C’était deux jours avant Pourim 2006, à Milan, en Italie.

Tout était en retard, comme d’habitude. Pourim était arrivé, puis reparti, et c’est alors que nous – les étudiants rabbiniques de la Yéchiva de Milan – nous sommes rendu compte que nous avions oublié de donner les Michloa’h Manot (cadeaux alimentaires de Pourim) aux enfants qui avaient fréquenté le centre aéré de ‘Habad l’été précédent.

Nous avons alors étalé un plan de la ville et décidé à qui nous rendrions visite ce soir-là. En tout, il y avait environ quarante maisons dans le quartier. Le rabbin, un infatigable optimiste, nous promit que cela ne prendrait pas plus qu’une heure et demie pour toute la tournée. Pas mal.

– Au fait, dit le rabbin, il y a une famille, les Cohen, qui habite à environ quinze minutes en dehors du quartier. Il y a peu de chances que vous ayez le temps d’y aller, mais je la marque sur le plan, au cas où...

Mon ami Israël et moi-même nous sommes portés volontaires pour cette distribution. Nous sommes partis à 20h en prévoyant d’être de retour vers 21h30.

Depuis l’instant où nous sommes sortis, tout sembla aller de travers

Depuis l’instant où nous sommes sortis, tout sembla aller de travers. Alors que nous allions d’une maison (où personne n’était là) à une autre (« elle dort déjà »), puis à une autre (adresse inexistante), notre moral commençait à sombrer. La loi de Murphy faisait des heures supplémentaires ce soir-là.

Il était déjà 21h10 et nous n’avions pas rencontré ne serait-ce qu’un enfant. Nous avions mal aux mains à force de porter ces lourds sacs et pour couronner le tout, nous nous sommes rendu compte que nous nous étions perdus.

Nous nous sommes arrêtés pour étudier le plan. Où sommes-nous ? Ah, voilà !

« Israël ! J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c’est que nous sommes complètement sortis du quartier où habitent la plupart des enfants. La bonne, c’est que nous sommes à 5 minutes de la seule maison où nous n’avions pas prévu d’aller ! »

Nous avons donc décidé d’aller tenter notre chance à la maison des Cohen, espérant voir se réaliser l’adage talmudique : « Celui qui changer d’endroit, change de destin. »

Fatigués et quelque peu découragés, nous nous sommes mis en chemin. Ne me demandez pas comment nous avons fait, mais nous avons trouvé le moyen de nous perdre à nouveau. Lorsque nous avons trouvé le bon immeuble, nous faisions peine à voir.

Nous avons sonné à l’interphone, et oui ! Les enfants étaient là ! Et réveillés ! Combien nous étions soulagés. Nous nous sommes précipités à l’intérieur du bâtiment, avons couru prendre l’ascenseur, avons oublié à quel étage nous devions aller, nous sommes de nouveau perdus, et après quelques aller-retour dans les escaliers, nous avons fini par trouver la bonne porte...

La maman de l’enfant nous a accueillis chaleureusement dans son simple appartement et nous a donné à boire et des « Oreilles d’Haman » (« les meilleures de la ville ») et nous a demandé de prononcer quelques paroles de Torah, ce que nous avons fait avec plaisir.

Au bout de dix minutes, nous avions développé quelques idées relatives à Pourim, devant elle et les enfants. La mère buvait littéralement nos paroles et nous demanda de continuer. Ne trouvant plus quoi dire (premier miracle de la soirée...), je lui ai raconté notre saga de ce soir-là, comment « en vérité, nous ne devions pas venir chez vous ce soir, mais rien ne s’est passé comme prévu et nous nous sommes perdus, et alors... »

Soudain, elle éclata en sanglots et elle se mit à trembler de tous ses membres.

Qu’avais-je dit qui n’allait pas ? L’avais-je vexée ? Que devais-je faire maintenant ?

Après quelques longues minutes, elle parvint à raconter son histoire à travers ses larmes.

Soudain, elle éclata en sanglots et elle se mit à trembler de tous ses membres. Qu’avais-je dit qui n’allait pas ?

« Ces derniers temps, ma vie s’est mise à dégringoler. Mon mari m’a quittée et mes enfants ont du mal à s’adapter à cette nouvelle situation. Le pire c’est que je n’ai pas le premier sou pour subvenir aux besoins de ma famille. Rien ne va.

« Alors ce matin, je me suis tournée vers D.ieu en désespoir de cause, et je Lui ai demandé de montrer un signe. Un signe que me dise qu’Il se souvient de moi et qu’Il s’occupe de moi.

« La journée entière est passée, pas de signe. Et puis vous, les garçons, êtes arrivés. C’était sympathique, mais je n’y ai pas vu de signe.

« Et puis vous m’avez raconté que vous n’aviez pas prévu de venir chez moi, comment vous vous étiez perdus, et comment vous étiez finalement arrivés la seule maison à laquelle vous n’aviez pas prévu d’aller. Comment personne n’a répondu aux interphones, comment vous êtes arrivés chez moi… J’ai immédiatement compris que D.ieu avait répondu à la prière. Il m’a envoyé un signe sous la forme de deux anges.

« Merci, D.ieu, de m’avoir envoyé ces anges ! »

Elle se calma, nous l’avons bénie et nous leur avons dit au revoir. Nous sommes rentrés secoués, bouleversés comme jamais nous ne l’avions été.

Non, ce n’était pas la loi de Murphy qui était à l’œuvre ce soir-là. C’était la loi de D.ieu.