En 1943, dans la ville de Gutschein, en Allemagne, c’est dans une immense joie que la famille Louria accueillit son premier enfant.
Mais la joie fut de courte durée. À peine quelques heures plus tard, les nazis rassemblèrent tous les Juifs de la ville, parmi lesquels les Louria, et les poussèrent dans des wagons à bestiaux à destination des camps de concentration à l’Est.
Miriam Louria tenait son petit paquet serré contre elle dans le wagon froid et humide, dans l’espoir qu’il ne soit pas découvert, ce qui serait pour lui une mort certaine. Elle avait quelques cachets avec elle et elle les mit dans la bouche du bébé, en espérant que le surdosage le ferait dormir en silence.
Au bout de plusieurs jours, le train s’arrêta brutalement. Ils étaient arrivés à Auschwitz.
Affamés et hébétés, les Juifs de Gutschein rejoignirent la queue de la selektsya, la sélection pour déterminer qui était apte au travail forcé et qui irait aux chambres à gaz.
Miriam était jeune et en bonne condition physique, et elle poussa un soupir de soulagement quand elle passa la sélection. Dans son dos, caché dans le creux d’une écharpe, son petit garçon dormait encore, parfaitement inconscient de la cruauté du monde dans lequel il était né.
Miriam savait que si son bébé demeurait dans le camp, il serait certainement découvert. À la première occasion, elle saisit sa chance. Passant à proximité de la clôture électrique qui entourait le camp, elle remarqua de l’autre côté un paysan dont le visage était empreint d’humanité. Avec une prière sur les lèvres, elle lui jeta son sac à dos.
Le brave homme eut pitié de l’enfant et promit de faire ce qu’il pouvait. Il tint parole et, peu après, il amena le petit Louria à un orphelinat non juif.
Miraculeusement, Miriam et son mari survécurent tous deux aux camps et furent libérés à la fin de la guerre. Ils se mirent immédiatement à parcourir l’Europe, allant d’un orphelinat à l’autre à la recherche de leur fils bien-aimé. Chaque réponse négative les plongeait un peu plus dans le désespoir.
Mais ils ne renoncèrent pas. Après des années passées à suivre de fausses pistes, un renseignement les mena à Paris où ils retrouvèrent leur petit paquet, devenu un petit garçon de cinq ans.
Peu après avoir été enfin réunie, la famille Louria émigra en Australie. Comme l’exprima Miriam, ils voulaient « être aussi loin que possible de l’Europe ». Dans le même temps, ils firent de leur mieux pour effacer toute trace de cette identité juive qui avait été la cause de tant de souffrances. Ils appelèrent leur fils Alex et ne lui dirent jamais dit qu’il était juif.
Alex ne fut jamais emmené dans une synagogue. Il apprit qu’il était juif de ses camarades de classe, qui se moquaient de lui.
Une fois, Miriam amena son fils à un rabbin, dans l’espoir qu’il pourrait lui expliquer le mystère du Judaïsme. « Mais, il n’a pas vraiment expliqué quoi que ce soit, dit Alex. Il m’a seulement donné toutes les raisons pour lesquelles ils me détestent... »
Cet été, un ami et moi avons traversé l’Australie centrale dans un camping-car chargé de matériel éducatif et culturel juif et suffisamment de nourriture cachère pour tenir plusieurs semaines. Nous étions envoyés en mission par le centre ‘Habad pour l’Australie Rurale et Régionale (Rural and Regional Australia - RARA), à la recherche de Juifs qui pourraient profiter d’un peu d’inspiration juive.
En parcourant les pages blanches à Ballarat, état de Victoria, nous avons remarqué le nom de « Louria ». Comment le nom de l’une des plus nobles familles rabbiniques de l’histoire juive s’était-il retrouvé dans le répertoire téléphonique de Ballarat ? Nous avons noté l’adresse et décidé de tenter notre chance.
Un homme qui semblait avoir 70 ans nous a ouvert et nous lui avons expliqué que nous étions des rabbins qui traversaient la brousse pour rendre visite aux Juifs.

Le visage d’Alex s’éclaira. « Les chrétiens ont longtemps été derrière moi pour essayer de me convertir, mais je ne les écoutais jamais. Mais j’ai toujours souhaité que la communauté juive, mon peuple, me tende la main de la même manière », a-t-il dit.
Au cours de notre visite, Alex a mis les Téfilines pour la première fois de sa vie et a fixé une mézouza au chambranle de sa porte. Comme nous étions sur le point de partir, Alex nous a arrêtés : « Mon père m’a toujours dit que j’étais un descendant d’un rabbin nommé Isaac Louria. Ça vous dit quelque chose ? »
Rabbi Isaac Louria (1534-1572), connu sous l’acronyme « Arizal », fut l’un des plus grands kabbalistes de tous les temps. Ses écrits sont à la base de presque toutes les œuvres mystiques ultérieures.
Bien sûr, nous avons conservé les coordonnées d’Alex et lui avons promis de rester en contact.
En nous éloignant de chez lui, nous ne pouvions nous empêcher de penser que le Arizal devait avoir eu une immense satisfaction de voir son descendant se reconnecter à son héritage. Le voyage avait été très long, mais Alex Louria était enfin sur le chemin du retour.
Rejoignez la discussion