Dans le chapitre précédent, nous avons expliqué que même s’il se produit un événement qui pourrait plonger une personne dans la dépression et la tristesse, cette personne peut malgré tout demeurer bessim’ha, pleine de joie. Au lieu de permettre à ces énergies négatives de la dominer, elle a la capacité de discipliner ses pensées et ainsi de détourner son attention vers un autre sujet. Dans la mesure où l’incident négatif n’occupera pas sa pensée, elle ne ressentira pas de souffrance ni de tristesse. Elle sera alors capable de construire en elle-même les ressources qui lui permettront de surmonter cette épreuve.
La question demeure cependant : n’est-il pas important qu’une personne éprouve de la douleur lorsque les choses ne vont pas, car cela l’incitera à s’améliorer ? Si l’on ne souffre jamais parce que l’on distrait constamment son esprit avec d’autres sujets ou que l’on esquive totalement la difficulté, le problème – qu’il soit d’ordre matériel ou spirituel – ne sera jamais traité.
Sur le plan physique, les médecins disent que la douleur peut être une bénédiction, car lorsque l’on ressent une douleur, on prend conscience de l’existence d’un problème. Cela motive à consulter un médecin, à se faire examiner et ainsi découvrir la nature de l’affection. Ensuite, comme le dit le vieil adage ‘hassidique, « la connaissance de la maladie est la moitié du remède ». Lorsqu’un problème est identifié, il peut être traité et éliminé.
Si, à D.ieu ne plaise, une personne ne ressent pas de douleur, la maladie ou le dysfonctionnement continuera de se développer. Il est possible qu’au moment de sa découverte, il soit trop tard pour faire quoi que ce soit. Par conséquent, le fait que la douleur porte la maladie à l’attention de la personne et lui permet ainsi de la traiter est évidemment quelque chose de positif.
Pourquoi, alors, devrions-nous éviter la douleur émotionnelle ? Pourquoi ne pas dire que lorsqu’une personne souffre à propos d’un événement donné, c’est quelque chose de positif ? Pourquoi ne pas considérer qu’une telle douleur est une force qui pousse au changement ? Il y a une grande tendance à l’inertie quand il s’agit de changer nos personnalités, et sans une telle motivation, il semble difficile que l’on puisse y parvenir.
Un farbrenguen est un rassemblement où les ‘hassidim s’assoient ensemble et chantent des mélodies ‘hassidiques. Habituellement, un ‘hassid plus âgé s’adresse à ses jeunes collègues et les encourage à s’améliorer dans leur service de D.ieu. Il arriva qu’un groupe de ‘hassidim se trouvait dans un sous-sol sombre, à l’occasion d’un tel rassemblement. Un autre ‘hassid qui passait entendit les chants. Reconnaissant la mélodie, il cria : « Où êtes-vous ? Où est le farbrenguen ? »
L’un des ‘hassidim lui répondit qu’il fallait descendre au sous-sol. Après avoir fait plusieurs pas dans l’escalier, il hésita car il faisait très sombre. Il lança : « Comment puis-je descendre ? Il fait sombre. Je ne vois pas où je vais. »
L’un des ‘hassidim attablés lui répondit : « Ne t’inquiète pas, si tu restes assis ici assez longtemps, tes yeux s’habitueront à l’obscurité. »
Le ‘hassid lui exposait un simple fait physiologique. Lorsque l’on demeure dans l’obscurité un certain temps, nos pupilles se dilatent et notre vision est alors meilleure que lorsque nous sommes entrés dans la pièce sombre. Mais le vieux ‘hassid qui dirigeait le farbrenguen voulut relever un autre message contenu dans cette phrase. « C’est précisément le problème, dit-il à ses auditeurs. Si l’on reste assis assez longtemps dans l’obscurité, on s’y habitue. On perd conscience du besoin de lumière. »
C’est pourquoi il peut être positif pour une personne de ressentir de la douleur dans une situation donnée. Si elle a mal, elle saura que quelque chose ne va pas et cela la poussera à changer. Si, au contraire, rien ne vient troubler son confort, elle s’accommodera du problème sans chercher à le résoudre.
Chaque fois qu’une personne a des difficultés– qu’elles soient physiques, financières ou spirituelles –, il est très important qu’elle reconnaisse qu’il y a un problème et qu’elle fasse quelque chose pour le corriger. Pourquoi faudrait-il lui dire de détourner son attention et d’en faire abstraction ? Quelle peut être la valeur d’un bonheur acquis de cette manière ?
D’un autre côté, la tristesse et la dépression n’ont pas toujours une valeur positive. Au contraire, ce sont le plus souvent des influences paralysantes qui sapent la vitalité et empêchent de résoudre les problèmes.
Ainsi, il semble qu’il existe deux types de malaise : l’un qui suscite un changement positif et l’autre qui renforce la négativité. Comment les distinguer ? En vérité, au moment même où une personne éprouve des sentiments de remords, de regret ou de douleur, elle peut ne pas être en mesure de reconnaître le type de sentiment qu’elle éprouve. Toutefois, par la suite, elle pourra y parvenir en considérant les conséquences de ses sentiments.
Prenons un exemple :
Tard dans la nuit, quelqu’un ne parvient pas à dormir. Il se dit : « Il y a tellement de choses que je voulais faire le mois dernier, mais je n’ai rien fait. Telle chose, je ne l’ai pas faite, telle autre chose non plus, etc. » Il continue à se morfondre dans le même esprit jusqu’à en déduire ce qui semble être une conclusion inévitable : « Je suis un raté. »
Toute la pression d’un mois entier d’échecs s’accumule sur lui, et il se sent misérable et déprimé. Que fait-il alors ? Il décide qu’il ne peut plus affronter le monde. Il plonge dans son lit, s’enroule dans ses couvertures et s’endort.
C’est peut-être une légère exagération. L’idée cependant est que lorsqu’une personne se sent mal, elle peut se sentir totalement dénuée d’énergie, sans motivation à faire quoi que ce soit si ce n’est de fuir le monde.
Mais la même situation – une personne éveillée la nuit qui se rend compte qu’elle n’a rien accompli en un mois – peut produire une réponse totalement différente. Au lieu de vouloir dormir, la personne peut se sentir chargée d’énergie et déterminée à accomplir le travail.
Qu’est-ce qui a suscité ces sentiments ? Le fait de se sentir mal de n’avoir rien accompli. Dans ce cas, ce sentiment négatif a généré de l’énergie et de la vitalité.
Dans le Tanya,1 l’Admour Hazakène établit la distinction entre ces deux types de sentiments. La dépression, qui sape la sensibilité d’une personne et qui doit être évitée, est appelée atsvout. Le malaise qui pousse une personne à agir positivement est appelé merirout, « l’amertume ».
Pour distinguer l’une de l’autre, on doit se demander : « Pourquoi est-ce que je me sens mal ? Est-ce à propos du passé ou bien de l’avenir ? » Si l’on est contrarié par quelque chose de passé et que tout ce à quoi l’on peut penser, c’est à quel point c’était mal, alors c’est de la atsvout. Il ne sert strictement à rien d’entretenir de telles pensées. Ce qui est fait est fait. On ne peut rien y faire. Ce qu’il convient de faire, c’est de cesser totalement d’y penser, d’en faire totalement abstraction.
Mais si le fait de penser à un problème pousse une personne à agir pour améliorer la situation, il s’agit alors de merirout. C’est la sorte de sentiment négatif qui est précieuse. Certes, on éprouve des regrets et des remords, mais ces sentiments sont canalisés dans le sens du changement. On ne cesse de se demander : « Que puis-je faire pour corriger la situation ? » et « Comment faire en sorte que cela ne se reproduise pas ? »
Toutefois, ce n’est pas aussi simple que cela. L’être humain n’est pas un robot et il est parfois difficile de discerner ce qui différencie ces pensées de regret positives des pensées mélancoliques indésirables. Comment nous assurer que nos pensées négatives restent orientées vers un but positif ?
La réponse réside à nouveau dans le contrôle de l’esprit. Nous devons réguler le temps que nous passons à réfléchir à ces choses. Cela nous permet d’exercer un contrôle sur nos pensées, au lieu de laisser celles-ci nous contrôler. L’amertume est une qualité positive, mais seulement à petites doses, et seulement au moment opportun.
On peut la comparer à un antibiotique. Un antibiotique est un médicament très utile pour guérir une infection. Mais l’on ne prend des antibiotiques qu’à des doses bien précises, et seulement deux ou trois fois par jour.
Si vous buvez du jus de pomme ou du jus d’orange, vous pouvez boire un verre entier ou même deux. Et vous pouvez boire aussi souvent que vous le voulez. Mais nous ne prenons pas d’antibiotiques en si grande quantité et nous ne les prenons pas très souvent.
Pourquoi pas ? Parce que les antibiotiques sont fondamentalement un agent destructeur. Il est vrai qu’ils détruisent les bactéries qui causent la maladie, mais s’ils sont pris trop fréquemment ils détruiront aussi les systèmes vitaux nécessaires à notre santé.
C’est pourquoi ils ne sont pris qu’en petites doses. Cela permet d’en contrôler l’activité destructrice en la dirigeant vers les bactéries à l’origine de la maladie sans affecter le bien-être de l’organisme dans son ensemble.
Il en est de même des remords et des regrets. Ce sont en eux-mêmes des sentiments négatifs, mais ils peuvent être efficaces pour remédier à une situation indésirable. Étant fondamentalement destructeurs, ils doivent toutefois être régulés et utilisés dans un cadre limité de manière à pouvoir être contrôlés et dirigés dans un but positif. Autrement, ils conduiront la personne qui les ressent à la mélancolie et la videront de son énergie.
Pour citer une analogie : certaines activités sont très bonnes et sont considérées comme de grandes mitsvot. Néanmoins, si celles-ci sont effectuées au mauvais moment ou au mauvais endroit, elles peuvent perdre toute valeur positive, voire devenir négatives. Par exemple, manger de la matsa est une très grande mitsva. Mais quand ? Quand nous mangeons la matsa le soir de Pessa’h, lors du Séder. Si nous la consommons à un autre moment, ce n’est pas une mitsva. Et si nous mangeons de la matsa le soir de Yom Kippour, c’est considéré comme un péché, une violation très grave de la loi de la Torah.
La même chose est vraie du jeûne. C’est aussi une très grande mitsva. Mais quand ? À Yom Kippour, le jour le plus saint de l’année. À d’autres moments, ce n’est pas aussi important. Et si nous jeûnons le soir de Pessa’h, alors que nous sommes censés manger de la matsa, nous n’aurons non seulement rien fait de bien, mais aurons négligés des commandements fondamentaux liés au Séder de Pessa’h.
La même idée s’applique s’agissant de la réflexion sur les problèmes – spirituels ou matériels – qu’une personne doit corriger. Une telle pensée a une valeur positive et elle doit être encouragée, mais seulement au bon moment et de la bonne manière. Autrement, non seulement ne sera-t-elle pas positive, mais elle peut devenir destructrice.
Comment de telles pensées peuvent-elles devenir négatives ? Ici, nous pouvons apprendre un concept intéressant de la langue hébraïque. Le mot hébreu pour « tristesse » est atsvout (עצבות) et celui pour la paresse est atslout (עצלות). Ces deux termes ont une orthographe très similaire, leur seule différence étant que l’un contient un beth (ב) et l’autre, un lamed (ל).
Quel est le lien entre la tristesse et la paresse ? La connexion fonctionne dans les deux sens. D’un côté, la tristesse conduit à la paresse : quand une personne est déprimée, elle est vidée de son énergie. Et cette inactivité se renforce ; la personne devient paresseuse.
L’inverse, cependant, est également vrai : la paresse conduit à la tristesse. Une personne se laisse aller à la déprime parce que c’est une alternative plus facile. Sinon, elle devrait accepter et reconnaître son problème, l’affronter et lui trouver une solution. Mais cela demande de travailler sur soi, alors que se mettre au lit et se sentir déprimé ne demande pas d’efforts.
Souvent, lorsque quelqu’un est déprimé, un ami frappe à sa porte et lui dit : « Allez, viens, nous allons quelque part. Tu veux te joindre à nous ? » Mais il refuse de les accompagner. Il sait que s’il accompagnait son ami, il serait très certainement capable de se dégager de sa mélancolie. Il se mettrait à penser à l’événement présent, ce qui lui ferait oublier la cause sa dépression. Mais il se sent incapable de lâcher prise.
Pourquoi ne peut-il pas lâcher prise ? Parce qu’en restant déprimé, il n’a pas besoin d’affronter l’épreuve de la vie.
Lorsqu’une personne se prend en main et affronte ses problèmes, il ne lui est pas difficile d’arriver à une solution. Beaucoup de gens disent qu’ils passent beaucoup de temps à réfléchir à un problème, mais qu’ils ne trouvent pas les moyens d’en sortir. Pourquoi est-ce le cas ? Parce qu’à la base, leurs pensées ne sont pas orientées vers la recherche d’une solution.
Au contraire, leur intention en s’engageant dans leurs réflexions – peut-être sans en être conscients – était de se morfondre en continuant de penser à quel point la situation est terrible et comment si telle ou telle chose se produisait, ce serait encore pire.
Il y a des moments où nous aimons nous concentrer sur la négativité. C’est illogique. Nous savons que ces pensées ne sont pas vraiment pertinentes, qu’elles ne nous apporteront pas de véritable satisfaction et qu’elles ne mèneront pas à une solution pratique, mais nous continuons d’y penser. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas prêts à sortir de notre bulle et à affronter la vie. Nous préférons nous complaire dans le désespoir plutôt que de nous employer à résoudre le problème.
Si une personne éliminait toute cette négativité et se concentrait uniquement sur la façon de résoudre la difficulté à laquelle elle est confrontée, elle serait surprise de constater que, dans un court laps de temps, elle concevra plusieurs solutions possibles à n’importe quel problème.
L’un des mashpiim (mentors spirituels) de la yeshiva Loubavitch en Russie dans les années 1920 était R. Ye’hezkel Feigin. Il enseignait la pensée ‘hassidique et, de temps en temps, il rassemblait ses élèves dans le cadre d’un farbrenguen.
Dans l’un de ces farbrenguens, il exigea beaucoup de ses élèves. Il leur dit qu’il souhaitait voir chez eux un engagement plus profond dans la prière, dans l’étude et dans le développement personnel. Ses paroles étaient pleines d’intensité et il s’adressa individuellement à chacun d’eux, leur montrant où ils devaient concentrer leurs efforts.
Les étudiants furent profondément émus par ses paroles et des larmes coulèrent sur beaucoup de visages. Soudain, au milieu du farbrenguen, l’élève désigné comme vigie accourut avec la nouvelle que le quartier grouillait d’agents du KGB.
Cela représentait un réel danger. Inutile de dire qu’un tel rassemblement était interdit. Tous les participants auraient pu être envoyés dans des camps de travaux forcés. Immédiatement, tout le monde se mit à faire des suggestions. L’un dit : « Essayons de fuir. » Un autre suggéra d’éteindre la lumière, espérant que l’obscurité servirait de couverture. Un troisième pensa mettre sur la table des journaux et des livres de science politique pour montrer qu’ils étaient engagés dans des activités autorisées par le gouvernement.
D.ieu merci, les agents du KGB ne frappèrent pas à leur porte et quittèrent la zone aussi brusquement qu’ils y étaient venus. Le rabbin et les étudiants purent s’asseoir pour reprendre le farbrenguen. Le rabbin se tourna vers ses élèves et leur dit : « Je viens de voir quelque chose de très étrange. J’espère que vous pourrez me l’expliquer. »
Les étudiants le regardèrent d’un air interrogateur et il poursuivit : « Dites-moi ce qui vous affecte le plus, une difficulté dans les questions spirituelles ou un problème impliquant des choses matérielles ? »
Les élèves étaient honnêtes avec eux-mêmes et avec lui. Ils répondirent immédiatement qu’ils étaient davantage affectés par les choses matérielles.
« Pourquoi alors, demanda-t-il, lorsque je vous ai parlé de votre bien-être spirituel, tout le monde s’est mis à pleurer, mais quand vous avez entendu que le KGB était dans le coin et que vos vies étaient en danger, personne n’a pleuré ? »
L’un des élèves le regarda avec perplexité et répondit : « À quoi vous attendiez-vous ? À ce que nous nous asseyons et pleurions ? À quoi cela aurait-il servi ? Nous devions trouver un moyen de sortir ou de nous cacher avant leur arrivée. »
R. Feigin s’attendait à cette réponse. « Oh je vois. Quand il fallut agir vite, vous saviez que pleurer ne vous aiderait pas. Pourquoi, alors, quand il s’agit de choses spirituelles est-il acceptable de pleurer ? »
Il répéta ce concept et l’expliqua jusqu’à ce qu’il pénètre leur esprit. Les élèves comprirent que pleurer ne pouvait être qu’une excuse. Que cela ne résout en rien le problème. Que la seule chose que cela procure, c’est une catharsis. En revanche, quand une personne est sérieusement déterminée à effectuer un changement, elle n’a pas le temps de pleurer. Chaque instant est précieux et doit être utilisé pour mettre en œuvre une solution. C’est comme cela que ça doit être.
En résumé, ce que nous disons, c’est que la ‘Hassidout nous enseigne qu’il y a deux façons de répondre aux facteurs négatifs, qu’ils soient d’ordre matériel ou spirituel. L’une est positive, c’est la merirout, qui se traduit par « amertume », et l’autre est négative, c’est la atsvout, que nous avons traduit par « tristesse ».
Il existe quatre différences fondamentales entre celles-ci :
a) La atsvout est dénuée de vitalité. C’est le genre d’état qui laisse une personne épuisée. Elle perd sa motivation à faire quoi que ce soit. La merirout, en revanche, suscite un regain d’énergie. Elle donne du dynamisme et de la vie.
b) La atsvout se perpétue. Les sentiments de tristesse persistent longtemps. Avec la merirout, le malaise est temporaire. Le dynamisme positif qu’elle induit produit rapidement un sentiment d’accomplissement.
c) La atsvout n’est pas orientée vers une solution pratique. Elle n’est pas un moyen d’atteindre une fin, mais une fin en elle-même. On devient satisfait de penser à quel point tout est terrible. La merirout, en revanche, est tournée vers l’avenir et se concentre sur la solution. La personne se demande : « Que puis-je faire pour résoudre le problème ? »
d) La atsvout conduit une personne à être plus renfermée et plus préoccupée d’elle-même. Elle pense de plus en plus à soi. Le dynamisme de la merirout, en revanche, permet à une personne de penser aux autres.
La différence entre ces deux approches a de nombreuses ramifications. Par exemple, tout au long des années 1960 et 1970, des Juifs occidentaux qui militaient en faveur de la communauté juive d’Union Soviétique ont appelé à ajouter une chaise vide ainsi qu’une matsa supplémentaire à la table du Séder pour évoquer le sort des 3 millions de Juifs soviétiques qui n’étaient pas libres d’assister à un Séder.
Le Rabbi de Loubavitch ne fut pas d’accord avec cette suggestion pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que Pessa’h est un jour de fête, un moment où tout ce qui a trait au deuil et à la tristesse nous est proscrit. Même s’il avait apprécié l’idée, le moment était inapproprié.
Mais en plus d’exprimer sa ferme conviction que cette décision était une erreur tactique dont le seul résultat serait d’augmenter l’hostilité des autorités soviétiques, il affirma que l’idée était fondamentalement erronée.
Le Rabbi souligna que cette suggestion mettait l’accent sur le négatif. « Vous avez donc une chaise vide, dit-il dans les jours qui précédaient Pessa’h 1970. Sortez dans la rue où vous vivez et trouvez des Juifs qui ne savent pas comment célébrer le Séder, ou ne savent même pas ce qu’est un Séder, et faites-les asseoir à votre table du Séder ! »
Avec ceci, le Rabbi ne faisait pas que suggérer une alternative : il révélait une approche de la question radicalement différente. Au lieu que notre réflexion sur le manque de liberté au sein du peuple juif résulte en une chaise vide, il voulait que l’émotion suscitée soit dirigée vers un but positif.
De quelle manière convenait-il de réagir au sort de la communauté juive soviétique ? En premier lieu, en faisant quelque chose de positif. Prenez un Juif qui est actuellement libre mais en voie d’assimilation totale – il ne cherche même pas à participer à un Séder de Pessa’h ! – et faites-lui ressentir qu’il fait partie du peuple juif. Cela déjoue les efforts des Soviétiques et d’Hitler et démontre que rien – ni Pharaon, ni Hitler, ni même « l’ouverture » de la société occidentale – ne peut rompre le lien d’un Juif avec son héritage spirituel.
Prenons un autre exemple. L’une des principales préoccupations de nombreuses personnes qui ont changé leur mode de vie et commencé à observer la Torah et ses mitsvot est la cashrout. Une fois que les gens commencent à manger casher et apprennent à quel point c’est important, beaucoup deviennent assez contrariés d’avoir mangé des aliments non-cashers pendant tant d’années.
Je connais un certain nombre de personnes qui ont écrit des lettres au Rabbi de Loubavitch pour lui demander comment expier toutes les fois qu’elles avaient mangé non-casher. Elles s’attendaient à ce que le Rabbi leur dise de jeûner plusieurs fois par semaine, de s’abstenir de manger des aliments qui leur procuraient du plaisir ou d’autres suggestions de ce genre. Le Rabbi, cependant, adopta une approche totalement différente. Il leur dit d’encourager et d’éduquer les autres Juifs à observer les lois de la cashrout.
Le message du Rabbi était en substance : « Ne vous concentrez pas sur la peine que vous ressentez du fait de vos erreurs. Transformez cette peine en énergie positive et productive. Contactez une autre personne et partagez vos idées avec elle. »
Pour que la merirout soit un outil efficace pour nous inciter à améliorer notre conduite, elle ne peut pas être laissée à la spontanéité. La croissance personnelle dépend du contrôle d’une personne sur ses sentiments, et ce contrôle ne se produit pas spontanément.
C’est pourquoi il doit y avoir un moment désigné où nous réfléchissons aux différents problèmes que nous avons. Qu’ils soient d’ordre physique, financier ou familial, nous ne pouvons pas leur permettre de nous hanter toute la journée. Nous ne pouvons pas non plus perdre le contrôle quand nous pensons à eux. Nous devons réserver un moment où nous sommes prêts à les affronter.
Même les échecs d’ordre spirituel ne doivent être considérés qu’à un moment consacré explicitement à cette fin. La ‘Hassidout évoque l’importance de réserver du temps pour réfléchir à notre bien-être spirituel. Elle appelle de telles pensées « ‘hechbone hanefech », ce qui signifie littéralement « faire le bilan comptable de son âme ».
Différents moments sont désignés pour cela :
– au quotidien : à la fin de la journée avant de se coucher.
– de façon hebdomadaire : vers la fin de la semaine, le jeudi soir.
– de manière mensuelle : le dernier jour du mois, appelé Yom Kippour Katane, un « Yom Kippour miniature ».
– de manière annuelle : à la fin de l’année, tout au long du mois d’Eloul.
Ces pratiques soulignent que, comme mentionné ci-dessus, il doit y avoir un temps désigné pour réfléchir à ces questions. Nous ne pouvons pas laisser ces pensées nous assaillir à n’importe quel moment. Nous voyons aussi que le moment désigné se situe toujours à la fin d’une période donnée.
En effet, au cours de la journée, une personne doit être active et productive et se concentrer sur ce qu’elle accomplit. Ce n’est pas le moment de prendre du recul et de considérer les situations passées, mais le moment d’agir. Lorsque la journée touche à sa fin et que l’on se prépare pour le lendemain, là on doit s’arrêter et se demander : « Comment la journée s’est-elle passée ?», et « Que puis-je faire pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui ? »
Le même concept s’applique aux cycles hebdomadaire, mensuel et annuel. Lorsque ceux-ci s’achèvent, nous devons faire le bilan de nos actions afin de nous préparer au nouveau cycle. Mais tant que le cycle actuel est en cours, nous devons être occupés à œuvrer, à accomplir des choses productives qui profiteront à la fois à nous-mêmes et aux autres.2
Sur la base de ce qui précède, nous pouvons à présent expliquer la conclusion du dernier chapitre. Lorsqu’il est dit que les pensées négatives doivent certes être chassées de l’esprit, c’est lorsque l’on ressent une tristesse qui favorise la dépression, ou bien de l’amertume mais au mauvais moment, par exemple lorsque l’on censé être au travail, ou en train d’étudier ou encore occupé avec sa famille.
À tout moment, nous devons garder le contrôle de nos pensées. Nous devons considérer le problème au moment que nous choisissons et le traiter de la meilleure manière possible. Voilà ce qu’est une approche productive.
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