Qu’est-ce qui est le plus important, la connaissance théorique ou l’expérience pratique ? Lesquelles sont les plus vraies, les plus pures, les plus utiles, les plus importantes, les choses que nous connaissons avec notre corps ou celles auxquelles nous méditons dans notre cerveau ? Les universitaires et les entraîneurs de basket débattent de cette question depuis des siècles, et il est peu probable qu’elle soit résolue par une nouvelle polémique de 1000 mots.

Mais peut-être que nous posons la mauvaise question. La question n’est peut-être pas de savoir si la connaissance théorique est supérieure ou inférieure à la pratique, mais de savoir s’il peut y avoir une « connaissance théorique ». Une telle chose existe-t-elle vraiment, ou n’est-elle qu’une théorie ?


Trois personnes discutent dans la salle d’attente d’un médecin.

Trois façons d’être un mari, une femme, un parent, un voisin. Ou peut-être y a-t-il une quatrième façon ?

– C’est mon corps, ma vie, dit le patient n° 1. Ce n’est pas parce que le type a un diplôme accroché à son mur que je vais suivre aveuglément ses instructions. Je vais faire mes propres recherches. Je ne ferai ou ne prendrai rien tant que je ne serai pas convaincu que c’est la meilleure façon de procéder...

– Regardons les choses en face, rétorque le patient n° 2. C’est peut-être mon corps, mais pour l’instant, le type derrière cette porte en sait plus que moi... Je vais m’instruire sur ma maladie, mais cela prendra du temps. Jusqu’à ce que j’acquière cette connaissance, il vaut mieux que je suive les instructions du médecin.

– Le type derrière cette porte a passé dix ans à étudier pour devenir médecin, opine le patient n° 3, et vingt-cinq autres années à traiter des personnes dans notre état. Vous pensez que je pourrai acquérir ce genre de connaissances en googlant sur Internet ? Je ne ferais que perdre mon temps. Je vais suivre les instructions du médecin et lui laisser la réflexion... C’est son travail !

Trois façons d’être un patient. Trois façons d’être un mari, une épouse, un parent, un voisin. Trois façons d’être un cordonnier, un enseignant, un artiste, un PDG. Est-ce que je m’en remets à ceux qui savent mieux ? Est-ce que j’essaie de me débrouiller tout seul ? Ou est-ce que j’adopte une approche en deux temps, en commençant par suivre ceux qui ont des connaissances et une expertise supérieures jusqu’à ce que mes propres connaissances et ma propre expertise prennent le relai ?

Trois façons de vivre sa vie. Ou peut-être y a-t-il une quatrième façon ?

Le patient n° 4 prend la parole : « Le patient n° 3 a raison : j’aurai beau faire des recherches et m’instruire, le médecin en saura toujours plus que moi. Je vais donc l’écouter, certainement maintenant, alors que je ne sais presque rien, et aussi plus tard, lorsque j’aurai appris tout ce que je peux... »

– Mais si vous allez suivre les instructions du médecin de toute façon, intervient le patient n° 3, pourquoi se donner la peine d’étudier et d’apprendre ? Quel est l’intérêt ?

– Parce que, comme le dit le patient n° 1, c’est mon corps et ma vie. Je veux, j’ai besoin de comprendre ce que je fais et pourquoi je le fais...

– Donc c’est juste pour mieux digérer le fait que vous vous soumettez à une autorité supérieure ?, lance le patient n° 1 avec défi.

C’est mon corps et ma vie. Je veux, j’ai besoin de comprendre ce que je fais et pourquoi je le fais... »

– Ce n’est pas seulement cela. Le médecin a besoin que je sois un partenaire actif de ma prise en charge. Il a besoin que je pose les bonnes questions, que je soulève les bonnes objections, que je propose même mes propres idées ; il a besoin que je lui rapporte comment mon corps réagit au traitement, ce qui fait mal et ce qui fait du bien. Rien de tout cela ne pourrait être fait correctement si je ne comprenais pas du mieux que je le peux le comment et le pourquoi de ce qu’il me dit de faire. Si mon esprit n’est pas également impliqué – si je ne suis qu’un corps passif exécutant les instructions – tout traitement prescrit par le médecin sera d’une efficacité limitée...


Port des téfiline du bras et de la tête
Port des téfiline du bras et de la tête

Port des téfiline du bras et de la tête

Les téfiline sont une paire de boîtes en cuir, l’une portée sur le bras, à l’opposé du cœur, et la seconde portée sur la tête, au-dessus de la racine des cheveux, alignée avec l’espace entre les yeux. À l’intérieur des boîtes se trouvent des rouleaux de parchemin sur lesquels sont inscrites quatre sections de la Torah (Exode 13, 1-10 ; Exode 13, 11-16 ; Deutéronome 6, 4-9 ; Deutéronome 11, 13-21) contenant les principes fondamentaux de la foi juive.

Le bras et la tête représentent les deux instruments fondamentaux de la vie : l’action et la connaissance. Les téfiline représentent la « liaison » et la consécration de ces instruments de vie au service de D.ieu.

De nombreuses lois régissent la fabrication des téfiline et la manière dont ils sont portés. Les maîtres ‘hassidiques enseignent que chaque loi de la Torah possède à la fois un corps et une âme, c’est-à-dire une instruction pratique et une signification profonde. Les lois des téfiline peuvent donc être comprises sur deux niveaux : comme un ensemble d’instructions sur la façon de fabriquer et de porter les téfiline d’une part, et d’autre part comme une thèse sur la nature de l’esprit et de l’acte, leur relation mutuelle et la façon dont ils servent notre mission dans la vie.

L’une des lois des téfiline concerne l’ordre dans lequel ils sont mis et retirés : on attache d’abord le téfiline sur le bras, puis on place le téfiline sur la tête. Lorsqu’on enlève les téfiline, l’ordre est inversé : on enlève d’abord le téfiline de la tête, puis celui du bras. Cette loi découle du verset « et ils seront comme un fronteau entre tes yeux »1 En notant le pluriel du mot vehayou – « et ils seront » –, le Talmud interprète le verset comme impliquant que « chaque fois qu’il y aura des téfiline entre tes yeux, il y aura les deux ».2

En d’autres termes, il peut y avoir des moments et des situations où vous ne portez que le téfiline du bras – c’est-à-dire avant de mettre celui de la tête ou après l’avoir retiré –, mais jamais un moment ou une situation où le téfiline de la tête sont portés sans que l’on porte le téfiline du bras.

Qu’est-ce que cela nous apprend sur « la tête » et « le bras » ? Beaucoup de choses, mais notons quatre vérités fondamentales sur l’interaction entre l’esprit et l’action :

1) Nous avons besoin des deux. Nous ne pouvons pas dire : « J’ai confiance en D.ieu. Je vais suivre ses ordres. Je n’ai pas besoin de comprendre. » Nous ne pouvons pas non plus dire : « L’important est de comprendre ce que D.ieu nous dit à travers tous ces commandements sur Lui-même et sur la vie en général. Les mettre en pratique, bon, si cela vous apporte quelque chose, tant mieux, mais ce n’est pas le principal. » Notre relation avec D.ieu doit englober tout notre être – l’esprit comme les actes, l’action comme la pensée. C’est pourquoi il existe deux téfiline : un pour le bras et un pour la tête.

2) L’action vient en premier. La base et le fondement de notre vie sont les mitsvot, les commandements divins. Dire : « Je ne le ferai pas avant d’avoir tout compris », c’est comme refuser de prendre le médicament prescrit par le médecin avant d’avoir compris exactement comment les antibiotiques sont faits et comment ils neutralisent les bactéries, ou refuser de respirer avant d’avoir étudié le fonctionnement des poumons et la raison pour laquelle votre corps a besoin d’oxygène... C’est pourquoi on met d’abord le téfiline du bras et ensuite le téfiline de la tête.

Dire « Je ne le ferai pas avant d’avoir tout compris », c’est comme refuser de prendre des antibiotiques avant d’avoir compris exactement comment ils fonctionnent.

3) L’engagement et l’acte transcendent la compréhension. Même après avoir étudié et compris, dans toute la mesure de nos moyens, il y aura toujours des moments et des situations où nous ne comprendrons pas complètement et où nous devrons simplement obéir et faire confiance à la sagesse de notre Créateur. Nous devons pouvoir nous dire : « C’est ce que je comprends, et cela a apporté beaucoup plus de sens à mon action. Mais la vie ne se limite pas à ce que ce que je peux en comprendre. Si je m’arrête ici, je me coupe de la vérité infinie qui se trouve au-delà de la vérité humainement connaissable. » C’est ce qu’implique la loi selon laquelle le téfiline de la tête est retiré en premier, ce qui indique qu’il y aura des moments où le téfiline du bras restera seul après que celui de la tête aura été ôté.

4) Il ne peut y avoir de connaissance sans action. C’est ce qu’exprime le principe : « Chaque fois qu’il y a des téfiline entre tes yeux, il y aura les deux. » S’il peut arriver que nous soyons pris par le téfiline des bras sans le téfiline de la tête (soit parce que nous n’avons pas encore atteint la pleine compréhension, soit parce que nous l’avons dépassé), l’inverse n’est jamais le cas. En d’autres termes, la « connaissance théorique » n’existe pas. La pensée qui est découplée de l’action ne comprend rien du tout.

La connaissance ajoute de la profondeur à notre action. L’action est ce qui rend notre connaissance connaissante.