La révolte

La cinquième partie du livre des Nombres porte le nom de son personnage central, Kora’h, cousin germain de Moïse. Peu après l’épisode des explorateurs, Kora’h mena une révolte contre Moïse ; cette paracha la relate par le détail et rapporte comment Dieu agit en réponse.

L’un des aspects de la révolte de Kora’h de nature à éveiller la curiosité est le moment où elle éclate. Après tout, Moïse avait conduit le peuple hors d’Égypte plus d’un an auparavant. Si Kora’h avait des griefs contre lui, il eut bien assez de temps pour les exprimer plus tôt. En outre, Dieu avait indubitablement soutenu Moïse contre les arguments des explorateurs. De tous les moments possibles, celui-ci semblait le moins propice pour lancer une révolte contre lui.

Mais la question est que ce n’est pas en dépit des explorateurs que Kora’h décida de se révolter à ce moment précis, mais bien à cause d’eux. Kora’h ne souscrivait pas aux vues de Moïse au sujet du lien entre l’homme simple et le prêtre, entre le profane et le saint. Pour Kora’h, l’homme de la rue qui consacre sa journée à des activités profanes est tout aussi saint que le prêtre qui effectue les siennes dans le Temple.

Kora’h prit en compte la réponse de Dieu à la volonté des éclaireurs de demeurer dans le désert. Là-bas, les Juifs vivaient sur un mode purement spirituel, protégés par les nuées de Gloire et nourris par la manne et l’eau du puits de Miriam. Les explorateurs ne voulaient pas entrer sur « une terre qui consume ses habitants » par les soucis matériels qu’elle impose. Moïse précisa alors que Dieu voulait qu’ils y entrent même si la spiritualité dont ils jouissaient dans le désert allait en souffrir. Car, en fait, la Création n’a pour but que d’élever le profane.

S’il en est ainsi – soutint Kora’h, et en cela résidait son erreur –, pourquoi le Juif ordinaire doit-il chercher conseil auprès du prêtre ? Pourquoi doit-il considérer le produit qu’il lui réserve comme l’apogée de son travail ? Et, de même, les quelques heures qu’il consacre aux activités similaires à celles des prêtres – telles l’étude et la prière – comme le point culminant de sa journée ? Ne devraient-ils pas être considérés tous les deux comme égaux mais distincts, aucun d’eux meilleur ou plus saint que l’autre ? En tout état de cause, le Juif simple est plus saint que le prêtre, puisque c’est lui qui accomplit le but de Dieu dans la Création.

Voici la raison qui poussa Kora’h à chercher à devenir grand prêtre : il voulait redresser les choses. Il aspirait à redéfinir le statut de grand prêtre comme étant, non plus saint que le reste du peuple, mais simplement différent. « L’assemblée tout entière est sainte, l’Éternel est au milieu d’eux ; pourquoi donc vous élevez-vous au-dessus de la communauté de l’Éternel ? »

À cela, Moïse répondit :1 « Le matin, l’Éternel fera savoir ... » Il est vrai que le Juif simple concrétise le désir de Dieu pour Sa Création, désir que les tâches élevées du prêtre ne peuvent combler. Cependant, de même que l’on dit à l’homme simple d’entrer dans le pays et de le labourer, on lui rappelle tout autant de ne pas perdre du regard le prêtre, la transcendance, les moments de sa journée tangiblement saints, afin que sa vie soit emplie de lumière comme le « matin », et qu’ainsi, par l’accomplissement des commandements divins, sa conscience de Dieu s’accroisse dans son cœur et dans son esprit.

Des explorateurs nous apprenons que la finalité divine pour la Création ne se concrétise qu’en entrant dans le pays, autrement dit lorsque le judaïsme s’exprime dans l’action. Quant à Kora’h, il nous enseigne que la prééminence donnée à l’action ne doit pas se traduire par un judaïsme sec et mécanique. La pratique concrète des commandements, animée par la conscience et l’amour de Dieu, brille de la lumière du matin.

Après que la révolte fut étouffée, Dieu réaffirma Son soutien à la tribu de Lévi et au groupe des prêtres en récapitulant leurs responsabilités envers les Juifs simples et les redevances que ces derniers sont tenus de leur remettre. Malgré le caractère évident du lien thématique nouant cette réaffirmation à la révolte de Kora’h, il semble pourtant étrange qu’elle trouve sa place dans une paracha nommée d’après la personne qui remit en question la justesse de cette distinction.

Cependant, à la lumière de ce qui vient d’être dit, l’inclusion de cette distinction sous le titre de Kora’h est certainement appropriée. Kora’h aspira depuis toujours à devenir le grand prêtre, à faire l’expérience de la transcendance et du sentiment de proximité avec Dieu. En cela nous devons l’imiter. C’est effectivement le message au cœur de la paracha : aspirer à la transcendance même lorsque nous sommes immergés dans le profane.2