Question :

N’est-ce pas raciste de croire que l’on est spécial parce que l’on est juif ? En quoi est-ce différent de la croyance nazie dans la « supériorité » de la race aryenne, par exemple ?

Réponse :

Je pense que tout le monde est d’accord qu’il n’y a rien de mal à se sentir fier de qui l’on est. Il n’y a rien de mal à la diversité. D.ieu a créé un monde magnifique, un panorama merveilleux de couleurs, de formes et de personnalités. Aujourd’hui, nous reconnaissons que cette diversité est si essentielle à la nature des choses que quiconque tente de la combattre se bat contre la pérennité de la vie elle-même.

Lisez le Ohr ha’Hayim (Rabbi ‘Haïm ben Attar, Maroc/Israël, 1696-1743) sur la Genèse et vous serez enchanté par ses commentaires sur cette diversité. D’autres commentaires classiques montrent comment le monde contient toutes sortes d’opposés, tout comme une sphère est constituée de pôles opposés, de sorte qu’il reflète l’infini de son Créateur. Le Perek Shira, l’un des plus anciens midraches, fait ressortir quelque chose d’encore plus exquis : que chaque créature, telle que D.ieu l’a créée, est persuadée qu’elle est la plus belle et la plus sublime de toutes les créatures de la planète. Pas seulement le cheval et le lion, mais même le gluant crapaud verruqueux ne peut pas imaginer de créature plus belle que lui-même, qui pourrait chanter une chanson plus mélodieuse que celle qu’il coasse chaque jour. Il en est de même du chacal, du vautour et même de l’agaçant petit moustique, persuadé que toutes les créatures ont été créées par un D.ieu aimant juste pour lui procurer du sang à boire.

Tout comme pour les espèces vivantes, il en va de chaque individu, car chaque personne, écrit le Maharal de Prague, est une espèce à elle toute seule. Nous éduquons chaque enfant de sorte qu’il sache qu’il détient quelque chose de spécial, quelque chose d’unique que personne qui ait jamais vécu ou qui vivra jamais ne possèdera jamais. Cela n’exige pas un grand talent de persuasion : c’est dans la nature de l’être humain de le croire intuitivement, avant même que ce soit dit. Nous encourageons l’enfant, de sorte qu’il grandira et sera en mesure d’affronter le monde. Lui enlever cela revient à détruire la personne à l’intérieur ; l’encourager, c’est lui donner vie, courage et force.

Il en est de même s’agissant de toutes les entités sociales par lesquelles nous autres humains nous organisons : l’ethnocentrisme n’est pas quelque chose qui doit être combattu et écrasé. L’humanité n’a pas besoin d’homogénéisation. Imposer cela, c’est combattre et écraser la nature intrinsèque des êtres humains. Si les membres d’un peuple ne sont pas fiers d’eux-mêmes en tant que peuple et ne croient pas qu’ils ont quelque chose qu’aucun autre peuple ne peut fournir, alors ils n’ont aucun espoir de survivre en tant que cellule distincte de l’humanité. Dans ce cas, nous perdrions leur art, leur sagesse, leur patrimoine – tout ce qu’ils ont à contribuer au reste de l’humanité, par la volonté de D.ieu.

Croyez-vous vraiment que l’humanité doive se fondre en une bouillie homogène ? Tel était l’idéal de l’Amérique au tournant du 20ème siècle. J’ai grandi au Canada, avec l’idéal de Lester Pearson et Pierre Elliott Trudeau d’un patchwork coloré. La bouillie, dans mon esprit, est une pitance un peu pâle et monotone, l’antithèse de la vie.

Quand la fierté est-elle dangereuse ? Lorsqu’elle est une fierté maladive. C’est quand on est fier de mauvaises choses. C’est quand la fierté ne laisse aucune place aux autres. Quand elle empêche de voir ses propres défauts. Et – et je crois que là est le cœur de la question – quand on est si fier qu’on ne peut pas reconnaître quoi que ce soit de plus grand que soi.

La nation allemande après la Première Guerre mondiale était maladive de cette manière. Et non sans raison. Une génération entière était absente. Les jeunes étaient en colère contre l’échec de leurs pères qui les avait dépossédés de la fierté allemande, leur laissant un héritage de honte. C’était une culture de rejectionnisme, où ce qui était vieux devait être mis au rebut tout simplement parce que c’était vieux et toute chose choquante et radicale devait être adoptée du simple fait qu’elle était choquante et radicale. La non-musique atonale, le non-art dada, la pornographie endémique et une violence dans les rues d’une intensité inconnue en Allemagne depuis des siècles, tout ceci étaient les symptômes d’une société souffrant d’une grave pathologie systémique. De cela, il n’est pas difficile de voir découler une sorte de fierté létale, une fierté qui n’était pas seulement vouée à détruire le monde, mais semi-consciemment à s’anéantir elle-même aussi, tel le phénix plongeant dans son bûcher.

Quand je regarde la fierté du peuple juif, je ne vois rien de tout cela. De quoi sommes-nous fiers ? Regardez à nouveau le Talmud : « Quelles sont les trois traits de cette nation ? Ils ont de la compassion, ils ont une conscience et ils aiment les actes de bonté. » Les Juifs sont également fiers de leurs facultés intellectuelles, ce qui n’a rien de déraisonnable au regard de leur histoire.

Certes, nous ne sommes pas sans défauts. Les Juifs d’Europe ont porté les cicatrices de l’antisémitisme hideux de ces terres. Il est difficile d’aimer ceux qui vous haïssent et vous assassinent. De la rancune est née de cette expérience, mais cela ne fait que rendre plus étonnant encore que la bonté et la compassion aient malgré tout survécu dans le cœur juif.

Nous avons une longue tradition d’introspection et d’autocritique, dans la Torah, dans les Prophètes, chez les sages du Talmud, et ce, jusqu’à aujourd’hui. Nous avons ri de nous-mêmes, nous nous sommes lamentés de nous-mêmes et nous nous sommes châtiés sans cesse tout au long de notre longue et douloureuse histoire. Nous nous reprochons d’être têtus et de renoncer trop facilement, d’être trop hautains et de manquer de fierté. Trop souvent, l’autocritique échappe à notre contrôle, et nous nous blâmons pour cela également.

Accordons-nous une place aux autres ? Je ne connais aucune autre tradition qui affirme ouvertement « les justes des nations ont une part dans le Monde Futur ». Inutile de devenir l’un d’entre nous. Bien sûr, il y a quelques règles de base, mais celles-ci laissent une large marge de manœuvre et sont pour la plupart les règles de base nécessaire à la stabilité d’une société saine. Respectez ces règles, qui que vous soyez, et vous êtes inclus.

Nous ne nous contentons pas de laisser la place aux autres, nous sommes ouverts à apprendre des autres lorsque cela n’entre pas en conflit avec nos croyances fondamentales, comme Maïmonide écrit dans son code de loi : « Prenez la vérité d’où elle vient. » Le grand « pilier de la loi juive » cite Aristote, Galien et de nombreux philosophes arabes avec un profond respect. Pour citer le Talmud à nouveau : « S’ils vous disent qu’il y a la Torah parmi les nations, ne les croyez pas. Mais s’ils vous disent qu’il y a la sagesse parmi les nations, croyez-les. »

Comme je l’ai dit, le cœur de la question est de reconnaître qu’il existe quelque chose de plus grand que soi. Sans cela, la fierté devient orgueil, une maladie que l’on nous prescrit de fuir à l’extrême. En fait, sans la Torah, ont enseigné nos sages, le Juif est « la plus effrontée et éhontée des nations ». Même avec la Torah, le libre arbitre d’une personne ne lui est jamais enlevé. Il y a ceux qui utilisent la Torah comme un marteau pour se construire un trône de fierté mal placée, pour que tous se prosternent devant leur érudition. Même la Torah peut être détournée.

Mais quand un Juif laisse la Torah le guider (plutôt que de s’employer à guider la Torah), lorsqu’il accepte qu’il n’est pas ici pour son propre plaisir ou sa fierté ou sa gloire, mais avec un but, une mission que lui a confiée le Créateur de toutes choses, alors le Juif est en mesure de conjuguer la fierté et la plus extrême humilité. Comme vous l’avez vous-même écrit, en reconnaissant qu’il est un Juif, il se considère d’autant plus un membre de l’humanité. Car quelle est sa mission ? De conquérir ? De dominer ? Non, elle est d’éclairer, de porter le flambeau allumé par notre père Abraham il y a près de 4000 ans, jusqu’à ce que le monde entier soit pénétré de la lumière de cette sagesse, jusqu’à ce que « l’humanité entière œuvrera de concert comme s’ils avaient une seule épaule » dans la paix et la fraternité.

Devrais-je avoir honte de vouloir que ma fille se marie avec un Juif et seulement un Juif ? Suis-je un nazi pour ma fierté et ma conviction ? Devrais-je être condamné pour avoir voulu maintenir cette flamme d’Abraham ?

Au contraire, je crois que ce sont ceux qui exigent que nous nous assimilions, qui ne peuvent supporter qu’il y ait un peuple qui ose se démarquer, qui ose préserver son patrimoine et sa mission malgré toutes les tentatives de l’écraser et de le jeter à terre, que ce sont eux qui sont les vrais fanatiques. Ce sont eux qui cherchent à détruire la beauté que D.ieu a mise dans Sa création, à détruire l’essence même de la vie.

Nous sommes fiers d’être juifs, et nous sommes fiers d’être fiers. Nous ne voulons pas être quoi que ce soit d’autre et nous ne voulons pas que nos petits-enfants soient autre chose. Pour nous, il n’est rien de plus magnifique que d’être un Juif et il n’est rien de plus désastreux que d’en perdre un. Parce que chaque Juif est une flamme précieuse, un buisson ardent qui ne sera pas consumé, une torche éternelle que nul n’a le droit d’éteindre, pas même ce Juif lui-même.