Sosua est une jolie petite station balnéaire au nord de la République Dominicaine. Elle ne jouit pas d’une grande célébrité et la plupart d’entre nous n’en ont jamais entendu parler. C’est pourtant ce modeste «:petit bout de paradis:» qui constitua, pour de nombreux Juifs, la seule chance de survie à l’enfer de l’Allemagne Nazie. Juste avant la guerre, quand tous les pays du monde, les États-unis compris, avaient fermé leurs frontières aux réfugiés juifs qui tentaient de fuir l’Europe, Rafael Trujillo, le dictateur de la République Dominicaine de l’époque, avait invité 100 000 Juifs à venir s’installer sur son île. Et même si ce geste avait une motivation politique certaine (il souhaitait une population «:plus blanche:» ainsi que l’accélération du développement économique de son pays), il reste qu’il offrit la vie sauve ainsi que le gîte, le couvert et même du travail à ces Juifs qui, autrement, étaient voués au massacre dans les camps de la mort. C’était une offre que l’on ne pouvait refuser, quels qu’en fussent les mobiles.
En fin de compte, seulement mille visas furent émis et, malheureusement, seuls 650 Juifs réussirent à en tirer profit et à rejoindre l’île. Le président Trujillo leur donna des terres à cultiver et du bétail à élever. Avec l’aide de D.ieu, leurs fermes prospérèrent au point où certaines d’entre elles devinrent d’importantes entreprises du secteur agroalimentaire local. Cet été, j’ai eu la chance de rendre visite à cette communauté qui connaît un lent déclin dans le cadre du programme d’aide aux communautés isolées du mouvement ‘Habad-Loubavitch.
Par une chaude après-midi, j’étais assis aux côtés de Baila, 70 ans, originaire d’un petit shtetl autrichien. Nous parlions en Yiddish. Avant la guerre, dix mille Juifs vivaient dans sa ville natale. Ses parents étaient des ‘Hassidim et son père était un cho’het – un abatteur rituel. «Il ne laissait jamais personne – voyageur isolé, mendiant ou vagabond – dormir seul à la synagogue le vendredi soir, il les invitait toujours à la maison,» me dit-elle.
Enfant, Baila se plaignait fréquemment de l’odeur et de l’aspect de certains invités. Mais son père lui répondait: «Ce sont nos frères et nos sœurs. Nous les acceptons et les aidons tels qu’ils sont.»
J’avais la gorge serrée en pensant à tout ce que Baila avait perdu: son shtetl , sa merveilleuse éducation et son chaleureux foyer juifs, ses parents et ses huit frères et sœurs qui ont tous péri dans les camps nazis.
Elle arriva à Sosua à un très jeune âge avec le groupe de réfugiés juifs et devint fermière. Ils construisirent ensemble une petite synagogue, mais leur connaissance et leur pratique du Judaïsme étaient des plus réduites. La fille de Baila reçut une éducation encore plus pauvre et se maria malheureusement en dehors de notre foi. Baila m’a raconté combien elle avait pleuré le jour où sa fille lui avait annoncé qu’elle allait se marier avec un jeune Dominicain non-Juif. Elle a souhaité que je rencontre sa petite-fille, Lima, ce que je fis. J’ai parlé à cette petite fille de cinq ans du Judaïsme, je lui ai donné un siddour pour enfants ainsi qu’une Mézouzah pour sa chambre. J’ai encouragé la maman de Lima à allumer les bougies de Chabbat avec elle chaque vendredi soir et d’essayer de lui donner un minimum d’éducation juive. Pendant que nous parlions, des larmes – de joie – coulaient des yeux de Baila.
Plus tard ce soir là, j’ai eu un rendez-vous à Puerto Plata, une bourgade à quelques 20 Km à l’ouest de Sosua avec une population juive d’à peu près trois âmes. Autre ville, autres destinées. La mère était une très gentille et respectable dame juive, Paula, et le père était un agréable Dominicain. Ils s’étaient rencontrés au lycée aux États-unis et s’étaient mariés là-bas. Ils avaient vécu la plus grande partie de leur vie de couple dans le New Jersey où Debra, leur fille aînée, s’était intéressée à son Judaïsme. Elle est, depuis, très impliquée et a soif de connaissance. Elle se rend à la synagogue locale chaque Chabbat et amène sa famille avec elle. Elle s’efforce également de manger Kacher. Cela n’enchante pas particulièrement sa mère, mais elle l’accepte.
J’ai dit à sa mère combien elle devrait être reconnaissante et tranquillisée de savoir que sa fille passe ses vendredis soirs en compagnie d’autres jeunes filles juives de son âge au lieu d’aller boire de l’alcool dans une discothèque avec des étrangers. Bien sûr, elle a acquiescé silencieusement.
En rentrant à mon hôtel, cette nuit-là, je pensais au destin de ces deux familles. Je me demandais si la mère de Paula qui vivait toujours dans le New Jersey avait pleuré comme l’avait fait Baila en apprenant que sa fille allait épouser un non-Juif. J’ai aussi pensé aux larmes de joie que Baila a versées en voyant sa petite-fille bien-aimée embrasser la Mézouzah et je me demandais si la mère de Paula se réjouissait aussi de savoir que sa première petite-fille était une jeune Juive fière et instruite.
Je pensais à ces deux mères. L’une qui n’avait pas eu la possibilité d’offrir une éducation juive à son enfant et l’autre qui vivait avec appréhension le fait que sa fille redécouvre ce à quoi elle avait délibérément tourné le dos. Je me suis dit que notre époque était décidément bien étrange et ironique quand n considère que tellement d’entre nous sont dispersés aux quatre coins du monde et déconnectés de leur héritage alors que, pour la première fois de l’Histoire, nous sommes tous libres de pratiquer le Judaïsme ouvertement quand et où cela nous plaît.
J’étais heureux de réaliser que, comme la jeune Debra, la petite Lima était déjà plus éduquée en Judaïsme que sa mère.
J’ai compris dans quelle mesure l’éducation garantissait l’avenir de notre peuple et j’ai remercié D.ieu d’avoir pu jouer un rôle dans cette transmission.
J’encourage chacun et chacune à remplir sa part dans cette action en faisant découvrir à un autre Juif ou une autre Juive combien notre héritage est précieux et de faire ainsi écho aux paroles du père de Baila (puisse D.ieu venger son sang), «ce sont nos frères et nos sœurs, nous devons les aider tels qu’ils sont.»
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