Savez-vous ce qu’est un « Protestant B » ? Je sais ce qu’est un protestant, je sais ce qu’est un catholique, et je sais ce qu’est un juif... mais jusqu’il y a peu, je n’avais jamais entendu parler de Protestant B.
J’ai appris ce qu’était un Protestant B grâce à un essai de Debra Darvick paru dans un numéro du magazine Hadassah. Il s’agit d’un chapitre d’un livre qu’elle prépare sur l’expérience des Juifs américains. Et cet essai raconte l’expérience du major à la retraite Mike Neulander, qui réside désormais à Newport News, en Virginie, et qui est aujourd’hui un artisan spécialisé dans l’artisanat judaïque. Voici son histoire.
Au final, c’est la classification sur les plaques d’identité militaires qui m’a amené à renouer avec mon judaïsme.
À l’époque comme aujourd’hui, la loi saoudienne interdisait aux Juifs d’entrer dans le paysÀ l’automne 1990, la tension montait au Koweït et en Arabie saoudite. J’étais capitaine dans l’armée et pilote chargé des essais de maintenance d’hélicoptères depuis une décennie, lorsque j’ai reçu mon ordre de transfert à la Première Division de cavalerie, qui était en état d’alerte pour la guerre du Golfe. C’est à ce moment-là que j’ai eu vent du « dilemme des plaques d’identité militaires » du ministère de la Défense concernant le personnel juif. À l’époque comme aujourd’hui, la loi saoudienne interdisait aux Juifs d’entrer dans le pays. Mais notre Secrétaire à la Défense avait déclaré sans ambages au roi d’Arabie saoudite : « Nous avons des Juifs dans notre armée. Ils se sont entraînés avec leurs unités et ils viennent. Fermez les yeux sur ce point. »
Avec le Koweït occupé et les Irakiens à sa frontière, le roi Fahd prit la décision pragmatique qui s’imposait. Nous sommes partis, mais il restait encore la question de la mention. Normalement, les plaques d’identité des militaires juifs portent l’indication « Jewish » (« Juif »). Mais la Défense, craignant que cela ne mette les soldats juifs encore plus en danger s’ils étaient capturés en territoire irakien, a remplacé l’indication par « Protestant B » sur les plaques. Je n’aimais pas du tout l’idée de classifier les Juifs comme « protestants-quelque chose », alors j’ai décidé de laisser ma plaque en l’état. Je me suis dit que si j’étais capturé, mon sort serait entre les mains de D.ieu. Changer mes plaques revenait à renier ma religion, et je ne pouvais pas l’accepter.
En septembre 1990, je suis parti défendre un pays dans lequel il m’était interdit d’entrer. La mention « Jewish » sur ma plaque d’identité restait aussi claire et indiscutable que l’étoile américaine sur le capot de chaque camion de l’armée.
Quelques jours après mon arrivée, l’aumônier baptiste m’a approché. « Je viens de recevoir un message secret par les canaux officiels, » dit-il. « Il va y avoir un rassemblement juif. Une fête ? Simkatoro, ou quelque chose comme ça. Vous voulez y aller ? C’est à 18 heures à la base aérienne de Dhahran. »
Simkatoro s’est avéré être Sim’hat Torah, une fête qui n’avait pas fait surface dans ma conscience religieuse depuis une éternité. L’office s’est tenu dans le plus grand secret, dans une salle sans fenêtres d’un bâtiment en parpaings. L’aumônier a dirigé un office rapide et simple. Nous ne pouvions pas risquer de chanter ou de danser, mais le rabbin Ben Romer avait réussi à faire passer clandestinement une bouteille de vin Manischewitz. Normalement, je ne supporte pas ce vin, mais cette nuit-là, il avait le goût du Chabbat, de la famille et des séders d’autrefois. Mon âme était réchauffée par l’alcool interdit et par les souvenirs qui tourbillonnaient autour de moi et de mes camarades soldats. Nous étions des étrangers les uns pour les autres dans un pays plus étrange que tout ce que nous avions connu, mais pendant cette brève heure, nous étions chez nous.
Le vent soufflait sec à travers la tente, mais à l’intérieur régnait une atmosphère de fête extraordinaireSeuls des Américains auraient eu la ‘houtspa de célébrer Sim’hat Torah au nez et à la barbe des Saoudiens. Un mélange d’ironie et de fierté m’étreignait. Célébrer mon judaïsme ce soir-là m’a rendu encore plus fier d’être Américain, reconnaissant une fois de plus pour les libertés qui sont les nôtres. Je n’étais en Arabie saoudite que depuis une semaine, mais j’avais déjà une conscience aiguë de l’austérité de cette société.
Peu après, la situation a commencé à évoluer rapidement. La fois suivante où j’ai pu pratiquer un semblant de judaïsme, c’était à ‘Hanouka. C’était peut-être une coïncidence, ou peut-être était-ce la main de D.ieu qui avait placé un colonel juif à la tête de notre unité. Le colonel Lawrence Schneider nous transmettait immédiatement les informations concernant les rassemblements juifs. Si un non-juif avait dirigé ce poste, l’information aurait probablement été laissée de côté devant une situation plus urgente. La guerre, par exemple. Mais ce ne fut pas le cas.
Quand l’annonce de la fête de ‘Hanouka fut décodée, nous en avons été informés aussitôt. La première chose que nous avons vue en entrant dans la tente était de la nourriture, des tonnes de nourriture. Des colis de soutien arrivés des États-Unis – des biscuits, des latkès, de la crème aigre et de la compote de pommes, et d’innombrables conserves de guefilté fish. Le vent soufflait sec à travers la tente, mais à l’intérieur régnait une atmosphère de fête extraordinaire. Alors que le rabbin Romer parlait du thème de ‘Hanouka et de la poignée de soldats Maccabées qui avaient combattu les oppresseurs du judaïsme des milliers d’années auparavant, il n’était pas difficile d’établir le parallèle avec ce qui nous attendait. Là, au milieu du désert, à l’intérieur d’une tente vert olive, nous nous sentions comme les Maccabées. Si nous devions tomber, nous allions tomber en combattant, comme eux.
Nous avons dit la bénédiction sur les bougies, reconnaissant le Maître de l’Univers qui nous a ordonné d’allumer les lumières de ‘Hanouka. Nous avons dit la deuxième prière, louant D.ieu pour les miracles qu’Il a accomplis, en ces jours-là et maintenant. Et nous avons chanté la troisième bénédiction, le Chéhé’héyanou, remerciant D.ieu de nous garder en vie et de nous permettre d’atteindre cette saison.
Nous savions que la guerre était imminente. Toute la semaine, nous avions reçu des rapports faisant état de destructions massives, des conjectures sur les armes chimiques qui allaient probablement être déchaînées. Les estimations des services de renseignements militaires situaient les premières estimations de pertes à 12 500 soldats. À l’annonce de ces chiffres, j’ai pensé : « C’est toute ma division ! » Je me suis adossé à ma chaise, mes boîtes de guefilté fish à mes pieds. Nous étions dans le désert, à la veille d’entrer en guerre, chantant des louanges à D.ieu qui avait déjà sauvé nos ancêtres au combat autrefois.
Le sentiment d’unité était aussi palpable que notre appréhension, aussi réel que le sable qui s’infiltrait partout, de nos chaussettes à nos brosses à dents. Je ne m’étais jamais senti aussi juif que là-bas, sur cette plaine déserte d’Arabie, nos chars et nos armes prêts, que je ne l’avais jamais été dans une synagogue chez moi.
Cette fête de ‘Hanouka dans le désert a renforcé en moi le désir de renouer avec mon judaïsme. Je sentais la religion s’éveiller en moi. Tout soldat vous dira qu’il n’y a pas d’athées dans les tranchées, et je sais qu’une partie de mes sentiments était liée à la guerre imminente et à mon désir de me rapprocher de D.ieu avant que l’inconnu ne descende dans les nuages de la bataille. Cela peut sembler banal, mais tandis que nous terminions de manger les latkès et les biscuits et que nous essuyions les dernières traces de compote de pommes de nos assiettes, tout le monde est devenu silencieux, pleinement conscient du lien avec l’histoire, pensant à ce que nous étions sur le point de faire et à ce qui avait été fait par des soldats comme nous il y a si longtemps.
En silence, il sortit le rectangle métallique et sa chaîne à billes de sous sa chemiseLe soldat à côté de moi fixait l’horizon, manipulant machinalement sa plaque d’identité. « Quelle est ta classification ? », ai-je demandé en désignant ma plaque. En silence, il sortit le rectangle métallique et sa chaîne à billes de sous sa chemise et me le tendit pour que je puisse lire. Comme la mienne, sa plaque indiquait : « Jewish ».
Quelque part dans un entrepôt militaire, il doit certainement y avoir d’innombrables cartons de plaques d’identité, toujours sous emballage, toutes marquées « Protestant B ».
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