Voici la situation : vous êtes ici alors que vous souhaitez être là-bas (ce « là-bas » représentant un état plus élevé, plus spirituel que l’« ici »). Mais vous n’y serez pas avant longtemps, ni même peut-être jamais.

Alors, est-ce que vous vous comportez comme si vous y étiez déjà ? Ou bien vous dites-vous qu’ici c’est finalement très bien, et qu’il n’y a nul besoin d’aller là-bas ?

Vous pouvez devenir hypocrite, ou vous pouvez accepter vos limites. Mais il existe une troisième voie : celle de la Longue Perche.


Dans la pièce extérieure du heikhal (sanctuaire) du Temple se dressait la ménorah, un candélabre à sept branches en or pur, haut d’environ un mètre cinquante. Chaque matin, un prêtre remplissait les sept lampes de la ménorah avec l’huile d’olive la plus pure ; l’après-midi, il gravissait un escalier de trois marches pour les allumer. Les sept flammes brûlaient toute la nuit, symbolisant la lumière divine qui rayonnait du Temple vers le monde.

En réalité, il n’était pas indispensable que l’allumage de la ménorah soit effectué par un prêtre (un cohen) : la loi stipule qu’un Israélite ordinaire est également habilité à réaliser cette mitsva. Mais il existe aussi une loi qui réserve l’accès au sanctuaire aux seuls cohanim : les Israélites ordinaires ne pouvaient s’aventurer au-delà de la azara, la cour du Temple.

Ces deux lois engendrent un paradoxe juridique : un Israélite ordinaire peut allumer la ménorah, mais celle-ci doit être placée à l’intérieur du sanctuaire, où il ne peut pas entrer.

Techniquement, des solutions existent : un Israélite peut allumer la ménorah à l’aide d’une longue perche, ou bien un cohen peut la lui apporter puis la replacer dans le sanctuaire. Mais la contradiction subsiste : si la Torah considère qu’une personne ordinaire devrait pouvoir allumer la ménorah, pourquoi ne la place-t-elle pas dans une partie du Temple accessible aux personnes ordinaires ? Et si la sainteté de la ménorah est telle qu’elle nécessite la plus grande sainteté du sanctuaire, pourquoi la Torah permet-elle à quelqu’un qui ne peut atteindre ce niveau de l’allumer ?

Ce paradoxe, explique le Rabbi de Loubavitch, est délibérément établi par la Torah afin de nous transmettre un enseignement des plus profonds : la leçon de la longue perche.

La leçon de la longue perche nous enseigne qu’il nous faut aspirer à des hauteurs spirituelles qui se trouvent hors de notre portée. Non qu’il faille chercher à paraître ce que nous ne sommes pas – ce serait comme une personne ordinaire qui entrerait dans le sanctuaire –, mais il ne faut pas non plus renoncer à nos efforts pour atteindre cet endroit. Même lorsque nous savons que nous-mêmes ne serons jamais « là-bas », nous pouvons quand même exercer une action sur ce lieu, l’influencer, voire l’illuminer.

Parfois cela signifie que quelqu’un de ce lieu plus élevé descend vers nous. Parfois cela signifie que nous imaginons une façon de dépasser notre condition actuelle. Dans l’un et l’autre cas, nous devenons ce que Rabbi Chalom DovBer de Loubavitch appelle un « allumeur de réverbères » : celui qui porte une longue perche avec une flamme à son extrémité et se déplace de lampe en lampe pour les allumer. Aucune lampe n’est trop basse, et aucune lampe n’est trop élevée pour l’allumeur de réverbères muni de sa perche.