Toutes les notions précédemment évoquées sont-elles purement théoriques, ou bien est-il possible de les mettre en pratique ? Comment parvenir à accepter les événements négatifs, en particulier lorsqu’ils sont très douloureux ? Comment peut-on dire que tout ce qui nous arrive, même ce qui fait mal, est bon, parce que cela vient de D.ieu ?
Le Talmud évoque deux Sages, Rabbi Akiva et son maître, Na’houm Ich Gamzou, dont la conduite nous fournit des éléments de réponse.
Rabbi Akiva avait coutume de dire : Kol ma deavid Ra’hamana, letav avid, soit : « Tout ce que D.ieu fait est pour le bien. »1
Na’houm Ich Gamzou avait aussi un dicton. Il disait : « Gam zou le tova »,« Ceci aussi est pour le bien ».2 Cette phrase était tellement courante dans sa bouche qu’elle lui valut son surnom de « Ich Gamzou », « l’homme de Gamzou », c’est-à-dire celui qui dit toujours « Gam zou le tova ».
Il semble de prime abord que Rabbi Akiva et Na’houm Ich Gamzou disaient la même chose avec un phrasé différent. En réalité, la différence entre les deux dépasse de loin le seul champ sémantique. Ils avaient chacun une approche spécifique et un niveau de perception différent sur la façon dont tout vient de D.ieu et dont tout est bon. Ces différences ressortent des histoires que le Talmud rapporte à leur sujet, qui illustrent de quelle manière leurs adages respectifs furent transposés dans l’expérience pratique.
Le Talmud raconte que lors d’un de ses voyages Rabbi Akiva cherchait un endroit où passer la nuit. Il frappa à la porte d’une maison dans la ville qu’il traversait, mais on ne l’invita pas à entrer. Il n’en fut pas contrarié, conscient qu’il était que « tout ce que D.ieu fait est pour le bien ».
Il frappa à une autre porte, mais là encore on ne lui offrit pas l’hospitalité. Sa réaction fut la même : « Tout ce que D.ieu fait est pour le bien ». Et même lorsqu’il eut fait le tour de la ville et qu’il réalisa que personne ne l’inviterait, il se dit encore que « tout ce que D.ieu fait est pour le bien ».
Il n’eut d’autre choix que de camper dans la forêt à la périphérie de la ville. Il avait avec lui un âne qui portait ses bagages, un coq qui le réveillait le matin et une lanterne qui lui permettait d’étudier la Torah la nuit. Peu après qu’il ait dressé son campement, un lion dévora son âne, son coq fut tué par une autre bête sauvage et une violente bourrasque éteignit sa lanterne. Chaque fois, Rabbi Akiva dit : « Tout ce que D.ieu fait est pour le bien. »
Le Talmud poursuit le récit et montre que Rabbi Akiva avait raison : le lendemain il découvrit qu’une légion romaine avait attaqué la ville pendant la nuit et fait prisonnier tous ses habitants. S’il avait bénéficié de l’hospitalité des gens de la ville, il aurait été, lui aussi, pris en captivité.
Et si son âne et son coq avaient été vivants, leurs cris auraient attiré l’attention des légionnaires romains. Et si sa lanterne était demeurée allumée, sa lumière aurait trahi sa présence dans la forêt. « Tout ce que D.ieu avait fait était pour le bien. »
L’histoire de Na’houm Ich Gamzou se déroula dans un autre contexte. L’empereur romain avait promulgué un terrible décret à l’encontre des Juifs d’Erets Israël. Ces derniers avaient dépêché Na’houm Ich Gamzou chez l’empereur pour le supplier d’annuler son décret. Ils lui confièrent un coffre rempli de pierres précieuses à remettre au souverain dans l’espoir d’apaiser sa colère contre les Juifs.
En chemin, Na’houm Ich Gamzou s’arrêta dans une auberge. L’aubergiste comprit que le rabbin transportait des pierres précieuses dans son coffre. À la faveur de la nuit, lui et sa famille remplacèrent les gemmes par du sable. Quand Na’houm se leva le lendemain et qu’il s’apprêta à reprendre la route, il remarqua que le coffre n’avait plus le même poids. Bien qu’il vît alors que les pierres précieuses avaient été volées et remplacées par du sable, il demeura imperturbable.
Il se dit « Gam zou letova », « Ceci aussi est pour le bien », et reprit son voyage vers Rome. Il y obtint une audience avec l’empereur à qui il présenta la supplication des Juifs et le cadeau dont ils l’avaient chargé.
Lorsque l’empereur ouvrit le coffre, il fut furieux d’y découvrir du sable et ordonna de jeter Na’houm Ich Gamzou au cachot. L’un des conseillers du roi – qui, selon le Talmud, n’était autre que le prophète Elie qui avait pris cette apparence – parla à l’empereur en faveur du rabbin.
« Majesté, pensez-vous que les Juifs ont perdu la raison ? Ils ont envoyé cet homme pour trouver grâce à vos yeux et implorer votre bienveillance. Pourquoi voudraient-ils se moquer de vous ? Ce rabbin sait assurément qu’il risque sa vie à vous apporter du sable.
Ce ne peut pas être du sable ordinaire. Il a certainement quelque pouvoir particulier. Les Juifs ont pour tradition que leur ancêtre Abraham utilisa un sable spécial contre ses ennemis lorsqu’il combattit quatre puissants rois. Savez-vous comment il parvint à les vaincre ? Il jeta du sable en l’air et celui-ci se transforma en flèches et en lances. Peut-être est-ce là le même sable ? »
L’empereur consentit à faire un essai. Les Romains menait une guerre à cette époque et ils amenèrent le sable sur le champ de bataille. Le miracle se produisit : ils jetèrent le sable en direction de leurs ennemis et il se mua en flèches et en lances. Désemparé, l’ennemi fut rapidement vaincu.
L’empereur fut ravi. Il fit libérer Na’houm Ich Gamzou sur le champ et le remercia profusément pour le merveilleux cadeau qu’il avait apporté. Il annula le décret contre les Juifs et il ordonna qu’on remplisse le coffre de Na’houm avec des pierres précieuses et qu’on le lui remette en signe de reconnaissance.
Ces deux histoires présentent des similitudes fondamentales. Rabbi Akiva et Na’houm Ich Gamzou croyaient tous deux que les événements qu’ils avaient vécus étaient de nature positive. Bien qu’ils furent confrontés à l’adversité, la suite des événements leur donna rapidement raison. Dans les deux cas, ce furent les circonstances défavorables elles-mêmes qui finirent par assurer un dénouement positif.
Pourtant, une analyse plus poussée de ces histoires fait ressortir une différence entre les approches respectives de ces deux sages.
L’affirmation de Rabbi Akiva selon laquelle « tout ce que D.ieu fait est pour le bien » implique que dans la mesure où la situation est prescrite par la Providence Divine, c’est D.ieu qui la dirige. On peut donc être certain qu’elle donnera lieu à un aboutissement positif.
En d’autres termes, il se peut que la situation soit pénible, mais elle aura une issue favorable. Si nous savions dès le départ de quelle manière positive les choses aboutiront, nous accepterions certainement les désagréments passagers. Rabbi Akiva enseigne que même lorsque l’on n’a pas cette connaissance préalable, on doit avoir la foi que D.ieu contrôle la situation et ainsi en accepter tous les développements dans la joie.
Prenons l’exemple d’une personne subissant une opération chirurgicale. Quelqu’un ignorant tout de la médecine moderne qui pénétrerait dans le bloc opératoire serait saisi d’effroi : une personne est allongée sur une table pieds et poings liés pendant qu’un homme masqué est penché sur elle, un couteau à la main, et lui entaille le corps.
Ce témoin s’écrierait certainement alors : « Au meurtre ! » Mais ce serait seulement dû à son ignorance du but de l’opération. S’il était conscient qu’il s’agit d’un acte médical visant à améliorer la santé du patient, sa réaction serait tout autre. Le patient, lui, paye très cher cette opération et a attendu des semaines ou même des mois pour la subir.
L’idée de cette analogie est qu’une opération chirurgicale est certes une expérience pénible et douloureuse, mais un malade la subit volontiers car il croit que les bénéfices qu’elle procure compensent largement ses aspects négatifs.
C’est de cette manière que Rabbi Akiva considérait tout événement de la vie. Conscient que tout vient de D.ieu, il croyait que les expériences négatives et douloureuses connaîtraient un dénouement positif. C’est ce qu’exprime l’histoire évoquée ci-dessus à son sujet : Rabbi Akiva fut confronté à l’adversité, mais le bien finit par émerger du sein même de celle-ci, et ce bien justifia largement les souffrances endurées.
L’approche de Na’houm Ich Gamzou était cependant plus profonde. Il pensait que, dans la mesure où toute situation est l’effet de la Providence Divine, ce n’est pas seulement qu’une situation négative aura une issue positive, mais que la situation négative elle-même est essentiellement positive ! « Ceci aussi est pour le bien », disait-il. Dans le récit que nous avons rapporté, la substitution des pierres précieuses par du sable fut en soi quelque chose de positif. Et bien que personne ne put dire à ce moment de quelle manière ça l’était, Na’houm Ich Gamzou avait foi que c’était le cas. Et les événements des jours suivants lui donnèrent raison.
Cette substitution des pierres précieuses eut un effet bien plus bénéfique que celui qu’on aurait pu attendre si celles-ci avaient pu être remises à l’empereur. Qui sait s’il aurait été impressionné alors même que les diamants et les bijoux sont monnaie courante chez les souverains ? Le sable miraculeux, en revanche, produisit évidemment un effet considérable.
Pourquoi ne pouvons-nous pas, comme Na’houm Ich Gamzou, être heureux en toutes circonstances ? Pour dire les choses crûment, c’est parce que nous sommes ignorants et inconscients. Nous n’avons pas assez travaillé sur nous-mêmes. Et de toute façon, la personne la plus raffinée qui soit ne peut pas comprendre les choses telles que D.ieu les comprend. C’est pourquoi nous ne pouvons pas toujours voir ou comprendre qu’une situation est bonne.
Un autre exemple : une mère tente de nourrir son jeune enfant qui fait une crise. Une personne passant dans la rue entend les hurlements de l’enfant. Elle regarde par la fenêtre et voit la mère debout près de son fils, une cuiller pleine de nourriture à la main.
Que diriez-vous ? Que la mère fait quelque chose de négatif qui donnera finalement lieu à quelque chose de positif, ou bien que ce qu’elle fait actuellement est en soi positif ? La réponse ne nécessite aucune délibération tellement elle est évidente. La mère fait quelque chose d’absolument positif : elle contribue à la santé, à la croissance et au développement de son enfant.
Pourquoi l’enfant pleure-t-il ? Parce qu’il est un petit enfant et que, de ce fait, il ne comprend pas que ce que sa mère fait est pour son bien. Il est juste embêté par cette grande cuiller qu’on lui met dans la bouche et la nourriture qui se répand tout autour. C’est parce qu’il n’a pas conscience du bien qu’on essaie de lui faire qu’il hurle à pleins poumons.
L’enfant n’a qu’une vingtaine d’années de moins que sa mère, et l’écart entre leurs niveaux de compréhension respectifs est quantifiable. Pourtant, le défaut de conscience de l’enfant peut l’empêcher de comprendre que ce que sa mère fait est pour son bien.
Combien plus est-ce le cas quand on considère l’écart entre notre perception et celle de D.ieu, qui est infini. « Infini » est même un terme bien insuffisant pour Le décrire. Est-il étonnant, dès lors, que nous ne puissions pas comprendre ce que D.ieu fait, ni pourquoi Il le fait et en quoi ce qu’Il fait est bon ? La difficulté, cependant, est seulement due à notre perception limitée. La réalité, elle, est que tout ce que D.ieu fait est bon.
Sachant que la Providence Divine contrôle tout, on ne devrait jamais se considérer comme étant « victime des circonstances ». Tout ce qui nous arrive est décidé par D.ieu pour une raison, et cette raison est en définitive pour notre bien. C’est seulement qu’il y a deux sortes de bien : un bien apparent et manifeste, et un bien qui s’habille dans des circonstances difficiles et qui nécessite un état d’esprit tel que celui de Na’houm Ich Gamzou ou de Rabbi Akiva pour être apprécié.
Nous rencontrons tous des situations pénibles au départ qui prennent rapidement une tournure positive. Il est souvent arrivé qu’une personne manque son rendez-vous et par là même évite de s’engager dans un mauvais investissement, ou bien qu’une opportunité exceptionnelle s’offre à elle dans le temps ainsi libéré.
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