Non seulement sont-elles des antagonistes naturelles, mais elles semblent habiter deux plans qui ne se coupent jamais. La foi est sans équivoque, la raison est raisonnable. La foi est supra- humaine et donc (pour nous) irréelle, la raison est la réalité réduite à la taille humaine, définie et limitée, purgée de tout émerveillement et de toute vie. De nombreux siècles durant, ces deux dimensions demeurèrent chacune sur son plan avec ses partisans, considérant l’autre avec méfiance, voire avec mépris.

Jusqu’à ce que vint un homme qui était citoyen de ces deux mondes. Il passait librement de l’un à l’autre, jetant des ponts entre eux, décrivant un univers symbiotique où la foi et la raison affluent l’une dans l’autre, se nourrissent l’une de l’autre et se renforcent mutuellement.

Son nom était Rabbi Chnéour Zalman de Liadi, né à Liozna en Russie Blanche en 1745. Jeune homme, il rejoignit le mouvement ‘hassidique, fondé une génération plus tôt par Rabbi Israël Baal Chem Tov. En 1772, il développa sa propre branche du ‘Hassidisme, qui vint à être connue sous le nom de « ‘Habad »1. En 1796, il publia le Tanya, le livre qui contient les principes fondamentaux de son enseignement, sur lequel il avait travaillé pendant 20 ans. Un livre qui fit s’écrier l’un de ses grands contemporains : « Comment a-t-il réussi à faire entrer un si grand D.ieu dans un si petit livre ! » Au moment de son décès à l’hiver de 1812-1813, il avait planté les graines de sept générations d’enseignement et d’activisme ‘Habad qui allaient révolutionner la vie juive à travers le monde.

L’intelligence et les facultés de l’esprit jouent un rôle central dans le système de Rabbi Chnéour Zalman. L’étude, la compréhension et la méditation sont les outils par lesquels la foi est intériorisée et rendue réelle, de sorte qu’elle imprègne la personne, développant et orientant ses émotions et motivant ses actes. Le nom de « ‘Habad » lui-même est d’ailleurs un acronyme des termes hébraïques pour « sagesse », « compréhension » et « connaissance », et ‘Habad est souvent désignée comme « la branche intellectuelle du ‘Hassidisme ».

Cette catégorisation n’est pourtant pas tout à fait exacte. Rabbi Chnéour Zalman n’était pas un « intellectuel », du moins pas dans le sens commun désignant celui qui considère l’intellect comme l’ultime arbitre de la vérité. Au contraire : il a enseigné que la vérité ultime réside dans nos convictions profondes, dans les choses que nous savons sans les comprendre, soit dans les croyances ancrées dans notre conscience du fait que notre âme est une étincelle du Divin. De fait, il arrive souvent que l’intellect réprime ou fausse ces vérités. Mais c’est seulement lorsque la fonction intellectuelle est utilisée à mauvais escient : quand on considère ses propres limites comme étant absolues, et ce qui se trouve au-delà comme dépassant son entendement. L’intellect authentique, a déclaré le Rabbi Chnéour Zalman, est réceptif au suprarationnel et emploie ses propres outils à tâcher de l’appréhender et de « l’intérioriser ».

Le fait que vous ne pouvez pas comprendre rationnellement quelque chose n’est pas une raison de ne pas l’étudier. Vous savez que c’est vrai, votre for intérieur vous le dit. Alors contemplez cette chose, analysez-la, méditez-la. Ne soyez pas intimidé par l’insuffisance initiale de votre esprit. Si vous embrassez l’infinitude de la foi avec les outils finis de votre esprit, vous finirez par constater que ces outils « s’élargissent » pour la recevoir. Et vous découvrirez que votre réalité finie est gorgée de la supra-réalité divine que vous aviez toujours considérée comme étant « au-delà » de vous.

Un groupe de disciples de Rabbi Chnéour Zalman était une fois en train de discuter de l’ère messianique et du grand miracle de la « résurrection des morts » qui aura lieu alors, lorsque l’un d’eux s’exclama : « Mais nous voyons ce miracle chaque jour ! Notre propre maître a lui aussi ce pouvoir de fait revivre les morts ! Qu’est-ce qu’un cadavre ? Quelque chose de froid et d’insensible. La vie, elle, est mouvement, chaleur et enthousiasme. Existe-t-il quelque chose d’aussi glacé que l’égocentrisme ? D’aussi froid et insensible que l’intellect ? Et quand cet esprit froid comprend et est enthousiasmé par une idée divine, n’est-ce pas là une résurrection des morts ? »