Cette Paracha a trait à la révolte de Kora’h et de ses fidèles contre le Sacerdoce d’Aaron et de ses fils. Quel était exactement le but de Kora’h ? D’une part, il élevait une protestation contre toute l’institution sacerdotale, ou au moins contre tout statut spécial la concernant. D’autre part, il ressort clairement du récit qu’il voulait pour lui-même la charge de Grand-Prêtre. Est-il possible de dégager une logique au milieu de ces objectifs contradictoires ? C’est le point central de la recherche de ce discours. Et cette analyse a pour résultat deux difficultés supplémentaires : pourquoi a-t-on éternisé le nom d’un contestataire – ce qu’était Kora’h – en nommant d’après lui une des sections de la Torah ? Et pourquoi cette Paracha contient-elle deux thèmes apparemment opposés : la révolte de Kora’h et l’attribution à Aaron des vingt-quatre « Dons destinés au Sacerdoce ».
Thèmes et oppositions
Chacune des cinquante-trois Parachas des Cinq Livres de Moché a un thème central, présent d’un verset à l’autre, du premier au dernier, et que suggère le nom de la Paracha. Ce leitmotiv continu est si affirmé, que le lien thématique entre le premier verset et le dernier est plus fort que celui qui relie la fin d’une Paracha au début de la suivante, même si celui-ci poursuit ce qui paraît continuer le même récit. En fait, l’existence même d’une interruption entre deux Parachas indique qu’il y a une certaine discontinuité entre elles, et qui va parfois si loin qu’elle marque même une certaine opposition. C’est ce que nous voyons à la fin de Béhaalotékha, où Myriam est punie pour avoir dit du mal de Moïse, et au début de Chela’h, où les espions, sur le point d’être envoyés en Terre d’Israël, sont témoins du châtiment et n’y font pas attention, pour enfin tomber dans le même péché.1
À première vue, cette règle générale semble difficile à appliquer à la Paracha Kora’h, qui commence avec l’accusation que portent Kora’h et ses fidèles contre Aaron et le Sacerdoce, et qui finit avec D.ieu accordant les « vingt-quatre dons destinés au sacerdoce ». L’accusation initiale et la dernière validation semblent s’opposer. En fait, ce n’est pas que la dernière soit simplement le produit de la première. Nous devons plutôt chercher de quelle manière les dons accordés au sacerdoce font partie intégrale de l’histoire de Kora’h. Car la Paracha est appelée par son nom, c’est donc là que réside son thème central.
Mais la recherche est entravée par le problème suivant : la révolte de Kora’h avait pour raison son opposition au sacerdoce, tel que le détenait Aaron ; alors que les « vingt-quatre dons » étaient, comme le dit Rachi, une façon « d’écrire, de sceller et d’enregistrer à la cour » les dons sacerdotaux accordés à lui.
Il y a encore une autre difficulté. Comment en est-on venu à donner dès l’abord à la Paracha le nom de Kora’h ? Car, sur le verset2 « le nom des méchants pourrira », le Talmud3 fait le commentaire suivant : « Leurs noms déclineront, car nous ne mentionnons pas (les méchants) par leurs noms ». Si nous ne devons pas mentionner les méchants par leurs noms dans la conversation ordinaire, encore moins devons-nous donner à une Paracha de la Torah le nom de l’un d’eux, car c’est là une façon de le perpétuer.
Et il n’y a aucune grâce salvatrice en Kora’h, car bien que, comme nous le dit Rachi, ses fils se repentirent, lui-même ne se repentit point. Dans le nom lui-même, il n’y a aucune suggestion de droiture : il signifie une tache toute nue4 ; et, comme l’explique le Midrach,5 il a pour connotation des divisions (créer une tache entre deux groupes précédemment unis).
Maïmonide écrit6 que la Torah fut donnée « pour faire régner la paix dans le monde ». Comment, dès lors, l’une de ses sections peut-elle porter un nom qui suggère la division ?
Enfin, il y a quelque chose d’apparemment illogique dans la réclamation de Kora’h. D’une part, il semble opposé à l’institution même du sacerdoce, ou au moins à son statut spécial, lorsqu’il dit : « Car toute l’assemblée est sainte, et l’Éternel demeure au milieu d’eux. Pourquoi vous élevez-vous au-dessus de l’assemblée de l’Éternel ? »7 D’autre part, il apparaissait que Kora’h et ses fidèles recherchaient le sacerdoce pour eux-mêmes, comme Moïse le leur dit explicitement.8
Une explication est qu’ils ne souhaitaient pas l’abolition du sacerdoce ; ils désiraient seulement qu’il ne fût pas limité à Aaron. Ils voulaient beaucoup de Grands-Prêtres ; ils cherchaient à être promus eux aussi à ce rang. Cependant, le commentaire de Rachi9 montre clairement que Kora’h désirait la charge de Grand-Prêtre pour lui seul ; il pensait que son bon droit à lui tout seul serait reconnu dans le procès qu’allaient subir les accusateurs. Si telle était son ambition, alors pour quelle raison dit-il : « Pourquoi vous élevez-vous ? » – car il avait, au contraire, des raisons de souhaiter l’élévation du sacerdoce ?
Le firmament qui départage les eaux
Les paroles d’ouverture de notre Paracha : « Et Kora’h prit » sont traduits dans le Targoum par « Et Kora’h s’est séparé » ; et dans son ouvrage intitulé Noam Elimélekh, Rabbi Elimélekh de Lizensk compare la dissension de Kora’h au firmament que D.ieu créa le second jour pour départager les eaux supérieures des eaux inférieures. Que voir dans cette analogie ?
L’une des différences entre les prêtres et le reste des Enfants d’Israël fut que les premiers étaient retirés des affaires du monde et entièrement absorbés par leur office saint.
Particulièrement le Grand-Prêtre (contre lequel l’accusation de Kora’h était principalement dirigée) dont il est écrit : « Il ne quittera pas le Sanctuaire. »10
Mais, en dépit de cela, il n’était pas coupé du reste du peuple. Au contraire, il exerçait son influence sur tous les Israélites, les élevant à son propre niveau de sainteté. Cela était symbolisé par l’allumage des sept branches de la Ménora.11 L’attribut spécial d’Aaron était Ahava Rabba, « un grand amour de D.ieu », et il rapprochait le peuple de ce service.
Mais Kora’h contestait la nécessité de cette influence d’Aaron. Selon lui, le peuple n’avait nul besoin d’être élevé au niveau des prêtres. Car si les prêtres avaient leur rôle particulier, de même, le peuple avait le sien, soit l’accomplissement de la volonté de D.ieu dans le monde pratique, ce qui était, en effet, tout le but de la Torah. Les prêtres et le peuple, considérés comme des entités séparées, ce dernier avait au moins autant droit aux honneurs et au haut rang que les premiers.
Les prétentions de Kora’h cessent dès lors d’être illogiques. Il recherchait le sacerdoce pour lui, mais comme un office entièrement éloigné du peuple. D’où son accusation : « Pourquoi vous élevez-vous ? » À ses yeux, les deux groupes, tout à fait distincts, avaient chacun leur statut spécial.
De cette façon, Kora’h était semblable au firmament : son objectif était de diviser le peuple, comme le firmament le fit des eaux, et couper le lien entre le Sanctuaire et le monde ordinaire.
Le deuxième jour de la Création, nous trouvons que D.ieu ne dit pas « ...et cela était bien ». Nos Sages expliquent12 que ce fut parce que la division (le firmament) fut créée ce jour-là. Ce n’est que le troisième jour que ce jugement a été prononcé et répété : une fois pour la création de ce jour, et une fois pour le firmament,13 qui fut purifié et sa division réparée.14 Ainsi nous apprenons que, dans le plan divin, il doit y avoir une division entre les choses célestes et les choses terrestres, mais que l’accomplissement de ce plan réside dans leur réunification. Et de même qu’il en fut ainsi au troisième jour de la Création, la Torah fut donnée au troisième millénaire pour unir le ciel et la terre, D.ieu descendant, et Israël montant, vers cette union.15
Cela est applicable aussi aux Enfants d’Israël. Bien qu’il y ait ceux qui sont totalement engagés dans le service saint et « ne quittent pas le Sanctuaire », et ceux dont le service a lieu dans le monde pratique (« Dans toutes tes voies, connais-Le »16), les uns ne doivent pas être séparés des autres, mais les premiers doivent conduire les derniers, comme le fit Aaron, vers un rapprochement toujours plus grand avec D.ieu. Cela, l’homme de ce monde, l’homme des affaires, etc., l’atteint en s’assignant des heures régulières pour l’étude de la Torah. Et cette étude doit être faite avec une concentration si intense qu’il est, à ce moment-là, pareil à celui qui « ne quitte jamais le Sanctuaire ».
Et de même que l’œuvre du deuxième jour fut consommée le troisième, ainsi D.ieu autorisa la division causée par Kora’h, afin qu’elle atteigne son accomplissement dans les vingt-quatre dons du sacerdoce. Car celui-ci fut établi comme une alliance éternelle, de sorte qu’elle n’aurait pas eu lieu si Kora’h n’avait pas élevé précédemment sa protestation.
Tel est le rapport entre le commencement et la fin de notre Paracha. La dissension, bien qu’elle paraisse, à première vue, opposée au pacte d’alliance du sacerdoce, en était au contraire une condition préalable.
Et c’est pour cette raison que le nom de Kora’h est perpétué grâce à la Paracha qui porte son nom. Bien que Kora’h représente la division et que la Torah représente la paix, la paix et l’union qu’apporte la Torah viennent non pas malgré la division, mais par son intermédiaire. Et bien qu’il y ait un ciel et une terre, la prière et le service en font une seule et même chose, jusqu’à ce que D.ieu Lui-même habite au milieu de nous.
(Source : Likoutei Si’hot, vol. 8, p. 114-122)
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