Le premier Pourim dont je me souviens a commencé dans la tristesse et s’est terminé dans la joie.
C’était en 1946, et la Seconde Guerre mondiale était enfin terminée. Ma famille était de retour de Sibérie, où nous avions passé la plupart des années de guerre (notre mère était décédée). Maintenant, dans notre appartement d’une pièce à Moscou, mes deux frères et moi étions assis par terre à jouer aux échecs. C’est-à-dire que mon frère aîné essayait de me persuader, ou peut-être devrais-je dire de me contraindre, à jouer aux échecs avec lui. Il était sur le point de pousser ma main avec force pour que je déplace la tour sur l’échiquier, lorsque la porte s’ouvrit et entra un grand soldat en uniforme. C’était notre oncle Itche Mordche, de retour de guerre.
La Seconde Guerre mondiale était enfin terminéeSa femme, qui était la sœur de ma mère Rivka, et leur bébé avaient été assassinés par les nazis dans leur ville natale. Et maintenant, Itche Mordche était revenu de la guerre et voulait savoir ce qu’il pouvait au sujet de sa famille, qu’il avait laissée quand il était parti combattre il y a trois ans.
Notre oncle nous a demandé quand notre père serait à la maison. Mon frère aîné dit au visiteur que Papa rentrerait à la maison après le travail.
Le soldat se mit alors à examiner des cuillères et une assiette qui étaient sur la table au milieu de la pièce. L’assiette était recouverte de restes de quelque chose qui avait été de la nourriture quelques jours plus tôt. Ensuite, il regarda à l’intérieur de notre petit placard à nourriture, qui se cachait tristement dans un coin de la pièce. Puis il est allé à la cuisine, que nous partagions avec nos voisins, et a examiné notre espace de cuisine casher. Chaque endroit où notre oncle regardait était vide de nourriture.
Le soldat partit.
Nous ne nous attendions pas à ce que le visiteur revienne, mais cet après-midi-là, la porte s’est encore ouverte et Itche Mordche apparut de nouveau. Et cette fois, dans ses mains se trouvait la plus grosse miche de pumpernickel noir que mes frères et moi ayons jamais vue.
« Freilichen Pourim ! » [« Joyeux Pourim ! »], fit retentir le soldat, laissant tomber le pain noir sur la table avec un bruit sourd. Il ôta sa veste militaire verte et remonta cérémonieusement une manche de chemise puis l’autre. Puis il ramassa le couteau à pain qui était sur la table et, proclamant « Shala’h monos, a freilichen Pourim ! », notre invité se mit à travailler le pumpernickel, le divisant en morceaux, tandis que trois paires d’yeux affamés regardaient le couteau dans la main de leur oncle alors qu’il se déplaçait de haut en bas et de côté en côté sur le pain noir.
(Le lendemain, après le départ d’Itche Mordche, mes frères et moi avons spéculé sur la façon dont notre oncle s’était procuré le pain. Mon frère aîné, qui à mes yeux était un expert de pratiquement tout, a envisagé ce scénario : quand Itche Mordche nous avait laissés plus tôt ce jour-là, il était allé à la boulangerie qui était assaillie de gens désireux d’acheter du pain. À l’aide de ses coudes puissants, le soldat lança un coup gauche, puis un coup droit, puis un coup de poing avant, tout en ânonnant : « Daeti, daeti, golodniyae daeti. » [« Des enfants, des enfants, des enfants affamés. »] Et ainsi la file d’attente de la boulangerie s’était ouverte devant notre oncle, et il s’était retrouvé devant.)
Après avoir distribué à chacun son repas, notre oncle est allé à la cuisine se laver les mains. Il murmura une bénédiction sur le pain. Sans aucun doute, il était reconnaissant à D.ieu de lui avoir permis d’acquérir ce pain, qui a été tiré de la bonne terre de D.ieu en ce temps de faim. Puis il s’assit à table. Et nous avons tous les quatre mangé notre premier repas de Pourim, laissant une portion importante de pain pour plus tard, quand nous prendrions un deuxième repas avec notre père.
De profonds soupirs ponctuaient leurs murmuresAprès avoir fini de manger, en attendant que Papa rentre à la maison, notre oncle et mon frère aîné ont joyeusement joué aux échecs. Et j’étais contente de ne pas être obligée de déplacer les pièces d’échecs sur l’ordre de mon frère.
Une fois la partie d’échecs terminée, le mari de tante Rivka s’assit en silence, attendant de parler à Père, qui pourrait lui donner des informations sur sa femme et son bébé.
Père est rentré. Après qu’ils se soient salués et aient mangé un repas de Pourim composé de pumpernickel noir, Père et Oncle se sont assis sur des chaises face à face, à parler. De profonds soupirs ponctuaient leurs mots presque chuchotés au sujet des charniers et de la date du yahrtseit de tante Rivka et de son bébé. Des larmes, brillantes comme de minuscules cristaux, brillaient dans les yeux du grand soldat.
Le lendemain, Oncle Itche Mordche quitta Moscou. Cette année-là, il réussit à se joindre aux nombreux Juifs ‘hassidiques russes qui ont fui l’Union soviétique. Une fois sorti de l’Union soviétique, notre oncle s’est rendu en Angleterre, où il s’est remarié et a fondé une nouvelle famille et commencé une nouvelle vie. Je ne l’ai jamais revu.
Mon père, mes frères et moi avons également quitté la Russie. Après plusieurs années d’errance à travers l’Europe, nous sommes arrivés en Amérique.
Des décennies plus tard, dans ma maison américaine, un Pourim. La lecture de la Méguila ; le bruit des crécelles ; la clameur des enfants, des tout-petits et des adultes ; les délicieux bonbons au sésame faits maison, les hamantaschen et le chocolat chaud se mélangeaient pour créer cette joyeuse atmosphère qui célèbre la victoire du peuple juif sur le mal.
J’étais tranquillement assise au milieu du tumulte et j’ai laissé mes pensées vagabonder. Dans mon esprit, je voyais l’Oncle Itche Mordche retroussant ses manches une à la fois et tonnant : « Joyeux Pourim ! Que tous les Haman tombent, et que nous ayons la chaleur, le bonheur et de grandes célébrations tous ensemble ! » Dans mon esprit, un cercle d’enfants se pressait autour d’Itche Mordche, il dansait avec tous les enfants et faisait le’haïm dans un bel esprit de Pourim.
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