L’été au Panama était chaud et humide. Les deux hommes revêtus de leurs costumes et de leurs chapeaux noirs ne manquaient pas d’attirer l’attention tandis qu’ils déambulaient dans la ville. Mais Rav ‘Haïm Meir Lieberman et Rav Mendel Popack ignoraient la chaleur et les regards curieux : avec leurs épouses, ils étaient envoyés en mission par le Merkaz Chli’hout, par le Rabbi.

Ils avaient déjà rencontré les membres de la grande communauté séfarade ainsi que ceux, moins nombreux, de la communauté ashkénaze. De plus, ils avaient contacté quelques soldats juifs américains en poste sur la zone du canal de Panama qui était, à l’époque, administrée par l’armée des États-Unis.

Les deux jeunes rabbins organisèrent une réunion pour quelques couples au foyer de l’un des officiers de la Marine. Sandy, la maîtresse de maison, invita les épouses des deux rabbins, Sarah Lieberman et Avigaïl Popack à venir lui rendre visite et leur raconta son histoire :

« Je suis née au Nicaragua, dans une famille catholique. Bien que mon enfance se soit déroulée agréablement, j’ai subi plusieurs épreuves à l’âge adulte, ce qui m’a incitée à me poser des questions quant à la vraie religion. J’ai étudié un peu les philosophies d’Extrême-Orient, mais sans trouver les réponses que je recherchais. Puis j’ai rencontré Josh. Nous nous sommes mariés civilement et j’ai déclaré à mon mari que, pour moi, il était important d’élever mes futurs enfants avec une base religieuse. Puisque Josh était juif, nous devions peut-être nous intéresser au Judaïsme. J’ai entrepris des recherches et, pour la première fois, j’ai trouvé une croyance à laquelle je pouvais adhérer. Cela m’a amenée à contacter l’aumônier de la base et, sous sa direction, j’ai étudié trois heures par jour, trois jours par semaine durant les deux dernières années. Je viens d’achever le processus de conversion et je me suis mariée avec Josh, cette fois-ci sous la ‘Houppa, en bonne et due forme. »

À ce moment, une vieille dame entra dans la pièce : « Sarah et Avigaïl, je vous présente ma mère qui est venue me rendre visite. Elle était d’ailleurs présente à la ‘Houppa. »

La vieille dame se mit alors à parler avec véhémence à Sandy en espagnol : « Elle dit qu’elle ne peut pas comprendre pourquoi j’avais besoin de me convertir. »

– Ce doit être difficile pour elle de voir sa fille s’allier avec un peuple étranger et inconnu, remarqua Sarah.

– Je ne crois pas que ce soit là le problème. Deux de mes tantes qui ont quitté le Nicaragua il y a de nombreuses années vivent aussi comme des Juives ! répliqua Sandy.

– Vraiment ? Se sont-elles aussi converties ?

– Je n’en sais rien. Quand j’ai posé des questions à ma mère à propos de mes tantes, elle a répondu que tout le monde a des Juifs dans sa famille !

Sarah et Avigaïl restèrent sans voix pendant un moment. Mais elles se reprirent : il fallait aller jusqu’au bout.

– Votre mère accepterait-elle que nous lui posions quelques questions sur sa famille ?

– Volontiers, mais comme elle ne parle pas anglais, j’assurerai la traduction.

Après quelques minutes d’un dialogue à brûle-pourpoint traduit d’anglais en espagnol et d’espagnol en anglais, une histoire fascinante émergea. La famille maternelle de Sandy remontait à des Juifs d’Espagne qui avaient trouvé asile au Portugal ; mais quand le Portugal adopta des lois contre la pratique du Judaïsme, les ancêtres avaient été obligés de cacher leur religion et n’avaient gardé que quelques pratiques juives en secret. Finalement, ils s’étaient enfuis en Amérique du Sud où ils s’étaient sentis soulagés jusqu’à ce que l’Inquisition y fasse son apparition. La famille pratiqua alors ostensiblement le catholicisme, mais avait gardé quelques coutumes.

– Votre mère n’a pas compris pourquoi vous avez eu besoin de vous convertir, parce qu’elle savait que vous étiez juive de naissance, comme elle et grâce à elle, s’enflamma Avigaïl.

– Maintenant je comprends ! s’exclama Sandy, les yeux étincelants. Ma grand-mère allumait des bougies le vendredi dans un verre coloré qui masquait la lumière. Je me souviens aussi que lorsque nous revenions le dimanche de l’église, elle sortait un livre pour enfants qu’elle nous lisait en déclarant : « Ce qu’ils ont dit à l’église, c’est pour eux ! Maintenant, écoutez ce que vous devez vraiment connaître. » Avec le recul, je me rends compte que ce devait être un livre juif. Je suppose que, vu la société dans laquelle nous vivions, il aurait été difficile sinon dangereux de montrer que nous étions juifs.

* * *

Sarah Lieberman retourna à New York, mais resta en contact avec Sandy.

Quand le Rabbi lança la campagne de la Matsa Chmourah à Pessa’h, encourageant chaque Juif à consommer la Matsa ronde, confectionnée à la main, au moins pour le Séder, Sarah en envoya un paquet à Sandy qui venait de s’installer à la Nouvelle Orléans. On était à la veille de la fête, Sarah n’avait pas la nouvelle adresse de Sandy et il semblait impossible de l’obtenir par le biais de la Marine américaine.

Mais Sarah et son mari persévérèrent et finirent par localiser Sandy. Celle-ci venait d’accoucher juste après son déménagement dans une nouvelle ville qu’elle ne connaissait pas. Elle s’inquiétait et se demandait comment organiser le Séder de Pessa’h. Quand elle reçut le paquet de Matsot que Sarah parvint à lui envoyer en express, ce fut pour elle comme un cadeau du ciel.

Durant les trente années qui suivirent, Sarah et Sandy perdirent le contact. Au gré des affectations de son mari, Sandy déménagea plusieurs fois : en Floride, en Virginie, à Chicago…

– Où que je me sois installée, remarqua-t-elle devant son amie Rachel Margolin de Virginie, j’ai rencontré des 'hassidim Loubavitch qui m’ont aidée. Même au Panama dans les années 70…

– Panama ? s’exclama Rachel. Ma sœur Sarah Lieberman a effectué une Chli’hout (une mission pour le Rabbi de Loubavitch) un été dans les années 70… Vous l’avez peut-être rencontrée… ?

Extrait de N’shei Chabad Newsletter n° 7105