Un mois avant son arrestation on pouvait distinguer la présence de deux hommes qui rôdaient de manière inhabituelle autour de sa maison.

Dans la nuit du 9 Nissan 5699 (1939), à trois heures du matin on frappa à la porte. La Rabbanit 'Hanna alla ouvrir. Quatre hommes du N.K.V.D. se trouvaient face à elle. « Où est le Rav Schneerson ? », demandèrent-ils. Avant même qu'elle eût le temps de prévenir son mari, ils firent irruption dans la maison et bloquèrent toutes les portes. Le plus grand d'entre eux appela Rabbi Lévi Its'hak et lui montra l'ordre d'arrestation. Ils se mirent de suite au travail. Ils fouillèrent tous les livres et manuscrits, n'en laissèrent pas un seul échapper et en prirent une grande partie. Ils fouillèrent ainsi toutes les pièces. Lorsqu'ils eurent terminé, le même homme dit au rav : « Rabbi, habille-toi et viens avec nous. » Il comprit qu'il ne passerait pas la fête de Pessa'h chez lui et voulut prendre des matsot, mais ils ne l'y autorisèrent pas.

Ordre d'arrestation de Rabbi Lévi Its'hak
Ordre d'arrestation de Rabbi Lévi Its'hak

Le motif de son arrestation était le suivant : « Sous couvert de son activité religieuse, Schneerson fait partie d'un organisme antisoviétique actif qui est le produit de diffamation et de défaitisme. Grâce au lien qu'il entretient avec son fils, agent important des informations de Pologne, et avec un proche parent, le grand rabbin de Riga, Schneerson enrôle des hommes pour le mouvement clandestin antisoviétique et est soupçonné d'espionnage. Il exploite son discours hebdomadaire à la synagogue pour parler contre le gouvernement soviétique et contre ses dirigeants. Il organise une grande aide matérielle pour les ennemis du régime. »

À la Rabbanit 'Hanna qui demanda où on emmenait son mari, ils répondirent qu'elle devait se présenter le lendemain aux bureaux du N.K.V.D. où on l'en informerait. Le lendemain, elle s'aperçut rapidement que tout cela n'était que mensonge. À toutes ses questions, une seule réponse lui était donnée : « Il n'est pas là, impossible de lui transmettre quelque nourriture. » En regardant l'acte d'arrestation, elle aperçut la signature de celui qui devait s'occuper de son dossier. Elle le contacta et lui demanda des nouvelles de son mari. Chaque jour, il lui transmettait son bonjour. Ce n'est que cinq mois plus tard qu’elle apprit que dès le lendemain de son arrestation, il avait été transféré dans une autre prison à Kiev.

La description d'un autre prisonnier, le rav Aharon Yaakov Diskin, détenu en même temps que Rabbi Lévi Its'hak, est très significative :

« Qui pouvait supporter toutes ces épreuves ? Qu'une minorité ! Parmi eux le Rav Lévi Its'hak Schneerson. Il n'avoua rien ! Il ne signa pas l'acte de son inculpation ! Avec une force extraordinaire, il subit les souffrances et ne se courba point. Il accepta avec amour le décret des cieux et n'avoua rien à ses bourreaux. On le transféra à Kiev : peut-être les “spécialistes” qui s'y trouvaient réussiraient-ils à extorquer sa signature. Ils utiliseraient tous les moyens. Ils avaient devant eux l'une des plus importantes personnalités recherchées : un rav célèbre, parent par alliance du Rabbi Yossef Its’hak Schneerson qu'ils haïssaient et dont ils regrettaient amèrement la sortie de Russie. Ils avaient une proie pour se venger et faire porter l'accusation de complot et espionnage contre-révolutionnaire contre lui et son parent le Rabbi Yossef Its’hak. Par son intermédiaire ils pourraient capturer tous les autres rabbins. Mais même les “spécialistes” échouèrent et durent abandonner. Le rav Schneerson n'avoua rien, ne signa pas, et ne reconnut pas les inculpations portées contre lui, malgré la colère qu'ils déversaient sur lui. Grâce à cela, beaucoup de rabbins et de Juifs religieux furent sauvés. Dans cette redoutable coulée de sang qui prit au piège des millions de personnes, le rav Schneerson fut le seul sur lequel le feu de l'enfer n'eut pas d'emprise. Ce fait était l'objet de longues discussions entre les prisonniers et tous s'émerveillaient devant la personnalité fabuleuse de cet homme. »

Immeuble du KGB dans les sous-sols duquel Rabbi Lévi Its'hak fut incarcéré
Immeuble du KGB dans les sous-sols duquel Rabbi Lévi Its'hak fut incarcéré

Le rédacteur de ce témoignage connut lui-même ces épreuves. Après deux ans d'emprisonnement dans ces conditions, il fut condamné à cinq ans de travaux forcés dans les montagnes et forêts du nord de l’Oural.

« En janvier 5700 (1940), je fus transporté dans un Etap (train dans lequel les prisonniers étaient transportés) vers la prison de 'Harkov. Vers cette prison étaient transportés des milliers de prisonniers. À partir de là, de grands Etap desservaient les différents camps de travaux forcés. J'étais emprisonné dans la cellule n° 22, bondée de plus de quatre cents personnes serrées à terre [...]. Je dormais à côté de deux ingénieurs qui parlaient avec émerveillement du Rav Schneerson. Ils racontèrent que lorsqu'ils se trouvaient dans sa prison, ils lui posaient des problèmes complexes en mathématique et en ingénierie qu'il résolvait en un instant. L'essentiel de leur émerveillement venait de sa force de caractère : il n'acceptait pas d'aller à l'interrogatoire à la sortie de Chabbat avant d'avoir reçu des allumettes pour la Havdala. Il fut une fois interpellé durant la prière silencieuse de la Amidah, mais n'interrompit pas sa prière, déclenchant la colère de ces bêtes à forme humaine. Ils n'osèrent pas le toucher. Il épanchait son cœur sans faire le moindre geste. Il finit sa prière et sortit avec eux, mais ne signa pas les accusations portées contre lui [...].

Je sus que le Rav Schneerson se trouvait dans la cellule nº 6. J'ai demandé à être placé dans la même cellule que lui. On me répondit : “Je sais quelle est ton intention. Que tu succombes ici et n'aies pas la chance d'être transféré dans la cellule nº 6 où se trouve Schneerson !” Quand je revins à ma place, l'ancien commissaire qui se trouvait à mes côtés me dit :“De quoi as-tu parlé avec ce Pharaon ?” Je lui répondis : “J'ai demandé à être muté dans la cellule nº 6.” Il s'exclama : “C'est là que se trouve le rav qui n'a pas signé. C'est bien qu'il y en ait au moins un qui ne se courbe pas devant ces bourreaux. Vraiment, c'est un grand homme, ce rabbin !” »

Un professeur non-juif raconta à la Rabbanit 'Hanna :

« Je n'oublierai jamais cet homme, ses connaissances extraordinaires et sa rare force de caractère ! Nous étions quatre dans la même cellule et nous trois avons pu tenir grâce aux encouragements du rav à ne pas perdre espoir en dépit des terribles souffrances que nous subissions. Avec force et sans relâche, il resta fidèle aux principes de sa religion. Le fait qui m'a le plus marqué fut qu'une fois, il fut ordonné à tous les prisonniers de raser leur barbe. Plusieurs prisonniers, parmi eux des juifs et des rabbins, tentèrent de s'y opposer, mais sans résultat. Quand arriva le tour du rav, il se tint comme un rocher et s'écria : “Moi, ma barbe, vous ne la toucherez jamais !” Ses paroles, prononcées avec une si grande force, les effrayèrent et ils abandonnèrent. Il fut le seul qui eut le mérite de garder sa barbe, chose que beaucoup d'autres lui envièrent. »

Cinq mois plus tard, en Eloul 5699 (1939), il fut ramené à Dniepropetrovsk, et la Rabbanit 'Hanna eut enfin la possibilité de lui transmettre de la nourriture. Quelque deux semaines après, une nouvelle fouille fut organisée dans sa maison le jour du Chabbat, en vue de trouver d'autres preuves pour aggraver ses « fautes ». Après cela, ils convoquèrent la Rabbanit 'Hanna aux bureaux du N.K.V.D. pour un interrogatoire. On l'interrogea à propos des actions de son mari, des liens avec son fils... Malgré leurs menaces, ils n'obtinrent rien de ce qu'ils désiraient.

Ils durent admettre qu'ils ne parviendraient à rien avec Rabbi Lévi Its'hak. À chaque question au sujet d'une réunion dans la communauté, il semblait avoir complètement oublié le sujet sur lequel elle avait porté. Il ne mentionnait nommément que des personnes déjà disparues ou ayant déjà quitté les frontières du pays. L'interrogateur ne pouvait aucunement prouver le caractère antisoviétique des rassemblements religieux secrets de Moscou, Kiev, Leningrad... C'est ainsi qu'avec une extraordinaire intelligence, il parvenait à répondre à chacune de leurs questions.

Avant son retour à Dniepropetrovsk, il passa une visite médicale et le médecin décela alors un grand nombre de problèmes graves. Ils décidèrent alors d'adopter une autre tactique. Ils emprisonnèrent trois membres importants de la communauté en vue d'obtenir des révélations contre le rav. Ils n'obtinrent aucune révélation effective. Ils exigèrent alors qu'ils signent les inculpations contre le rav. Devant leur refus, ils les torturèrent abominablement pendant dix semaines, pour obtenir la signature souhaitée.