Le premier paragraphe du Chema nous enjoint d’aimer D.ieu de tout notre pouvoir, c’est-à-dire en fait chacun selon son pouvoir, puisqu’il est dit : « ...de tout ton pouvoir ». En conséquence, un même acte peut paraître un effort considérable chez un individu et trivial chez un autre, eu égard à ses possibilités. Ceci nous permettra de comprendre le fait rapporté ici par la Haggadah.

La lecture de ce texte suscite en effet une question. Les cinq personnages dont il est fait ici mention étaient des Tanaïm (les Maîtres dont les enseignements sont rapportés dans la Michna). Ils étaient possesseurs d’âmes très élevées, au point que leur conduite était calquée sur celle des créatures célestes. Ils auraient donc dû pressentir d’eux-mêmes que le moment était venu de réciter le Chema du matin. Pourquoi a-t-il été nécessaire que leurs élèves viennent le leur rappeler ?

La question se pose d’autant plus que les écrits ‘hassidiques enseignent que le mot raconter (messaperim) comporte une allusion à la luminosité (éven sapir signifie pierre précieuse) et qu’ainsi, les Maîtres avaient en racontant fait jaillir une « lumière » qui fit dire à leurs élèves que le jour s’était levé et qu’il fallait réciter le Chema. Comment les quatre Tanaïm n’avaient-ils pas perçu cette lumière ?

On peut en donner une explication à la lueur du principe évoqué en introduction.

Les facultés d’exégèse et de compréhension des Maîtres étaient de loin supérieures à celles de leurs élèves. Ainsi, ce qui pour les premiers n’était encore qu’obscurité, était ressenti par les seconds comme la clarté du matin, car leurs facultés de compréhension — c’est-à-dire d’« éclaircir » — avaient été subjuguées par la « lumière » jaillie des paroles des Maîtres. Leur perception ne pouvait aller plus avant.

Pourtant, ce rappel des élèves à leurs Maîtres est pour nous d’un grand enseignement : lorsque nous approchons un Juif à la Torah, la lumière que nous diffusons en lui éclaire aussi en nous.

Ainsi faut-il interpréter le rappel des élèves à leurs Maîtres. « Sachez, leur disent-ils, que chez nous, la clarté s’est faite, et bien qu’à votre niveau, celle-ci ne soit encore qu’obscurité, le fait que vous I’ayez diffusée en nous, vous permet de réciter le Chema. »

Il nous est ainsi signifié à travers ce récit notre devoir d’œuvrer pour diffuser la lumière en d’autres Juifs. Et si parfois il nous semble plus urgent de dissiper l’obscurité qui règne en nous-mêmes, la vérité est autre : lorsque nous aidons autrui à « sortir d’Égypte », nous nous libérons, nous aussi.

(Second soir de Pessa’h 5715 [1955])