Dispensée selon la tradition, l’éducation juive se révèle bien différente de ce que l’on pourrait imaginer.
Gardons à l’esprit qu’il s’agit de l’institution la plus vitale du judaïsme. Les Juifs prennent des décisions majeures dans leur vie (comme le choix de leur lieu de résidence ou leurs objectifs de revenus) en fonction de l’éducation de leurs enfants. Les frais de scolarité qu’ils assument dépassent souvent même leurs dépenses de logement.
Imaginons que l’on vous confie la tâche de créer un système d’éducation juive. Qu’enseigneriez-vous ?Pourtant, malgré ces coûts, en 2014, les écoles juives à temps plein aux États-Unis connaissaient un essor considérable, avec une augmentation des inscriptions de 37 % depuis 1998.1 Le mouvement ‘Habad a joué un rôle majeur, passant de 44 à 80 écoles sur la même période, avec une augmentation de 50 % des inscriptions depuis 2003.2 Des tendances encore plus marquées ont été observées au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Russie, au Brésil, en Argentine et dans d’autres grandes communautés juives de la diaspora.
Car pour un Juif, l’éducation juive de ses enfants est l’essence même de la vie.
Alors imaginons que l’on vous confie la tâche de créer un système d’éducation juive. Votre objectif est de former des Juifs instruits, dévoués au peuple juif et à ses valeurs, qui ne cesseront jamais d’apprendre tout au long de leur vie.
Que leur enseigneriez-vous ?
Maintenant que vous avez eu le temps de réfléchir à cette question, examinons le programme établi pour le système éducatif juif originel.
Dans cet article:
- Une minute ! Comment l’éducation juive est-elle devenue ce qu’elle est ?
- Le premier système d’éducation publique au monde
- L’éducation juive de la naissance à dix ans : le Juif lettré
- L’éducation juive de dix à quinze ans : le Juif érudit
- L’éducation juive : de l’ignorant au Juif instruit
- Trois enseignements sur l’éducation juive
Une minute ! Comment l’éducation juive est-elle devenue ce qu’elle est ?
Avant de commencer, plaçons ce système éducatif dans son contexte historique et sociologique.
La société juive a toujours été singulière, principalement parce que son activité religieuse et sociale principale est l’éducation. Dans la culture juive traditionnelle, la chose la plus impressionnante que l’on puisse dire de quelqu’un n’est pas qu’il est riche, beau ou puissant, ni même qu’il est médecin. Le plus grand compliment que l’on puisse faire à quelqu’un est de dire qu’« il sait étudier ».
Cette attitude envers l’éducation commence dès l’enfance, à la maison comme à l’école. Et elle puise ses racines dans un passé lointain.
Qu’est-ce que D.ieu a trouvé de si particulier chez Abraham ? Son courage ? Sa foi ? Sa vision ? Son éloquence ? Rien de tout cela. D.ieu le dit Lui-même : « Il m’est cher, car Je sais qu’il ordonnera à ses enfants et à sa maison après lui de suivre les voies de D.ieu, de pratiquer la charité et la justice ».3 Abraham, patriarche du peuple juif, était avant tout un éducateur pour sa famille, comme pour le monde entier.
Il en va de même pour Moïse. Les dix plaies et l’ouverture de la mer Rouge étaient impressionnantes, mais sa tâche principale dans la vie était d’enseigner au peuple. De fait, il a créé une société qui ne pouvait fonctionner que par l’éducation. Et il ne cesse d’insister : « Peuple ! Enseignez à vos enfants ! »4
Dans le monde antique, personne d’autre n’avait fait de l’éducation des enfants une obligation religieuse.Une observation maintes fois répétée mérite d’être soulignée : c’est bien cette conception singulière de l’éducation qui distinguait l’ancien Israël de ses voisins et de ses adversaires, permettant plus tard à son peuple non seulement de survivre en exil, mais d’y prospérer.
Dans le monde antique, aucune autre civilisation n’avait érigé l’éducation des enfants en devoir religieux. Certes, un païen grec, romain ou zoroastrien devait maîtriser l’art des offrandes à ses divinités tutélaires. Peut-être était-il initié aux mystères et à la magie, son père ayant adhéré à l’un de ces cultes orphiques, dionysiaques ou mithriaques. Les plus chanceux, nés d’un père manichéen (adepte d’une ancienne religion qui n’est pas sans rappeler Star Wars), apprenaient l’alternance du jeûne et de la prière.5
Mais le judaïsme transcendait la simple transmission des usages. Au-delà du « Voici nos pratiques », il enseignait : « Étudie ces textes en profondeur, pénètre-toi de leurs commentaires et prends part au débat millénaire qu’ils suscitent ».
Plus surprenant encore, même les religions monothéistes issues du judaïsme, tels le christianisme et le samaritanisme, n’ont pas repris cette exigence fondamentale de l’enseignement parental.6
Cette singularité éclaire la décision des Sages d’Israël qui, dans le siècle précédant la destruction de Jérusalem par les Romains en 70 è.c., instituèrent le premier système scolaire public au monde. Pressentant l’imminence de la diaspora, ils préparèrent le peuple à cette épreuve en formalisant le processus de l’éducation juive.
Le premier système d’éducation publique au monde
Voici comment cela s’est passé, selon les témoignages de ceux qui l’ont dirigé :
« En vérité, cet homme est rappelé pour le bien, et son nom est Yehochoua ben Gamla. Sans lui, la Torah aurait été oubliée du peuple juif.
Au début, celui qui avait un père se faisait enseigner la Torah par lui, et celui qui n’avait pas de père n’étudiait pas la Torah du tout...
Quand les Sages constatèrent que tous n’étaient pas capables d’enseigner à leurs enfants, ils instituèrent que des maîtres pour enfants soient établis à Jérusalem...
Mais encore, ceux qui avaient des pères venaient à Jérusalem et recevaient l’enseignement, tandis que ceux qui n’avaient pas de père ne venaient pas.
Alors les Sages instituèrent que des maîtres pour enfants soient être établis dans une ville de chaque région. Et ils amenaient les élèves à l’âge de seize ans et de dix-sept ans.
Mais à cet âge, un élève dont le maître s’irritait contre lui se rebellait et partait.
Jusqu’à ce que Yehochoua ben Gamla vienne (65 è.c.) et institue que des maîtres pour jeunes enfants soient être établis dans chaque province et dans chaque ville, et l’on faisait venir les enfants pour étudier dès l’âge de six et sept ans ».7
Ces mêmes Sages entreprirent alors d’établir un programme d’études. Il s’agit essentiellement d’un recueil facilement mémorisable de toutes les lois juives qui auraient pu autrement être oubliées, car les Juifs étaient maintenant dispersés dans les empires romain et perse, et personne ne savait quand ils retrouveraient leur terre. Ce programme mit plusieurs générations à se consolider, et il s’appelle la Michna.
Ils déterminèrent également les niveaux d’âge pour chacune des étapes de l’éducation : la lecture, la compréhension et le raisonnement (ou plutôt l’argumentation). (L’écriture n’était pas une priorité dans le monde antique. L’art des scribes était un métier spécialisé en raison des ressources qu’il nécessitait.)
Voici donc comment le système est organisé :
L’éducation juive de la naissance à dix ans : le Juif lettré
Les premières années suivent un cours attendu. On vous nourrit des histoires fondamentales dès que vous commencez à comprendre ce que disent les adultes, et vous apprenez les prières de base dès que vous pouvez parler.8 Une fois par an, vous vous levez et demandez à tous les adultes : « En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? » – et ils vous racontent toute une histoire, repas inclus.
À cinq ans, votre père est censé commencer à vous enseigner les bases de la lecture de l’hébreu.9
À l’âge de six ou sept ans – selon votre maturité – vous êtes envoyé à l’école.
Là, on vous charge d’encore plus d’histoires, mais cette fois vous devez apprendre à les lire vous-même, à voix haute, avec les mélodies prescrites, depuis « Au commencement... » à travers les Cinq Livres de Moïse, les Prophètes, les Psaumes, les Proverbes, Job, Ruth, Esther... toute la Bible hébraïque – tout cela avant l’âge de dix ans.
Toujours rien de très surprenant – mis à part qu’il y a des passages vraiment délicats dont on ne penserait pas qu’un enfant d’un si jeune âge devrait y être exposé. Mais après tout, c’est toute la Torah de D.ieu, et tout votre héritage. Alors laissons le maître trouver un moyen d’expliquer les réalités de la vie adulte à l’enfant naïf et innocent.
Les choses deviennent vraiment intéressantes à l’âge de dix ans. C’est là que commence l’étude de la Michna.
Lire : Éducation juive
L’éducation juive de dix à quinze ans : le Juif érudit
À l’âge de dix ans, ont déterminé les fondateurs de notre système éducatif, vous devez savoir quoi faire si votre bœuf encorne le bœuf de quelqu’un d’autre. Ou s’il traverse le marché et brise la poterie de quelqu’un avec sa queue.
Vous devez savoir quoi faire si vous trouvez un objet perdu – comment déterminer s’il a été placé là intentionnellement ou simplement perdu par négligence, si le propriétaire pourra l’identifier, s’il le cherche encore ou s’il y a renoncé (auquel cas, il pourrait bien vous appartenir), et comment savoir si celui qui le réclame dit la vérité.
Ils ont également déterminé qu’un enfant de dix ans doit savoir comment rédiger un contrat inattaquable qui tiendra devant un tribunal, et comment s’assurer qu’on n’escroque personne avec ce contrat.Ils ont également déterminé qu’un enfant de dix ans doit savoir comment rédiger un contrat inattaquable qui tiendra devant un tribunal, comment être témoin pour un contrat, comment s’assurer qu’on n’escroque personne avec ce contrat, et quelles conditions pourraient s’appliquer dont on pourrait ne pas avoir conscience.
Il y a ensuite comment se marier. Comment divorcer. Combien il faudra débourser si l’on opte pour le divorce, et pourquoi ce n’est pas une bonne idée.
Il y a les lois sur les garanties, les nantissements sur les biens, les baux, les prêts et les responsabilités des deux parties dans tous ces cas.
Vous devrez savoir qui peut siéger dans un tribunal pour juger une affaire monétaire, qui peut siéger dans une cour de 23 juges pour juger une affaire capitale, comment ils jugent une affaire, quelles preuves sont considérées comme crédibles et lesquelles ne le sont pas, et ce qui se passe s’ils ne peuvent pas parvenir à une conclusion.
Entre dix et quinze ans, vous aurez également appris comment construire un mikvé – un bassin pour l’immersion rituelle. Vous apprendrez les cycles menstruels féminins et leur impact sur la vie conjugale. Vous apprendrez quelles relations sont interdites et lesquelles sont permises. Vous obtiendrez une carte des relations familiales d’une hyper-complexité s’étendant aux cousins au premier, deuxième et troisième degré – afin de savoir comment cela affecte le mariage, le témoignage au tribunal et l’héritage.
Bien sûr, il y a aussi les aspects rituels, comme la façon de pratiquer l’abattage casher d’un animal ou d’une volaille, comment vérifier ses organes internes pour s’assurer qu’il n’est pas taref, et comment le saler pour retirer son sang. Il y a les lois de la circoncision, des offrandes au Temple, des dîmes aux cohanim et aux lévites. Beaucoup de règles sur l’impureté rituelle, pour que, lorsque vous donnez ces dîmes, ceux qui les reçoivent puissent effectivement les consommer.
Vous mémoriserez et assimilerez certaines structures fondamentales et schémas conceptuels de base, comme les trente-neuf formes de travail interdites le Chabbat, les quatre types de dommages, les quatre catégories de liquides qui peuvent tomber dans un mikvé.
En gros, tout l’éventail de la loi juive en cinq ans. Mémorisé jusqu’à ce que tout soit sur le bout de la langue, avec autant de compréhension qu’on peut l’attendre d’un jeune de quinze ans.
Comme le dit Josèphe, qui a vécu la destruction de Jérusalem, si l’on interrogeait n’importe quel enfant juif sur les lois du judaïsme, « il les réciterait plus facilement qu’il ne dirait son propre nom ».10
Avec, bien sûr, les opinions dissidentes. Car il y a très peu de choses dans la loi juive sur lesquelles il n’y a pas au moins deux opinions. Et les Sages qui ont compilé la Michna ont jugé bon de préserver beaucoup de ces opinions – même si elles ont perdu lors du vote – et de s’assurer que vous, les adolescents, les apprendriez aussi.11
Et avec cela, vous êtes maintenant officiellement un ignorant.
L’éducation juive : de l’ignorant au Juif instruit
Voyez-vous, l’opposé d’un Juif instruit est ce que les Sages appelaient un am haarets. Littéralement, cela signifie « gens de la terre », mais c’est devenu un terme familier pour désigner « l’ignorant ».
Qu’est-ce qu’un ignorant juif ? Quelqu’un qui n’a pas appris le type de raisonnement qui vous permet de participer à la discussion.Qu’est-ce qu’un ignorant juif ? Beaucoup de descriptions sont proposées, mais celle considérée comme la plus fiable est : « Même s’il lit et peut réciter la Michna, s’il n’a pas servi les disciples des Sages, il est un am haarets ».12
« Servir les disciples des Sages » ne signifie pas leur servir à boire. Cela signifie que lorsque les disciples des Sages se réunissaient pour discuter du raisonnement de la Michna et s’engageaient dans des débats, vous étiez présent. Même si vous ne contribuiez pas, mais que vous suiviez, vous appreniez comment ils raisonnaient, comment ils argumentaient un point, comment ils le démontaient et le reconstruisaient pour parvenir à un consensus – en faisant partie de cette expérience, vous n’étiez plus un ignorant. Vous possédiez la Torah.13
Ces échanges furent ultérieurement consignés par écrit – dans la mesure où de tels débats peuvent être fixés sur le papier, et même au-delà de ce que nous aurions pu imaginer – sous la forme de la Guémara, une hyper-conversation continue des Sages de cinq générations qui décortiquent la Michna sous tous les angles dans leurs efforts pour en saisir le sens et l’appliquer à leur monde.
Et cette combinaison de la Michna et de la Guémara – connue sous le nom de Talmud – est devenue le pain quotidien de l’éducation juive supérieure. Pour que nous ne soyons pas tous des ignorants.
Trois enseignements sur l’éducation juive
Quelles que soient vos conclusions, voici trois points que je retiens personnellement de tout cela :
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L’éducation juive concerne la vie sur terre – dans sa totalité.
Certains pensent qu’une éducation religieuse concerne D.ieu, le ciel et comment y accéder. Certes, nous devons fournir une nourriture spirituelle à nos enfants. Il doit y avoir quelque chose de transcendant et de mystérieux dans votre vie. Mais l’essentiel de l’éducation juive ne concerne pas l’accès au ciel. Il s’agit de faire descendre le ciel sur terre.
Ainsi, l’éducation juive que nous donnons aujourd’hui à nos enfants devrait faire de même. Nous voulons que chaque enfant juif apprenne à être un mensch, à faire des affaires avec intégrité et à trouver D.ieu dans toutes ses activités quotidiennes.
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L’éducation juive transcende le temps.
Le temps est à l’éducation juive ce que la géographie est aux autres. Tout y existe dans une simultanéité vivante, et vous devez connaître les chemins qui relient les points. Quand vous étudiez la Torah, Abraham, Sarah, Moïse, Déborah, David, le Temple de Jérusalem, Esther, Hillel, Akiva, Maïmonide, le Arizal, le Baal Chem Tov et vous-même êtes tous ensemble vivants dans le même espace.
Nous voulons donc que nos enfants aient ce même sentiment – non pas d’histoire, mais de mon histoire. De ma place dans cette grande histoire, et de la direction qu’il m’appartient de lui donner. Car tout avance dans une seule direction – vers un monde tel que son Créateur l’a voulu.
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L’éducation juive, c’est faire partie de la discussion.
Même si vous connaissez chaque halakha du Code de la Loi juive, toute l’histoire juive, et que vous parlez couramment l’hébreu, l’araméen, le ladino, le yiddish et le judéo-arabe, vous êtes un ignorant. Jusqu’à ce que vous puissiez faire partie de la discussion. Bien sûr, vous avez besoin de connaissances pour rejoindre la discussion. Mais, plus encore, vous devez vous trouver dans un lieu où ces connaissances sont échangées comme dans une partie de hockey à grande vitesse.
Ce lieu, nous l’appelons Yeshiva. Et chaque Juif, quel que soit son âge, devrait avoir l’opportunité de passer au moins quelques mois dans une yeshiva.
Car chaque Juif doit être un Juif instruit.
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