On ne sait pas clairement quand l’histoire que nous allons raconter a réellement eu lieu. L’histoire est apparue pour la première fois dans un livre très ancien du nom de l’héroïne, Yehoudit (Judith), et elle était écrite en hébreu. Cependant, le texte original fut perdu et seule une traduction grecque est demeurée, malheureusement pas très précise.
L’histoire fut racontée dans différentes versions. Selon l’une d’entre elles, elle se produisit pendant la révolte des Maccabées contre l’oppression syrienne, et Yehoudit était la fille de Yo’hanane, le grand prêtre, père de la famille des Hasmonéens.
Quoi qu’il en soit, l’acte héroïque de Yehoudit inspira la foi et le courage dans le cœur des Juifs à travers les âges.
Béthul, en Judée, était assiégée. Le général syrien, Holopherne, avait investi la ville à la tête d’une puissante armée. Lorsqu’il prenait une ville et l’occupait, il avait coutume de n’épargner personne, sans considération de sexe ni d’âge. Il n’y eut donc rien d’étonnant à ce que les Juifs assiégés de Béthul aient lutté avec le courage du désespoir. L’ennemi finit par se résoudre à un siège de longue durée.
Les vivres et les réserves d’eau furent épuisés trop vite et la force des assiégés déclina. Les habitants se rendirent en foule sur la place du marché pour exiger du commandant de la place, Ouzi, et des Anciens qu’ils ouvrent des négociations avec Holopherne, en vue de la capitulation.
Après bien des efforts, cependant, Ouzi et les magistrats obtinrent de la population un délai de cinq jours, pendant lesquels, disaient-ils, le secours de D.ieu pouvait encore intervenir.
Lorsque la foule se fût dispersée, une femme demeura sur place, comme enracinée, plongée qu’elle était dans de profondes réflexions. Finalement, elle bougea. Mais au lieu de rentrer chez elle, elle s’approcha hardiment d’Ouzi et des Anciens auxquels elle tint ce langage :
– De quel droit mettez-vous D.ieu à l’épreuve en Lui donnant une sorte d’ultimatum ? Si vous avez la foi, de quel droit fixez-vous une date extrême à Son intervention ? Et ne savez-vous donc pas que de se livrer au pouvoir d’Holopherne est pire que la mort ?
Ouzi et les Anciens prêtèrent une oreille attentive aux reproches que leur formulait ainsi Yehoudit, fille du Grand-Prêtre Yo’hanane et veuve de Manassé que, depuis plusieurs années déjà, elle pleurait, retranchée volontairement de la vie publique et consacrant son existence à la piété et à la ferveur, à la charité et à la réflexion.
Un courage inébranlable
– Tu as raison, ma fille ! dirent-ils dans un profond soupir de détresse. Mais pour l’heure, une pluie diluvienne, qui remplirait nos citernes, pourrait seule écarter la fatalité. Le peuple meurt de soif. Prie, Yehoudit ! Peut-être le Tout-Puissant exaucera-t-Il tes supplications.
– Prier ? Voilà ce que nous devons faire tous !, répliqua Yehoudit, mais sans, pour autant, abandonner l’espérance. J’ai conçu un plan de manœuvre que je m’en vais vous soumettre. Peut-être est-ce par mon intermédiaire que D.ieu fera notre salut à tous. Autorisez-moi et ma servante à quitter la ville, et j’irai chez Holopherne !
– Comment, Yehoudit ! se récrièrent-ils. Sais-tu ce que tu dis et à quoi tu veux t’exposer ? Ton honneur et ta vie sont en jeu ! Un espoir si ténu vaut-il un tel sacrifice ?
– D.ieu a fait le salut un jour par Yaël, la femme de ‘Hever, et a livré Sisséra au pouvoir d’une faible femme ! répliqua fièrement Yehoudit.
Au camp ennemi
Rien ne put ébranler sa détermination. En vain, les Anciens et le haut-commandement militaire s’efforcèrent-ils de la dissuader. Vaincus par la résistance opiniâtre qu’elle opposait à leurs arguments, ils finirent par se résigner et lui accordèrent leur bénédiction.
Yehoudit quitta la cité, revêtue de ses plus beaux atours qu’elle n’avait plus portés depuis la mort de son époux. Un voile épais couvrait son beau visage. Sa servante l’accompagnait, portant sur la tête un panier tout rempli de pains et de fromages, avec, en sus, quelques bouteilles de vin fort et vieux.
Le soleil, déjà, s’était caché derrière les montagnes, et les deux femmes poursuivirent leur route en murmurant une prière. Bientôt une sentinelle avancée de l’ennemi les interpella. Mais d’une voix sans réplique, Yehoudit lui dit : « Nous apportons des informations au général ! Conduisez-nous immédiatement auprès de lui ! »
Holopherne fut impressionné par le charme qui se dégageait de Yehoudit. Cependant, il la questionna : « Qui es-tu ? Dans quel but viens-tu me voir ? »
La foi ferme des assiégés
– Je viens de Béthul. Je peux te dire comment prendre la ville ! répondit Yehoudit. Puis elle dit qu’elle connaissait de réputation la valeur militaire d’Holopherne et qu’elle était venue à lui dans l’espoir qu’elle aurait ainsi la vie sauve. « En ce qui concerne la ville assiégée, conclut-elle, la vie y est devenue insupportable, car les gens ont faim, et soif, surtout. Cependant, leur foi est demeurée ferme, et tant qu’ils la garderont intacte, vous ne pourrez pas prendre la ville d’assaut. Mais les réserves d’aliments licites sont épuisées. Bientôt, ils ne pourront plus s’abstenir de se nourrir de bêtes impures. À ce moment, la colère divine s’acharnera sur eux et livrera leur cité en votre pouvoir. J’ai convenu avec les sentinelles de venir les voir chaque soir en secret après la tombée de la nuit, pour prendre des informations sur l’évolution de la situation. Serait-il possible de leur garantir la vie sauve pour le jour où la ville tombera ? »
La victoire
Intéressé d’une part, charmé d’autre part par la beauté et le maintien altier de cette inconnue, Holopherne acquiesça et donna l’ordre aussitôt à ses hommes de laisser Yehoudit et sa servante aller et venir hors du camp chaque soir après la tombée de la nuit.
– Si tu dis la vérité et m’aides à prendre la ville, je ferai de toi ma femme ! dit-il à Yehoudit.
Mais Yehoudit, chaque soir, quand elle se rendait auprès des assiégés, les exhortait au courage et à la persévérance, faisant informer Ouzi que le succès de sa première démarche autorisait tous les espoirs.
Le troisième soir, Holopherne convia la « transfuge » à un tête-à-tête sous sa tente et interdit à ses hommes de le déranger sous n’importe quel prétexte. Une table était dressée sous sa tente seigneuriale, chargée de mets les plus appétissants et de vins les plus rares. Mais Yehoudit les déclina, tenant essentiellement, insista-t-elle, à se nourrir des aliments qu’elle avait elle-même préparés et apportés. Or, les fromages de Yehoudit avaient certes bon goût, mais ils étaient fort salés ; quant aux vins qui les accompagnaient, tentateurs pour la soif ravivée du conquérant, ils étaient vieux et forts. L’ivresse vint vite, puis la torpeur, et Holopherne partit au royaume des rêves.
« Donne-moi la force ! juste cette fois-ci ! », pria Yehoudit, usant de la formule même que Samson avait rendue inoubliable. Puis, faisant appel à tout son courage, elle prit l’épée du général et l’en frappa de toutes ses forces.
Holopherne, ainsi, perdit définitivement... sa tête. Cette tête, Yehoudit l’enveloppa dans son voile et, peu de temps plus tard, quitta le campement en compagnie de sa servante et, mine de rien, alla vers la ville, faisant semblant d’agir comme aux soirs précédents. Mais cette fois-ci, elle demanda aux sentinelles de la faire entrer et elle se rendit sur-le-champ chez Ouzi, lui montrant le cadeau qu’elle lui avait apporté.
Sans perdre de temps à écouter de vains éloges, elle interrompit l’enthousiaste commandant : « Nous n’avons pas de temps à perdre ! Donne immédiatement l’ordre de partir à l’assaut. Les soldats d’Holopherne vont perdre la tête lorsqu’ils courront avertir leur chef et le trouveront... sans tête. Dans leur désarroi, il est probable qu’ils prendront la fuite, et la victoire sera nôtre. »
Il en fut fait ainsi, et les prévisions de Yehoudit se réalisèrent. Béthul put à nouveau respirer, grâce à la bravoure et à la foi d’une « faible femme ».
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