Nous avons précédemment énoncé les bases de la conception selon laquelle tout ce qui arrive est pour le bien, en postulant qu’il en est ainsi parce que tout ce qui arrive est régi par la Providence divine. Aucun événement n’est l’effet d’un caprice de la nature, si D.ieu ne veut pas qu’il se produise, il ne peut pas se produire.

De plus, la volonté de D.ieu est dirigée vers un but. En conséquence, puisque D.ieu est la quintessence de la bonté, tout ce qui arrive a un but positif. Plus nous comprenons la connexion entre D.ieu et notre monde – c’est-à-dire comment ils sont véritablement un – et comment D.ieu contrôle chaque événement qui se produit, plus nous pouvons alors comprendre comment tout est bon en définitive.

Il est cependant certaines choses qui se produisent dans la vie que nous ne pouvons pas concevoir comme étant bonnes. Nous essayons d’adopter une nouvelle perspective, de considérer les choses sous tel angle, ou de tel point de vue, mais ces choses ne paraissent toujours pas être bonnes. Dans l’histoire de Rabbi Akiva ou dans celle de Na’houm Ich Gamzou, il fallut un ou plusieurs jours pour que l’on voie comment ce qui s’était passé était pour le bien. Mais il est des fois où il demeure impossible de faire la connexion. Il arrive même que l’on voie une personne accomplir une bonne action ou agir de manière agréable et devoir en souffrir peu après.

Comment peut-on expliquer cela ? L’une des explications habituellement données découle d’un récit du Midrash1 qui décrit le voyage que l’un des Sages, Rabbi Yéhochoua ben Levi, fit avec Eliahou HaNavi, le prophète Élie.

Il arriva qu’une fois, quand Rabbi Yéhochoua rencontra Eliahou HaNavi, il lui demanda s’il pouvait l’accompagner afin qu’il puisse apprendre de sa conduite. Eliahou refusa, expliquant que Rabbi Yéhochoua ne comprendrait pas ce qu’il verrait. Au contraire, son esprit humain soulèverait d’innombrables questions et il n’aurait pas le temps de donner des explications.

Rabbi Yéhochoua ben Levi supplia néanmoins Eliahou et il fit la promesse de ne poser aucune question. Eliahou finit par accepter à la condition qu’au moment où Rabbi Yéhochoua se mettrait à l’interroger sur ses actions, ils se sépareraient.

Ils partirent donc ensemble. Vers le soir, ils atteignirent une vieille hutte branlante. Un couple âgé était assis à l’extérieur. Si leurs traits étaient empreints de dignité, ils étaient manifestement indigents. Cependant leur pauvreté n’entravait en rien leur enthousiasme à accueillir des invités. Dès qu’ils virent les voyageurs, ils se levèrent d’un bond et les invitèrent avec empressement dans leur maison, leur offrant un repas et un lit pour dormir.

Certes, l’hébergement était tout sauf luxueux, car ils ne possédaient que peu de choses. Mais tout ce qu’ils avaient, ils étaient prêts à le partager, faisant de leur mieux pour observer la mitsva de hakhnassath or’him, le commandement de faire preuve d’hospitalité.

Le lendemain matin, les deux voyageurs firent leurs adieux à leurs hôtes et se remirent en chemin. Peu de temps après leur départ, Rabbi Yéhochoua ben Levi remarqua qu’Eliahou HaNavi était en train de prier. Il écouta attentivement. Que demandait Eliahou dans sa prière ? Le couple âgé qui les avait hébergés possédait une vache qui était leur bien le plus précieux, car la plus grande partie de leur maigre revenu provenait de la vente de son lait. Eliahou était en train de prier pour que cette vache meure.

Quand Rabbi Yéhochoua entendit cela, il fut choqué. Ce vieux couple avait été si bon, si agréable, si chaleureux. Pourquoi méritaient-ils que leur vache meure ? Mais il ne pouvait poser aucune question. Tel était l’accord qu’ils avaient conclu.

Au cours de leur voyage, ils se mirent à discuter. Rabbi Yéhochoua espérait qu’Eliahou lui donnerait l’explication de ce qui s’était passé, ou du moins un indice dans cette direction, mais ce ne fut pas le cas. Eliahou orienta la conversation vers d’autres sujets. Vers le soir, ils arrivèrent à un magnifique manoir. Bien que de nombreux membres de la famille les aient vus, personne ne leur offrit l’hospitalité.

Ils demandèrent au maître de maison, un homme très riche, la permission de passer la nuit chez lui. À contrecœur, l’homme accepta. Mais il fut très froid avec eux. Il ne leur offrit aucune nourriture et leur adressa à peine la parole.

Après leur départ le matin, Rabbi Yéhochoua remarqua qu’Eliahou priait de nouveau. Que demandait-il cette fois ? L’un des murs de la maison de ce riche était fissuré et fragile. Eliahou priait D.ieu pour que ce mur soit restauré et demeure solide.

Rabbi Yéhochoua ne pouvait pas comprendre cela. Cet homme était un avare qui ne leur avait témoigné aucune bonté, et pourtant Eliahou priait pour lui, suppliant D.ieu que son mur, qui était fissuré, redevienne solide. Mais une fois de plus, il respecta les termes de leur accord et ne posa pas de questions.

Finalement, les deux voyageurs arrivèrent dans une belle ville. Tout dans cet endroit reflétait la prospérité et l’opulence. Ils se dirigèrent vers la shoul. C’était une structure magnifique, conçue avec élégance et goût. Tout, même les bancs, était somptueux.

Rabbi Yéhochoua ben Levi pensait qu’ils se verraient certainement offrir l’hospitalité dans une telle ville. Mais il n’en fut pas ainsi. Les gens de la ville n’étaient pas très généreux. Une fois la prière terminée, personne ne vint leur demander où ils prévoyaient de manger et de dormir. Ils durent finalement passer la nuit dans la shoul, et ils dormirent sur ces beaux bancs, le ventre vide.

Le matin, alors qu’ils étaient prêts à partir, Eliahou bénit les habitants de la ville, leur souhaitant qu’ils deviennent tous des dirigeants. Encore une fois, Rabbi Yéhochoua fut perplexe. Pourquoi Eliahou bénissait-il des gens qui ne leur avaient pas témoigné d’hospitalité ?

Ce soir-là, ils parvinrent dans une autre ville. De toute évidence, elle n’était pas aussi riche que la précédente. La shoul était loin d’être aussi belle. Mais les gens étaient gentils et chaleureux. Ils firent tout pour que les deux voyageurs se sentent à l’aise. Avant de quitter cette ville, Eliahou leur dit : « Puisse D.ieu faire qu’un seul d’entre vous devienne un dirigeant. »

À ce stade, Rabbi Yéhochoua ne parvint plus à contenir sa curiosité. Il dit à Eliahou : « Je sais qu’en posant des questions je renoncerai à mon droit de t’accompagner, mais je ne peux pas continuer ainsi. S’il te plaît, explique-moi ces quatre incidents. »

Et ainsi Eliahou se mit à expliquer : « Le couple de personnes âgées que nous avons rencontré en premier étaient des gens merveilleux qui accomplissaient des actes d’une grande bonté. Je voulais donc leur donner une bénédiction. Il était écrit que la femme devait décéder ce jour-là. Ce devait être le dernier jour de sa vie.

Mais en nous accueillant, elle eut l’occasion d’accomplir une mitsva. Et le mérite de la mitsva d’hospitalité qu’elle accomplit fut assez grand pour que le décret soit levé, mais pas entièrement. J’ai donc prié pour que leur vache – qui comptait tant pour eux et qui était leur source de revenus – meure. Par la mort de la vache, la femme aurait encore de nombreuses années à vivre. La mort de la vache fut donc une véritable bénédiction pour eux.

S’agissant de la maison de l’avare, sache que dans ce mur était enfoui un très grand trésor. Mais le mur était fragile et allait bientôt s’écrouler. Parce qu’il était un avare et qu’il se conduisait de manière si méprisante, j’ai prié pour que le mur soit solide afin qu’il ne puisse pas profiter du trésor.

Quant aux habitants de la ville prospère, continua Eliahou, ma prière pour qu’ils deviennent tous des dirigeants dans la ville n’était pas une bénédiction. C’était même tout le contraire. Car la chose la plus destructrice qui puisse arriver dans une ville est que tout le monde devienne un chef.

Dans l’autre ville, où les gens étaient bons, je leur ai donné une véritable bénédiction : que l’un d’entre eux, et un seul, devienne un vrai chef. »

Cette histoire contient une leçon pour nous tous. Comme Rabbi Yéhochoua ben Levi, nous devons réaliser que la vie est un grand puzzle avec de nombreuses pièces dont nous ne possédons qu’une petite partie. Alors, bien sûr, nous avons des questions. C’est naturel. Car ce que nous savons de nous-mêmes et des autres ne représente que quelques-unes des pièces d’un puzzle de 5 000 pièces. Faut-il s’étonner que ces quelques pièces semblent n’avoir aucun sens ? La forme de ces pièces et l’image qui résulte de leur combinaison ne ressemblent à rien et ne semblent conduire à rien.

Mais c’est parce que nous n’avons que quelques pièces d’un puzzle de 5 000 pièces. Une fois que nous recevons les quatre mille neuf cents autres pièces et que nous ajoutons les nôtres, tout se met en place et nous voyons exactement comment elles s’intègrent à l’ensemble.

Nous devons donc être patients et prendre conscience que nous n’avons pas une vue d’ensemble. Ni de nous-mêmes, ni de ce qui s’est passé auparavant dans notre vie, ni de ce qui s’y passera plus tard, ni des autres dans notre communauté, ni même de nos parents et de nos enfants. Ainsi, notre vision est très limitée, et nous ne comprenons pas beaucoup des choses que nous voyons.