Avez-vous l’habitude d’accorder aux autres le bénéfice du doute ? Je m’explique : s’il vous arrive de ne pouvoir éviter d’entendre des propos désobligeants sur le compte d’un tiers pour une action apparemment mauvaise qu’il a commise et que d’autre part vous ne savez pas exactement pourquoi ce dernier a agi de la sorte, ce témoignage vous suffit-il pour condamner l’homme et son acte, ou au contraire vous dites-vous : « Peut-être, étant donné les circonstances que j’ignore, aurai-je agi de même ? »
Prenons un exemple plus précis. Vous êtes dans le métro. Un mendiant aveugle traverse la voiture où vous êtes en tapant avec sa canne sur le sol. Quelques voyageurs mettent une pièce dans sa sébile, d’autres s’en abstiennent. Décidez-vous aussitôt que les premiers sont charitables, et les seconds, avares ? Ou pensez-vous que ces derniers ne le sont pas nécessairement, mais que peut-être simplement ils n’avaient pas de monnaie ?
La Torah nous enseigne de ne pas former de jugement précipité, mais au contraire d’accorder à autrui le bénéfice du doute. Dans la paracha Kedochim (Lévitique, 19, 15) la Torah dit : « Avec justice tu jugeras ton prochain », et le même enseignement se trouve répété plus d’une fois et de différentes manières.
Une belle histoire
Nos Sages nous racontent sur cette vertu une histoire intéressante :
Un homme de la Haute Galilée se rendit un jour dans le sud et fut engagé pour une période de trois ans comme travailleur. À l’expiration de son contrat, la veille de Yom Kippour, il dit à son employeur :
– Paie-moi mon salaire afin que je puisse entrer chez moi et subvenir aux besoins de ma femme et de mes enfants.
Il fut surpris d’entendre cette réponse : « Je n’ai pas d’argent. »
– Alors paie-moi en nature, dit le travailleur. J’accepterais bien des fruits et des grains.
– Je n’en ai pas.
– J’ai travaillé sur tes terres. Donne-m’en une parcelle qui soit l’équivalent de mon salaire, insista l’homme.
– Je n’ai pas de terres, dit encore le maître.
– Alors peut-être du bétail, des moutons... fit le pauvre homme d’un ton conciliant.
– Je n’en possède pas.
– J’accepterais des draps, des oreillers...
– Pas davantage, fut la réponse.
Le travailleur, ayant épuisé toutes les possibilités qui s’étaient présentées à son esprit, se tut. Il ne lui restait qu’à partir. Il ramassa ses hardes, fit ses paquets et, tristement, se mit en route.
Une preuve « circonstancielle » n’est pas toujours une preuveQuand la fête de Souccot fut passée, l’employeur partit pour la Haute Galilée. Il voulait rendre visite à l’homme qu’il avait fait travailler sur ses terres pendant trois ans sans lui offrir la moindre rémunération. Il n’arriva pas les mains vides. Il avait sur lui en espèces le salaire du travailleur, certes. Mais, en plus, trois ânes le suivaient, chargés de présents : des victuailles, des boissons variées, des vêtements, le tout destiné au pauvre homme et à sa famille. Il fut bien accueilli.
Peu après, tout le monde se mit à table. On mangea, on but, on fut heureux. Après le repas, le riche propriétaire versa à son hôte la totalité du salaire qu’il lui devait, puis lui demanda : « Dis-moi, ami, qu’as-tu pensé de moi quand je t’ai répondu que je n’avais pas d’argent pour récompenser tes longs efforts ? »
– J’ai pensé qu’on t’avait offert un lot de marchandises à un prix très avantageux, et que voulant y profiter, tu y avais engagé tout ton argent disponible.
– Mais je t’ai dit aussi que je n’avais pas de bétail !
– J’en ai conclu que tu l’avais donné en location.
– N’ai-je pas aussi refusé de te payer en terres ?
– J’ai simplement pensé que tu les avais toutes louées.
– Tu m’as demandé de te payer avec les produits de ces terres, et cela aussi je te l’ai refusé...
– J’en ai déduit que peut-être tu n’en avais pas prélevé la dîme (la dixième partie des récoltes destinée aux Lévites), et qu’en conséquence tu ne pouvais y toucher.
– Tu as sûrement pensé du mal de moi quand j’ai refusé de te payer même en draps et en oreillers, toutes choses que tu voyais autour de toi, dans la maison.
– Oh ! non. J’avais conclu que tu avais fais de toutes tes possessions « propriété sainte » du Beth-Hamikdach, et que rien désormais ne t’appartenait en propre, répondit avec sincérité le travailleur.
Tant de noblesse de pensée et de sentiment étonnait le riche propriétaire.
« Mon ami, crois-moi, s’exclama-t-il, ce que dans ta grande indulgence tu as supposé correspond exactement à la réalité. Figure-toi que mon fils Hyrcanos refusait d’apprendre la Torah. J’en fus très affecté, puis comme de nouveaux efforts restaient vains, j’entrai dans une grande colère. Je fis alors le vœu qu’il ne bénéficierait pas de ma fortune, et déclarai sainte propriété du Beth-Hamikdach tout ce que je possédais. Ma colère retombée, j’allai raconter aux Sages ma triste histoire. Ils jugèrent mon vœu nul et non avenu. Je redevins un homme riche, et me trouvai donc dans la possibilité non seulement de payer ma dette envers toi, mais d’apporter aussi ces présents à ta famille pour marquer combien j’ai été sensible à ta bonté à mon égard. Puisse D.ieu te juger avec clémence, comme tu as été clément dans ton jugement sur moi. »
(Talmud, traité Chabbat, 127b)
Combien parmi nous pourraient triompher d’une épreuve pareille à celle du pauvre homme de Galilée ? Les épreuves de ce genre sont rares, certes. Toutefois, nous nous trouvons souvent dans le cas où nous devons exprimer une opinion ou trancher en pensée sur la foi de certaines rumeurs ou certains soupçons. Gardons-nous de condamner hâtivement un voisin avant qu’il n’ait eu la possibilité de se défendre, ou sans penser que sa conjoncture propre – que nous ignorons – l’empêchait peut-être d’agir différemment. Une action qui paraît mauvaise peut, en fait, ne pas l’être du tout dans la perspective de certaines circonstances. C’est ce que la Torah nous enseigne : accorder toujours à une personne le bénéfice du doute et la juger avec bonté. Une preuve « circonstancielle » n’est pas toujours une preuve. Il ne faut se baser sur les apparences..
La Torah nous dit : « Aime ton prochain comme toi-même ». Tout comme chacun s’aime soi-même et n’est jamais à court d’excuses pour justifier ses actes, il convient d’aimer son prochain de la même manière et lui trouver des excuses à ses actes aussi. Comme disent nos Sages : si nous jugeons les autres avec bonté, D.ieu ne manquera pas de nous juger avec la même indulgence.
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