Il est rare de trouver une substance que la Torah interdise de manière aussi formelle. Il existe des aliments dont la Torah interdit la consommation ; mais pour celui-ci, il est prohibé de le manger, d’en tirer profit ou même encore de le posséder. En général, un aliment interdit devient annulé s’il est mélangé avec une quantité bien plus importante de substance autorisée. Mais, concernant celui-ci, la Torah en interdit la moindre trace : même s’il se noie dans quelque chose faisant un million de fois son volume, le lot tout entier deviendra impropre à la consommation.

Nous voulons parler ici bien sûr, du ‘hamets ou levain, durant Pessa’h.

Lors des semaines précédant la fête, les foyers juifs sont d’ailleurs le théâtre d’une guerre impitoyable d’extermination. Les parquets sont frottés, les meubles démontés et les surfaces ébouillantées. La nuit qui précède Pessa’h a lieu une recherche solennelle pour traquer le moindre survivant, qui sera jeté aux flammes le lendemain matin. L’ennemi : la plus insignifiante des miettes de pain, une goutte de bière ou un résidu de pâte – dès lors que le grain et l’eau seront rentrés en contact et auront fermenté, le produit sera irrémédiablement ‘hamets et totalement prohibé durant ces huit jours de l’année.

D’un point de vue spirituel, le levain, dont la propriété principale est de s’élever et de gonfler, représente l’orgueil. Et cela explique que nous rejetions le ‘hamets de façon intransigeante. D’autres traits de caractère, bien que négatifs, peuvent à petite dose être tolérés, voire utiles. La déprime, par exemple, a été déclarée péché capital, l’homme se devant de servir D.ieu dans la joie ! Mais une pincée de mélancolie, contrebalancée par une grosse poignée de joie, peut s’avérer positive lorsqu’il s’agit de procéder à une introspection de ses propres défauts et de les corriger. De même, la colère, l’obstination, l’insolence, et tout un tas d’autres traits de caractère rédhibitoires, sont généralement indésirables, mais peuvent se révéler positifs, dans certaines proportions et suivant leur contexte...

L’arrogance et l’orgueil sont en revanche de tels poisons spirituels (le Talmud établit que D.ieu dit de l’orgueilleux :  « Lui et Moi ne peuvent résider dans le même monde »), que nous devons nous efforcer de les éradiquer totalement des moindres recoins de nos cœurs.

49 jours qui font toute la différence !

Pourtant, malgré la sévérité de la prohibition concernant le ‘hamets, il n’est interdit que huit jours et quelques heures dans l’année – depuis la veille de Pessa’h à la mi-journée, jusqu’à la tombée de la nuit du huitième jour. Tandis que d’autres éléments considérés moins toxiques sont interdits toute l’année durant. En d’autres termes, il existe un état de fait, représenté par Pessa’h, durant lequel l’orgueil et l’arrogance sont inacceptables, quels que soient leur contexte ou leur quantité. Après Pessa’h cependant, le ‘hamets devient permis et même souhaitable.

Cette dualité s’exprime également à travers les lois qui régissent les offrandes apportées à D.ieu au Temple de Jérusalem. Dans le Temple sacré, c’était Pessa’h toute l’année ! En effet, toutes les offrandes de grain devaient être absoutes de levain, afin de respecter le commandement divin (Lévitique 2, 11) : « De levain… vous ne ferez pas monter en fumée en sacrifice par le feu pour l’E-ternel. » Ceci illustre bien le dégoût absolu que peut éprouver D.ieu face à l’orgueil. Néanmoins, à l’occasion de la fête de Chavouot, l’on offrait deux miches de pain, dont on ordonnait spécifiquement qu’elles soient « cuites au levain » (Lévitique 23, 17).

En d’autres termes, Pessa’h et Chavouot représentent deux extrêmes quant au caractère désirable ou non de l’arrogance. A Pessa’h, le ‘hamets est entièrement et absolument interdit, tandis qu’à Chavouot, il est non seulement autorisé, mais devient même une mitsvah, prescrite et souhaitée par l’E-ternel.

Pessa’h marque notre naissance en tant que peuple : D.ieu arracha une congrégation d’esclaves du quarante-neuvième degré d’immoralité dans lequel il se trouvait en Egypte, et les fit voyager vers le Sinaï, d’où Il fit d’Israël Sa promise éternelle, le jour de Chavouot. Les 49 jours du compte du Omer sont le lien entre Pessa’h et Chavouot. La Torah nous ordonne que depuis la veille du second jour de Pessa’h, nous procédions à un compte quotidien des jours écoulés depuis le lendemain de notre sortie d’Egypte.

Il est expliqué dans la Kabbale que la personnalité de l’être humain revêt sept traits de caractère principaux – ‘hessed, guevoura, tiférèt, nétsa’h, hod, yessod et malkhout ou bien l’amour, la rigueur, l’harmonie, l’ambition, l’humilité, la fondation et la royauté – reflets des sept attributs divins (Sefirot) dont D.ieu pourvut le monde. Chaque Sefirah contient en elle des éléments des sept attributs, constituant au total, quarante-neuf degrés d’élévation, correspondant aux quarante-neuf attributs du cœur humain. Les kabbalistes décrivent la société égyptienne, aux mœurs totalement corrompues, comme le point le plus bas des 49 niveaux de dépravation. En parallèle à cela, il existe 49 niveaux de raffinement, échelle par laquelle chacun tend à atteindre la perfection dans son caractère.

Nous trouvons ainsi la signification du compte de ces 49 jours d’ascension entre Pessa’h et Chavouot. Le premier jour de Pessa’h marqua notre départ physique du pays d’Egypte ; mais il fallait encore nous détacher de l’Egypte qui se trouvait en nous, épurer nos cœurs et nos esprits qui avaient baigné dans un environnement païen durant deux siècles. Ainsi, le second jour de Pessa’h débute un voyage intérieur de 49 étapes, dont chaque jour marque la sortie d’un degré d’impureté, parallèlement à une élévation vers un niveau de raffinement supérieur. 

Voici donc la différence entre Pessa’h et Chavouot concernant le ‘hamets.

Cet individu qui porte toujours en lui le fardeau de ces pulsions et émotions destructrices (bien qu’ayant quitté l’Egypte au sens le plus littéral, abandonnant les comportements négatifs qui la caractérisaient), ne possède pas la capacité de sublimer ce sentiment le plus puissant et le plus corruptible des traits de caractères qu’est l’orgueil. C’est pourquoi il est nécessaire de bannir le ‘hamets immédiatement après l’Exode. Ce n’est qu’après avoir atteint le raffinement complet de son cœur le jour de Chavouot, que l’offrande de levain devient une mitsvah appropriée.

En effet, à ce niveau-là, le sentiment d’arrogance n’est plus le ‘hamets gonflé d’orgueil que l’on rejetait durant Pessa’h, mais il témoigne plutôt de la fierté désintéressée et de l’abnégation de celui qui ne se dévoue qu’au service exclusif de son Créateur. Et la fierté devient l’expression de la majesté de celui qu’il sert et dont il véhicule la grandeur dans chacune de ses pensées, de ses mots et de ses actes.

La Matsa trempée

Nous pouvons désormais éclaircir une loi très intéressante concernant le huitième et dernier jour de la fête – A’harone Chel Pessa’h.

Dans certaines communautés, il est de coutume de ne pas manger de la Matsa cherouya (Matsa trempée) pendant Pessa’h, ceci afin d’éviter le moindre risque d’une minuscule trace de ‘hamets.

En effet, la Matsa est fabriquée à base d’eau et de farine qui ont été mélangées puis cuites complètement et de façon extrêmement rapide, pour éviter tout risque que la pâte ne lève. Une fois cuite, la farine contenue dans la Matsa ne lèvera plus ; de ce fait, la Matsa (ou même la « farine de Matsa » obtenue en moulant celle-ci très finement) pourrait éventuellement être mélangée à de l’eau ou à d’autres liquides pour préparer des mets pour la fête. Toutefois, il subsiste un risque infime qu’un peu de farine n’ait été mélangée totalement dans l’eau au moment de la cuisson initiale des Matsot, entraînant ainsi que quelques particules de farine crue ne lèvent en entrant en contact avec de l’eau.

C’est pour cette raison que plusieurs autorités rabbiniques, dont Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, ont établi qu’il est préférable de ne pas utiliser la Matsa cherouya durant Pessa’h. Cette règle se répandit dans de nombreuses communautés, au point que certains, particulièrement pointilleux, ne placent pas la Matsa sur la table, à moins qu’elle ne soit totalement recouverte, de peur qu’une goutte de liquide n’y atterrisse.

Pourtant, d’un autre côté, Rabbi Chnéour Zalman permit la consommation de la Matsa cherouya le huitième jour de Pessa’h. Il s’avéra même par la suite, que les Rebbeïm ‘Habad qui lui succédèrent firent un point d’honneur à tremper la Matsa dans tous les plats de chacun des repas de A’harone Chel Pessa’h.

Certains seraient enclins à expliquer cette indulgence par le fait que le huitième jour ait été institué par les Sages, tandis que les sept premiers jours proviennent d’un commandement biblique. Mais ces jours supplémentaires d’origine rabbinique revêtent un caractère tout aussi obligatoire que ceux qui sont ordonnés par la Bible ; en fait, la loi est même plus stricte sur certains aspects de leur pratique, et ce, expressément, afin d’éviter d’avoir tendance à les traiter de façon plus légère.

En effet, mise à part l’exception de manger la Matsa trempée, nous ne sommes pas moins scrupuleux à rejeter le levain le dernier jour de Pessa’h. Alors, pourquoi cette exception ? 

Un avant-goût du futur

Comme nous venons de l’évoquer, les 49 jours séparant Pessa’h de Chavouot représentent le processus de raffinement des sept attributs de base du cœur, chacun incluant des éléments des sept autres et constituant au total 49 sentiments. C’est d’ailleurs pour cela que la Torah décrit le Omer en terme de semaines : « Sept semaines vous compterez pour vous... » (Deutéronome 16, 9). Dans notre décompte quotidien, nous aussi mettons l’accent sur les semaines, puisque par exemple le 25e jour nous comptons : « Aujourd’hui est le 25e jour, ce qui fait trois semaines et quatre jours du (compte du) Omer ». D’autre part, Chavouot – le nom de la fête qui conclut le compte du Omer – signifie « semaines ». En fait, notre compte intérieur se compose également de sept semaines, durant lesquelles nous procédons au raffinement des sept attributs du cœur, chacun constituant une unité de sept.

Ainsi, chaque semaine du Omer forme un mini-compte en soi, où les sept jours ou attributs sont déclinés sous les différentes nuances de cette semaine-là.

Le huitième jour de Pessa’h est également le septième jour du Omer et donc le dernier jour de la première semaine. Il représente par conséquent le point où chacun des éléments des sept attributs (tels qu’ils apparaissent dans l’attribut de ‘hessed, l‘amour) a été raffiné et élevé. Ce huitième jour de Pessa’h correspond ainsi à un mini-Chavouot, et de ce fait, partage la caractéristique de tolérer le levain, en quelque sorte. Alors qu’il est bien évident que le ‘hamets reste strictement interdit, nous marquons cette étape en consommant la Matsa mouillée pour agrémenter nos derniers repas de fêtes.

Voici qu’apparaît une autre propriété du huitième jour de Pessa’h : sa similitude avec les temps messianiques. La haftarah (un passage des Prophètes) que nous lisons ce jour-là (Isaïe 10, 32 - 12, 6) décrit la venue de Machia’h et la parfaite harmonie qui règnera alors, lorsque « le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme la mer recouvre les océans ». Rabbi Israël Baal Chem Tov instaura un repas particulier, (Séoudat Machia'h, le « repas de Machia’h »), l’après-midi du huitième jour de Pessa’h, qui est un moment propice pour goûter à l’ère messianique, un monde dans lequel l’esprit de l’impureté sera éliminé de la surface de la terre et où toute chose, y compris l'orgueil si honni de D.ieu aujourd'hui, sera sublimée en se révélant comme une force exclusivement positive et altruiste.

Voici donc la leçon du huitième jour de Pessa’h : même si la perfection vous semble n’être qu’un but lointain et inaccessible, vous possédez la capacité de créer un avant-goût de la perfection. Commencez donc par un petit trait de votre personnalité, ou par un petit coin de votre environnement. Et le petit modèle de perfection que vous avez créé servira de catalyseur pour sa réalisation à l’échelle universelle...

D’après les discours du Rabbi de Loubavitch sur le huitième jour de Pessa’h en 1967 et 1977, ainsi qu’en d’autres occasions (Likoutei Si’hot vol. XXII, p. 30-38)