Chaque fois que nos Sages veulent donner un bel exemple de vertus féminines juives, de dévotion, de sacrifice de soi aux choses les plus élevées de la vie, de loyauté, de modestie, enfin d'excellence de caractère, ils parlent de Ruth.

Et ce qui rend le cas plus frappant encore c'est que cette femme exceptionnelle, dont nous lisons l'histoire à la fête de Chavouot, ne fut pas juive de naissance, mais une princesse moabite. Cependant, nous devons peut-être à ce fait insolite l'une des profondes leçons que nous donne son histoire. La force de son caractère et l'amour qu'elle portait au peuple d'Israël et à la sainte Torah firent d'elle non seulement l'une de nos femmes les plus remarquables, mais aussi et surtout l'ancêtre du roi David dont la lignée donnera naissance au Machia'h.

Comment se fit-il que la princesse de l'un des peuples voisins – et pas des plus amicaux – d'Israël devînt un modèle de femme juive ?

Une famille de réfugiés

Eh bien ! pour commencer, avant même qu’elle eût rencontré aucun Juif, Ruth conçut une profonde aversion pour l'idolâtrie à laquelle se livrait son propre peuple, l'un des plus cruels et des plus bas de ce temps. Car, parmi les nombreux dieux qu'adoraient les Moabites se trouvait Moloch en l'honneur de qui de jeunes enfants étaient impitoyablement jetés au feu. Ruth ne tarda pas à se rendre compte qu'une telle religion ne pouvait engendrer dans le cœur de ceux qui la pratiquaient ni bonté, ni compassion, ni justice, et se mit en quête d'une autre plus compatible avec ses propres aspirations.

C'est alors que l'une des dix famines les plus dévastatrices qu'ait connues l'humanité s'abattit sur le pays d'Israël. Elimélekh, un notable de Judah, vint se fixer à Moab où il espérait trouver d'abord de quoi survivre, ensuite améliorer une situation matérielle devenue fort précaire. Ruth se lia d'amitié avec sa famille. Ce fut pour elle une occasion de se familiariser avec la religion juive. Puis, vint le jour où elle fut heureuse d'épouser l'un des deux fils d'Elimélekh. Cela voulait dire l'abandon du luxe et des honneurs que son rang de princesse royale lui assurait, pour la vie modeste dans une maison de Juifs réfugiés.

Le châtiment divin

Les choses empirèrent quand le châtiment divin frappa Elimélekh pour s'être désolidarisé de ses propres frères en quittant Judah, au lieu de partager avec eux les peines et les chagrins, et tâcher de leur venir en aide. Lui, puis ses deux fils moururent loin de leurs foyers, et la femme d'Elimélekh, la belle Naomi, resta seule. Elle décida de rentrer dans son pays où son défunt mari possédait au moins des terres.

L'idée ne l'effleura même pas de proposer à ses deux belles-filles moabites, Orpa et Ruth, de l'accompagner. Elle savait quelle triste vie l'attendait. Elle dit à chacune d'elles de retourner dans la maison de sa mère. Mais, vous le savez sûrement, seule Orpa, après bien des résistances, y consentit.

L'émouvante prière de Ruth

Ruth, elle, était si pénétrée de la vérité et de la beauté de la religion et des coutumes juives qu'elle refusa de se séparer de Naomi et de retourner à sa vie de princesse, ce qui signifiait aussi du même coup, à l'idolâtrie. Sa belle-mère fit tout pour la persuader, mais ses efforts furent vains. La réponse de Ruth est considérée comme l'expression la plus haute et la plus sublime de la fidélité. La voici :

« Ne me presse pas de te quitter, et d'aller retrouver ma mère au lieu de marcher sur tes pas. Car où tu demeureras, je demeurerai. Ton peuple est mon peuple, et ton D.ieu est mon D.ieu. Où tu mourras, je mourrai ; et là je serai ensevelie. Que D.ieu me soit témoin et me châtie, si autre chose que la mort me sépare de toi. »

Ainsi parla cette noble jeune femme. Et ses paroles sont devenues l'immortel credo de tous ceux qui ont appris à apprécier la vérité et la beauté de la Torah.

Indifférente à la misère certaine vers laquelle elle allait, Ruth partit avec Naomi, mettant son espoir et sa foi en D.ieu. Il ne les laisserait sûrement pas dans le besoin.

L'héroïsme de Ruth

Il n'est pas nécessaire d'insister sur les voies et les moyens choisis par l'Éternel pour récompenser la femme qui fit de la Torah sa propre religion, et qui abandonna une vie de luxe pour devenir la servante de D.ieu. Ce touchant récit de la moisson que nous lisons à Chavouot, justement à l'époque correspondante de l'année, je suis persuadé que vous l'avez tous lu ou entendu. Mais je ne résiste pas au plaisir de m'y attarder un peu pour vous montrer la grandeur de notre héroïne.

Quand Naomi et Ruth arrivent à Beth-Lé'hem, la ville natale d'Elimélekh, c'est l'époque de la moisson de l'orge. La famine a desserré son étreinte et la terre donne à nouveau ses fruits. Les deux femmes n'avaient cependant rien pour se nourrir. La terre appartenant à Elimélekh était entre les mains de sa famille et ne pouvait être récupérée tout de suite. Il eût été normal que Naomi se mît en quête de quelque nourriture. Ne se trouvait-elle pas chez elle où tout le monde la connaissait ? Elle avait dit aux habitants de Beth-Léhem qui venaient à sa rencontre : « Ne m'appelez plus Naama - la Douce, mais Mara -l'Amère, car amer est mon sort. » Et ils avaient été profondément remués par ces paroles. Nul doute qu'ils l'auraient volontiers secourue.

Mais Ruth ne l'entendait pas ainsi. Elle ne consentit jamais à ce que sa belle-mère allât en quête de leur subsistance. Plutôt Naomi resterait à la maison pendant qu'elle, Ruth, irait dans les champs, comme tous les besogneux ramasser les épis abandonnés une fois l'orge fauchée et les gerbes liées. Car vous n'ignorez pas qu'au cours de la moisson, les pauvres n'étaient point oubliés.

La loi du rachat

D.ieu fut favorable à Ruth. Les champs vers lesquels elle se dirigea appartenaient à Boaz, ou Ibtzan, le dixième des Juges en Israël, qui succédèrent à Josué. C'était un homme riche et d'une grande bonté. Il fit à la jeune femme un accueil fort chaleureux ; et voyant, en dépit des apparences, qu'il n'avait point affaire à une vulgaire mendiante, il donna à ses serviteurs l'ordre de la traiter avec respect.

Ruth eut sa part entière du léketh (glanures), de la péah (coin du champ laissé à l'abri de la faux à l'intention des pauvres) et de la chik’hah (gerbes oubliées dans le champ).

Ruth était au comble de la joie. Pleine d'entrain elle revint vers Naomi et lui montra l'abondante moisson qu'elle rapportait. Elle lui fit part de l'accueil amical que le propriétaire des terres lui avait réservé. À sa grande surprise, elle apprit que Boaz était un proche parent de son défunt mari et venait en deuxième place pour le rachat des propriétés d'Elimélekh. L'usage de cette prérogative créait du même coup une obligation : celle d'épouser la veuve du disparu.

Sur le conseil de Naomi, Ruth rendit visite à Boaz et lui dit qu'elle mettait son sort et celui de sa belle-mère entre ses mains. Boaz fut très touché de cette démarche, et la douceur et la noblesse de caractère de Ruth aidant, celle-ci trouva grâce à ses yeux. Il lui fit remarquer qu'il n'était point premier dans l'ordre de parenté ; il y avait un parent plus proche. Toutefois, si ce dernier renonçait à son droit de rachat des propriétés d'Elimélekh, il était, lui, prêt à assumer cette obligation.

L'heureux dénouement

Ce fut exactement ce qui arriva. L'homme qui venait en premier ne réclama pas ses droits. Cela permit à Boaz de racheter la succession d'Elimélekh et du même coup d'épouser la modeste et douce jeune femme qui avait renoncé au palais royal qui eût été sa demeure légitime, pour vivre en Juive.

Boaz (un descendant du courageux prince Na'hchone de la tribu de Judah, qui fut le premier à se jeter dans les flots menaçants de la Mer Rouge) était alors l'une des personnalités les plus en vue du peuple juif. Il eut de Ruth des enfants, et celle-ci vécut assez longtemps pour voir son arrière-petit-fils David monter sur le trône d'Israël.