérité, je n’en ai absolument aucune idée. »
Le passant ne comprenait pas. « Vous avez cette barbe depuis plus de quarante ans. Ne savez-vous pas ce qui se passe avec elle la nuit ? »
Le rabbin lui répondit : « Je n’en ai aucune idée. »
Pendant les deux semaines qui suivirent, le rabbin ne trouva pas le sommeil. D’abord, il mit sa barbe sous sa couverture et il se sentit mal à l’aise. Puis il la mit par-dessus la couverture et il se sentit mal à l’aise. Il lui était impossible de trouver une position confortable.
Comment était-il parvenu à dormir pendant quarante ans ? Tant qu’il ne pensait pas à cette question, tout se passa bien. Ses problèmes débutèrent quand il se mit à penser consciemment à quelque chose qui devrait venir naturellement.
Ceci est vrai pour tant d’autres choses. Lorsque nous sommes occupés à vivre notre vie, nous ne pensons pas à toutes les choses que nous faisons. Lorsque notre esprit est concentré sur ce qui doit être accompli, nous fonctionnons avec bonheur et succès. Mais lorsqu’une personne devient centrée sur elle-même et se met à penser à la façon dont tout l’affecte elle, ce n’est pas un comportement naturel et cela cause des problèmes.
Les différences entre la yechout et le bitoul sont également au cœur des différences entre et la atsvout et la merirout mentionnées précédemment. Nous avons demandé : pourquoi est-il si difficile de lâcher prise pour certaines personnes ? Si quelqu’un est un yech, il n’y parviendra pas, car toute sa vie tourne autour de son sens du « moi ». Il peut certes comprendre qu’il est préférable de lâcher prise, mais il n’y arrive pas. Bien que cela ne lui apporte qu’irritation et inconfort, il continuera à se morfondre sur une situation donnée et à en ruminer sans cesse les détails. C’est comme s’il n’avait pas d’autre choix. Il est trop attaché à son « moi ». C’est là toute sa vie.
Mais quelqu’un qui est à l’écoute de la dimension profonde de son être, de la divinité qui est en lui, n’est pas attaché à son « moi » à un si haut degré. Si quelque chose de désagréable se produit, il est prêt à lâcher prise. Il a d’autres choses en tête, il pense aux autres tâches qu’il veut accomplir et regarde vers l’avenir, pas vers le passé. De plus, une personne caractérisée par le bitoul accepte davantage D.ieu et Son plan. Mais lorsqu’une personne est un yech, son souci de soi interfère avec l’acceptation de la volonté de D.ieu, car son ego ne peut supporter de renoncer au contrôle.
Une autre différence entre la merirout et la atsvout est que celui qui fait l’expérience de la atsvout ne pense pas en termes de solution pratique. Il pense simplement à quel point la situation est mauvaise et à quel point elle peut empirer, à ce que telle personne pense de lui et au fait qu’il n’est pas si mauvais que cela, si on le compare à son frère ou à sa sœur, à son cousin ou à son voisin. Voilà le genre de pensées qui traversent l’esprit d’une personne déprimée. Et d’une certaine manière, ces pensées lui procurent une forme de satisfaction.
Une personne qui ressent de la merirout, en revanche, est motivée à chercher une solution au problème. Elle n’est pas égocentrique. Elle s’est fixé des objectifs et des buts, et considère ce qui se passe dans sa vie et dans son environnement en fonction de ces buts. Elle est prête à affronter les problèmes qu’elle rencontre, ainsi que ses propres fautes et même ses propres erreurs. Au moment où elle éprouve de la merirout, elle ressent une véritable douleur, celle qui découle de l’évaluation honnête d’une situation qui nécessite une amélioration, et non la douleur auto-infligée qui provient de l’obsession de soi. Ce n’est toutefois qu’un sentiment temporaire. De manière générale, elle est heureuse, avec le véritable sentiment de bonheur qui découle du fait de se consacrer à un objectif et de le faire progresser jusqu’à son accomplissement.
En fin de compte, ce qui cause la dépression, c’est la yechout, l’obsession d’une personne pour son propre ego qui l’empêche de se concentrer sur son but dans la vie et sur le dessein de D.ieu pour elle. Une telle personne restera obsédée par elle-même et incapable d’éprouver la véritable joie qui découle de l’acceptation totale de D.ieu et de Son plan, et d’être un partenaire actif dans la réalisation de celui-ci.
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