Depuis trois ans, Vespasien assiégeait Jérusalem. Personne ne pouvait entrer dans la Ville Sainte ou la quitter. La famine menaçait les habitants assiégés.
Un jour, trois hommes les plus riches commerçants de Jérusalem, se réunirent et décidèrent de faire d'un effort commun le nécessaire pour éviter la famine. L'un proposa de fournir le blé pour toute la population, le deuxième du vin, du sel et de l'huile, et le troisième se chargea de fournir du bois.
Les trois bienfaiteurs s'empressèrent de vérifier leurs dépôts afin de se rendre compte pour combien de temps leurs stocks pourraient suffire. À leur grande joie, ils constatèrent qu'il leur sera possible de nourrir la ville entière pendant vingt-et-un ans.
À Jérusalem se trouvaient beaucoup de jeunes gens qui ne voulaient pas se contenter d'une résistance purement passive. Ils étaient désireux de battre l'ennemi, confiants dans leur force, et pour forcer les citoyens de Jérusalem à engager la lutte contre les Romains, les fanatiques brûlaient toutes les provisions emmagasinées avec tant de peine. La nourriture une fois détruite, la famine allait croissant d'un jour à l'autre. Les riches et les pauvres en souffraient dans la même mesure.
Un jour, Maretha, une des femmes les plus riches de Jérusalem, envoya son serviteur chercher de la farine. En revenant, celui-ci dit : « Il n'y a plus de farine au marché, mais il reste encore du bon pain. »
– Va m'en chercher, lui dit Maretha. Mais lorsque le serviteur arriva au marché, tout le pain était déjà vendu. Il revint en disant : « Le pain le meilleur est déjà vendu, et il ne reste que du pain noir. Dois-je en prendre ? »
– Vite, dépêche-toi, lui dit la femme, et achète-m'en. Mais en vain : à peine arrivé au marché, il constata qu'il ne restait plus de pain du tout.
Maretha s'était tellement affaiblie qu'elle était près de mourir. Prenant sa richesse immense, tout son argent et ses bijoux, elle les jeta par la fenêtre en criant : « À quoi tout cela me sert-il ? » Puis elle s'écroula et mourut.
Le Mur Sauvé
Jérusalem était tombée, mais il restait toujours le Saint Temple qui se dressait comme une forteresse. Les Romains rencontraient beaucoup de difficultés dans leurs efforts pour pénétrer à l'intérieur du Temple.
Le méchant Titus, commandant les garnisons romaines qui assiégeaient le Mont du Temple, appela ses quatre meilleurs généraux, en leur ordonnant : « Chacun de vous attaquera et détruira un mur. Vous, Pangar, vous allez vous attaquer au mur occidental. »
Ensuite, la sonnerie des trompettes fut pour les armées romaines le signal d'attaque. On aurait dit une nuée de sauterelles, tant était dense la masse des soldats romains qui se ruaient, de tous les côtés, sur le Temple, faisant tomber les murs et ne laissant que débris et décombres. Cependant, le mur occidental ne fut pas détruit.
Titus fit venir le général Pangar en lui demandant de lui expliquer pour quelle raison le mur occidental tenait toujours. Il ne se doutait guère que Dieu avait décidé de laisser intact à jamais ce Mur Occidental, en souvenir de la Gloire de Dieu qui, jadis, demeurait dans le Saint Temple. Mais les raisons pour lesquelles Pangar ne s'était pas attaqué à ce mur étaient toutes autres, car il dit à Titus : « Si nous détruisons ce mur occidental, nous ferons disparaître, en même temps tout témoignage de notre victoire. Laissons donc intact un seul mur pour que la postérité, en visitant ces lieux, puisse s'exclamer : "Voilà le lieu où la puissance de Rome écrasa la Judée." »
Et Titus lui répondit : « Tes paroles sont intelligentes, mais puisque tu as osé me désobéir, il faut que tu en supportes les conséquences. Je te donne donc l'ordre de te projeter du haut du mur. Si tu restes en vie, ce sera ta chance, et si cela signifie ta mort, ce sera ta punition pour ta désobéissance ».
Pauvreté et souffrances
Le verdict fut exécuté et le méchant Pangar trouva la mort, en se projetant du haut du mur occidental qu'il avait ménagé dans l'espoir de conserver un témoignage de la gloire de Rome.
Après la destruction du Beth Hamikdache, la pauvreté et les souffrances des Juifs en Terre Sainte furent terribles. Un jour, le Sage Rabbi Elazar, le fils de Rabbi Tsadok, visita la ville d'Acco (Saint-Jean d'Acre). Sur la place du marché, il y avait des chevaux qui mangeaient de l'orge. Parmi eux se tenait une femme pauvre au visage hagard qui ramassait les grains d'orge qui tombaient des sacs de fourrage. Les propriétaires de ces animaux, des Romains aisés, s'amusaient à la vue de cette pauvre femme.
Rabbi Elazar, examinant de plus près cette malheureuse au visage hagard, retrouva sur sa figure de nobles traits qui lui étaient connus et, subitement, il reconnut en elle la fille de Nakdimone fils de Gourion.
Nakdimone était un des trois hommes riches qui avaient offert d'approvisionner Jérusalem pendant le siège. La richesse de Nakdimone était extraordinaire, et il était au moins aussi connu pour sa générosité que pour son luxe. Tous les jours, lorsque Nakdimone se rendait à l'académie pour poursuivre ses études, on étalait sur son chemin des tapis en soie. Il n'utilisait plus jamais ces tapis précieux, et les laissait pour les pauvres de Jérusalem. Dans cette célèbre ville, on pouvait le voir avancer sur les tapis de soie, suivi par de pauvres gens qui les enroulaient et les emportaient.
Rabbi Elazar se rappela comment, il y avait plusieurs années de cela, cette même femme, la fille de Nakdimone, avait paru devant la Cour de Jérusalem. Elle venait de perdre son mari dont il fallait exécuter le testament. Les juges lui avaient attribué une allocation spéciale de quatre cents pièces d'or par jour, uniquement pour l'achat de parfums. À ses yeux ce n'était guère un luxe et elle considérait cette somme insuffisante, si bien que dans un accès de colère, elle s'écria : « Qu'une telle allocation soit accordée à vos filles ! » Et les juges de répondre : « Qu'il en soit ainsi, nous ne souhaiterions que cela. »
Un million de dinars d'or
Un jour, Rabbi Yo'hanan ben Zackaï, se rendait à âne de Jérusalem à Yavneh où se trouvait sa célèbre académie talmudique. Beaucoup de disciples le suivaient, car même en allant à âne d'une ville à l'autre, il ne' cessait de discuter des problèmes relatifs à la Torah, et ses disciples étaient désireux de ne perdre aucune des paroles de leur maître.
En arrivant près des portes de Jérusalem, Rabbi Yo'hanan vit une femme qui ramassait des grains sous les sabots des chevaux appartenant aux commerçants arabes. La femme, en l'apercevant, se couvrit la figure et s'approcha de lui en l'implorant : Maître donnez-moi de la nourriture ! « Qui êtes-vous, ma fille? » demanda le Sage. Pas de réponse. « Ne voulez-vous pas me dire qui vous êtes ? ».
Finalement, la femme répondit : « Je suis la fille de Nakdimone ben Gourion. » Rabbi Yo'hanan, choqué et affligé, lui demanda : « Qu'est-il advenu de toute votre immense fortune ? » – Tout a disparu pendant les terribles jours du siège. « Et qu'est-il advenu de la fortune de votre beau-père ? » – Elle a disparu aussi de la même manière.
Pendant un bon moment le Sage fut comme frappé et ne put prononcer une parole. « Maître, vous souvenez-vous du jour où vous m'avez signé la Ketoubah ? » (c'est un contrat de mariage comprenant, entre autres, la somme due à l'épouse à la mort de son mari, ou en cas de divorce.)
Rabbi Yo'hanan se tournant vers ses disciples, répondit : « Oui, je me rappelle le jour où j'ai signé sa Ketoubah contenant cette clause : un million de dinars d'or provenant delà propriété de son père, en plus de l'argent de son beau-père. » Et les larmes aux yeux, il continua : « Que tu es heureux, Israël, lorsque tu remplis la volonté de Dieu, car aucun peuple ne pourra jamais te vaincre. Mais prends garde, Israël, de ne jamais t'éloigner de l'Éternel, car, à ce moment, tu seras livré aux mains d'une basse nation. »
Mots de consolation
Après la destruction du Second Beth Hamikdache, beaucoup de Juifs décidèrent, en signe de la peine qu'ils ressentaient au sujet de la perte du Saint Temple, de ne plus jamais manger de viande ni boire de vin. On les appelait les Prouchime.
Un jour, Rabbi Josué rencontra un groupe de Prouchime. Il leur posa la question : « Mes enfants, pourquoi ne mangez-vous pas de viande, et pourquoi ne buvez-vous pas de vin ? » Ils répondirent :
– Comment pourrions-nous manger de la viande que nous avions l'habitude d'apporter en sacrifice à l'autel qui est maintenant détruit ? Comment pourrions-nous boire du vin que nous avions l'habitude de répandre en libation sur l'autel qui est maintenant détruit ?
Rabbi Josué leur dit alors : « Selon vos raisonnements, nous ne devrions pas non plus manger de pain, puisque les offrandes de repas n'existent plus. Et nous ne devrions même pas manger de fruits, puisque l'offrande de Prémices (Biccourime)n'existe plus non plus. Et l'eau, leur dit encore Rabbi Josué. Il existait également une offrande d'eau qui fut versée sur l'autel. Non, mes chers enfants, nous ne devons jamais oublier la chute du Beth Hamikdache, ce qui ne veut pas dire que nous devrions mener une vie anormale. Cependant, à toutes les occasions de joie et d'allégresse, nous ne devons jamais oublier le deuil que nous cause la destruction de notre Saint Temple. Lorsque nous faisons les peintures d'une maison, nous laissons une petite place vierge. Lorsque nous organisons une fête, nous n'éliminons pas pour cela toute trace de notre deuil, car il est écrit : « Si je t'oublie, Jérusalem, que ma main droite soit frappée d'impuissance ! Que ma langue s'attache à mon palais ! »
D'autre part, celui qui pleure la perte de Jérusalem, mérite de la revoir, à l'avènement de notre juste Messie, dans son triomphe, car il est écrit : « Réjouissez-vous avec Jérusalem, vous tous qui l'aimez. Tressaillez de joie avec elle, vous tous qui pleurez sur elle. »
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