Susie et Judy, sa fille de quatre ans, font la queue à la caisse de l’épicerie. Les rayons près du comptoir sont chargés de toutes sortes de bonbons alléchants. Judy remarque une barre de chocolat particulièrement appétissante et supplie sa maman de la lui acheter.
Susie refuse fermement, rappelant les nombreuses sucreries que sa fille a déjà consommées ce jour-là et comment ce chocolat gâchera son appétit pour le dîner. Les lamentations de Judy se font plus insistantes. Forte de son expérience, la petite Judy sait déjà que plus elle criera fort et longuement, plus elle aura de chance que sa mère cède à son caprice.
Effectivement, Susie capitule rapidement et Judy se retrouve à croquer gaiement son chocolat.
Un rayon plus loin, Susie remarque que la même scène se joue avec une autre mère et un autre enfant. Mais au moment où les gémissements de l’enfant commencent à s’intensifier, la mère dit simplement : « Je suis désolé chéri, mais ce bonbon n’est pas cachère et nous ne pouvons pas le manger. »
À la stupéfaction de Susie, les pleurnicheries de l’enfant cessent instantanément. C’est comme si cet enfant savait intuitivement qu’une crise serait vaine. Il sait d’expérience qu’il s’agit là d’une règle inflexible qui ni larmes, ni cris ne parviendront à briser.
Y a-t-il des lignes rouges dans l’éducation – certaines règles et normes que nos enfants doivent accepter comme étant inviolables ? Comment pouvons-nous établir ces principes ? Et quand nous le faisons, cela laisse-t-il une place à la spontanéité et la flexibilité dans la manière dont nous orientons nos enfants ?
Les noms des deux sections de la Torah que nous lisons cette semaine enseignent un principe essentiel à une éducation réussie.
Ces deux sections sont Matot, qui signifie « tribus » ou « bâtons », et Massei qui signifie « voyages ».
La Torah appelle les tribus d’Israël chevatim, « branches », ou matot, « bâtons ». Les deux termes expriment l’idée que les douze tribus d’Israël sont toutes des branches ou des rameaux issus d’une même racine. Il y a toutefois une différence sensible entre ces deux appellations. Un chévèt est une branche souple et flexible. Dans notre cas, la Torah choisit le mot mateh qui évoque un bâton ferme et rigide.
La base d’une éducation réussie consiste à établir des principes aussi fermes et inflexibles que des matot pour guider nos enfants. Ceux-ci ont en effet besoin de cohérence pour s’épanouir et apprécient la constance et la stabilité dans leur vie. Ils discernent intuitivement quelles sont les normes et les valeurs que nous considérons comme essentielles et immuables et quelles sont celles qui peuvent être contestées et rejetées.
Dans le monde précaire d’aujourd’hui, nos enfants se tournent plus que jamais vers nous pour obtenir un système de valeurs morales et de règles de vie qui ne cèdent pas à la pression extérieure ou à l’opinion publique. Si celles-ci leur sont inculquées dès les premières étapes de leur développement, alors lorsqu’ils seront tentés de faire un mauvais choix, ou lorsqu’ils seront exposés à des railleries pour ce qu’ils sont et ce qu’ils croient être juste, ils seront capables de puiser la force de résister dans les valeurs impérissables de leur éducation. Ils auront le courage et la détermination des matot, les bâtons inflexibles.
Le roi Salomon enseigne dans les Proverbes : « ‘hossékh chivto, sonéh béno », ce qui signifie littéralement : « Celui qui retient son bâton hait son fils » (d’où l’expression populaire « Qui aime bien, châtie bien »). Le message pour notre époque de cette parole de sagesse est qu’un parent aimant et soucieux du bien-être de son enfant doit lui inculquer des bâtons conceptuels, c’est-à-dire de le doter de principes aussi fermes et solides qu’un bâton qui le guideront à travers les chemins de la vie.
Mais, en même temps, il y a des moments au cours de l’éducation où il est nécessaire, pour l’épanouissement de l’enfant, d’élargir les limites et de laisser passer certaines petites choses.
En effet, les enfants ne sont pas des êtres statiques ; ce sont des personnalités pleines de vie et d’émotions, dotées d’une perception riche, d’une intelligence en plein développement et de besoins et de désirs innés. Les règles se doivent d’être constructives et de produire des résultats positifs tout en dirigeant leur progression dans les étapes de la vie. Si elles sont étouffantes et destructrices, cela suffit pour indiquer que quelque chose ne va pas dans la manière dont elles sont enseignées et appliquées.
La seconde partie de la lecture de la Torah est Massei, « les voyages », qui relate les voyages du peuple juif dans le désert du Sinaï et à destination de la Terre Sainte.
Contrairement au bâton, un voyage n’est par définition ni fixe, ni inflexible, mais évoque un mouvement fluide, une avancée vers un but.
De prime abord, les deux principes de Matot et Massei semblent contradictoires. Matot nous engage à la constance et à l’immuabilité, tel le bâton aussi solide qu’inflexible, alors que Massei nous encourage à aller de l’avant, à changer et transformer ce qui doit l’être. Toutefois, lorsqu’elle combine ces deux sections en une seule, la Torah nous dit que ces deux démarches peuvent – et doivent – être intégrées à notre propre approche de la vie ainsi qu’à notre manière d’éduquer nos enfants.
En tant que parents, nous devons en premier lieu établir des valeurs solides et sans compromis, des valeurs « Matot ». La Torah nous guide à travers des règles précises qui définissent ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est permis et ce qui est interdit.
Mais, simultanément, la Torah accorde une marge de manœuvre et la flexibilité nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de notre enfant. Celui-ci n’est pas un être figé, mais est au contraire pétri d’émotions et se trouve confronté à mille défis. Parfois, de petites exceptions, des chemins alternatifs ou une approche différente peuvent être explorés pour son bon développement, tout en demeurant fidèles à nos principes essentiels.
Être un bon parent exige de savoir naviguer selon ces deux modes. De trouver le bon équilibre entre la force et le compromis, l’immuabilité et la flexibilité.
Circonspection et sensibilité sont nécessaires pour déterminer lequel de ces modes convient à chacun des domaines de la vie de notre enfant. De plus, nous devons intégrer ces deux modes dans notre expérience quotidienne avec lui, de manière à être constants dans les domaines fondamentaux tout en étant conciliants dans ceux de moindre importance.
Parce que nous devons toujours être conscients que notre but est que notre enfant continue de progresser dans le voyage de sa vie.
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