Chaque année, mes fils rêvaient de se rendre chez le Rabbi pour les fêtes de Tichri. Mais nos finances étaient serrées et ils devaient trouver un moyen de payer leurs voyages. Chacun d’entre eux avait eu la chance d’étudier auprès de Rav Hershel Gorman comment bien lire la Torah. Ils se renseignèrent donc dans différentes synagogues de Londres et parvinrent à se faire engager pour assurer la lecture de la Torah chaque Chabbat. Ils passaient des heures chaque semaine à réviser la paracha puis, chaque Chabbat, marchaient parfois une heure ou deux pour se rendre dans leurs synagogues respectives. Obligés de se lever tôt, ils n’hésitaient pas à marcher dans la chaleur de l’été ou la pluie et la neige de l’hiver. Ils déposaient chaque mois leur paye intégralement à la banque pour enfin pouvoir payer leur billet d’avion.
C’est ainsi qu’un Chabbat matin, froid et pluvieux, notre fils Israël se dirigea courageusement vers le quartier de Hampstead. Tandis qu’il se dépêchait, un bus le dépassa. Le conducteur de bus se tourna vers le contrôleur debout à ses côtés et remarqua haineusement : « Regarde ce petit Juif ! Habillé d’un costume noir moyenâgeux, avec ce stupide chapeau sur la tête ! Je déteste les Juifs ! Pourquoi s’obstinent-ils à être différents ? Ils croient qu’ils possèdent le monde ! »
Le contrôleur, Jack, couvert de tatouages et vêtu à la mode punk des années quatre-vingt, répondit avec son accent cockney : « Qu’est-ce que ce garçon ou d’ailleurs n’importe quel Juif vous a jamais fait ? Pourquoi le détestez-vous ? »
Surpris par la réaction de Jack, d’habitude gouailleur et moqueur, le conducteur se contenta de hausser les épaules et continua sa route en tentant d’oublier l’incident.
Mais cette remarque antisémite avait choqué Jack : il n’avait jamais révélé à ses collègues qu’il était juif. Son père, Avraham, était un survivant de la Shoah. Issu d’une famille pratiquante, il avait perdu toute sa famille dans les camps et lui-même avait traversé toutes les étapes de l’enfer ; par une suite évidente de miracles, il avait survécu, s’était installé en Angleterre, s’était marié avec une jeune fille juive et avait eu deux enfants, Jack et Donna. Rendu amer par les épreuves, Avraham avait abandonné presque toute pratique du judaïsme et n’avait donné aucune éducation juive à ses enfants.
Après le divorce de ses parents, Jack quitta la maison et le peu de judaïsme qu’il avait appris.
Avraham se retrouvait seul. Un de ses collègues était un ‘Hassid de Loubavitch qui l’invitait souvent à la maison. Lentement mais sûrement, Avraham se remit à accomplir des Mitsvot, se remaria avec une femme pratiquante et redevint pratiquant lui aussi. Il était heureux de sa nouvelle vie, mais s’inquiétait pour ses enfants qui n’avaient que très peu d’attaches avec le judaïsme.
Après cette expérience dans le bus, Jack contacta son père et lui raconta la scène. Il en avait été très choqué et était surtout très surpris de sa propre réaction.
Avraham était stupéfait de l’histoire de Jack et se demanda qui pouvait être ce jeune garçon qui avait provoqué sans le savoir la fureur du conducteur de bus. Pratiquement certain qu’il ne pouvait s’agir que d’un garçon Loubavitch, il entama une discrète enquête dans la synagogue Loubavitch et découvrit qu’il s’agissait de notre fils Israël. Très excité, Avraham lui raconta toute l’histoire qui s’était passée à son insu et comment son fils Jack avait été secoué par cette «rencontre». À son tour, Israël nous raconta l’incident et nous avons admiré le fait que, simplement en marchant dans la rue avec son chapeau, il avait rappelé à un Juif assimilé son origine et, peut-être, ses devoirs et responsabilités. Puis j’oubliais cet épisode.
* * *
Un an plus tard, Jack s’apprêta à se rendre aux États-Unis en vacances. En apprenant cela, Avraham le supplia de se rendre chez le Rabbi à New York. Jack n’en avait aucune envie, mais, devant l’insistance de son père, il accepta bien malgré lui.
Quand Jack passa devant le Rabbi, le Rabbi lui suggéra d’aller étudier dans une yéchiva ! Cette proposition fut loin de déclencher son enthousiasme. Cependant... l’étincelle qui avait été allumée dans ce fameux bus un an plus tôt, commençait à produire son effet. Près de neuf ans plus tard, il s’inscrivit dans une yéchiva spécialement conçue pour baalei téchouva, ces Juifs qui n’ont reçu pratiquement aucune éducation religieuse. Pour le plus grand bonheur de son père, Jack, que l’on appelle désormais par son prénom juif, Yaakov, est devenu pratiquant, s’est marié et vit en Israël avec son épouse et leurs nombreux enfants où il consacre chaque moment de libre à l’étude et la diffusion de la Torah.
Et mon fils Israël est devenu chalia’h, l’émissaire du Rabbi dans une grande ville des États-Unis où il se consacre à inspirer d’autres Juifs à revenir à leur héritage.
Lieba Rosen
Extrait de N’shei Chabad Newsletter n° 7201
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