La ville de Yekatrinoslav
La ville de Yekatrinoslav (actuelle Dniepropetrovsk) est intimement liée avec la personnalité exceptionnelle de Rabbi Lévi Its'hak, qu'on avait l'habitude d'appeler Reb Lévik. C'est en effet dans cette ville qu'il exerça durant de longues années la fonction de rav jusqu'au moment où il en fut exilé par le pouvoir communiste.
Un bref aperçu historique de la ville nous aidera à comprendre le choix de Rabbi Lévi Its'hak en tant que rav de la ville.
Yekatrinoslav fut fondée en 5538 (1778) dans le sud de l'Ukraine. On lui donna le nom de la reine Catherine. Elle le conserva jusqu'en 5686 (1926) où il fut changé par le pouvoir communiste en Dniepropetrovsk, du nom du dirigeant de la ville Potrovski. Le premier juif s'installa en 5564 (1784) et s'appelait Rabbi Chlomo Stanislavski. En 5585 (1805), 880 Juifs y habitaient déjà. Elle finit par compter en 5657 (1877) 41240 juifs, soit 37% de sa population.
Les Juifs connurent une période de prospérité jusqu'à la montée du roi Alexandre III. C'est alors que les rapports avec les Juifs commencèrent à se détériorer. C'est en 5644 (juillet 1884) que débutèrent des pogroms. À la suite d'une dénonciation calomnieuse, un marchand fut accusé d'avoir tué un enfant non juif, suscitant la colère des habitants de la ville qui pillèrent, tuèrent et détruisirent tout sur leur passage. C'est avec de longues difficultés que les autorités parvinrent à faire à nouveau régner le calme.
L'arrivée du Tsar Nicolas II n'apporta pas de grand changement. Il y avait alors quelque cinquante mille Juifs dans la ville, douze synagogues, une yéchiva, des talmud-Torah, seize écoles juives. La situation financière dans le pays était mauvaise pour les Juifs comme pour les non-juifs du fait de la défaite de la Russie contre le Japon. C'est précisément à ce moment (juillet 1905) que réapparut la haine commune contre les Juifs et des pogroms se déclenchèrent à nouveau, faisant 100 victimes, 200 blessés et plus de 300 magasins et demeures juives détruits. Un sentiment de peur régna dès lors parmi les Juifs et beaucoup, n'ayant plus d'abri, décidèrent de quitter la ville. Le tsar Nicolas II, face à cette situation, ne fit qu'acquitter les paysans pourtant déclarés coupables par les tribunaux. Cette situation ne connut pas d'amélioration et ne fit qu'empirer. Les conséquences se firent sentir aussi sur le plan spirituel, alors que les autorités limitaient l'accès aux écoles juives.
C'est pour faire face à ces poursuites et discriminations du gouvernement qui s'accentuaient contre les Juifs que Rabbi Lévi Its'hak fut désigné comme rav de la ville Yekatrinoslav. Ceux qui firent ce choix savaient que seule une personnalité comme Rabbi Lévi Its'hak était capable de faire face à une telle situation.
Un homme d'action pour sa foi et ses convictions
Rabbi Lévi Its'hak accéda à la fonction de Rav à l’âge de trente-deux ans. Sa nomination ne fut pas sans opposition. En effet le choix d'un rav 'hassidique pour un tel poste suscita l'opposition des mitnagdim (opposants à la 'Hassidout), qui espéraient eux aussi voir leur candidat obtenir cette fonction. Les opposants allèrent même jusqu'à porter de fausses accusations contre Rabbi Lévi Its'hak au gouvernement. Rabbi Lévi Its'hak, à la suite d'un long entretien avec un dirigeant sioniste très influent, reçut l'appui de ses amis (malgré leurs différences d'opinion). Il fut finalement élu rav de la ville, partageant néanmoins cette charge avec le rav Gelman, candidat des mitnagdim. En 1921, avec le décès de ce dernier, Rabbi Lévi Its'hak assumera seul cette fonction.
Rabbi Lévi Its'hak, conscient de ses responsabilités, fit preuve de la plus grande vigueur, faisant face aux plus grands dangers, sans craindre personne. Nous citerons ici à ce propos quelques témoignages très significatifs.
La réunion annulée
Lorsque l'opposition des communistes à la religion atteint son apogée et fut connue du monde entier, le pape appela à une campagne de boycott du gouvernement soviétique. Malgré sa cruauté et sa tyrannie, le gouvernement russe tenait à soigner son image. Il mit en œuvre tous les moyens pour combattre les effets de cette initiative. Une de ses décisions consista à rassembler trente-deux rabbins. Il s'agissait de leur faire signer une déclaration stipulant que l'annonce du pape n'était qu'un mensonge et qu'il n'existait en Russie aucune opposition à la religion. Après avoir obtenu cette signature de rabbins compétents originaires de Russie, les dirigeants décidèrent d'organiser une réunion semblable avec les rabbins d'Ukraine. Parmi les invités était convié le rav de Yekatrinoslav, Rabbi Lévi Its'hak. Cependant, ils connaissaient sa force de caractère et savaient qu'une simple invitation ne suffirait pas à en venir à bout. Le dirigeant de la G.P.U. lui-même invita donc Rabbi Lévi Its'hak à une discussion en tête-à-tête durant laquelle il expliqua l'importance d'une telle réunion et le bénéfice qui en résulterait pour le gouvernement russe aux yeux du monde entier. Il finit par lui offrir un billet en première classe pour se rendre dans la ville où la réunion aurait lieu. Rabbi Lévi Its'hak le remercia pour sa bonne intention mais déclina l'offre qui lui était faite, lui expliquant qu'il pourrait s'y rendre par ses propres moyens. Le général, ne s'attendant pas à un tel affront de la part du rav, s'efforça toutefois de cacher sa colère.
Le jour solennel arrivé, Rabbi Lévi Its'hak se rendit au lieu décidé où il fit la connaissance des rabbins invités. Dès le début, tous soupçonnèrent la présence d'un espion parmi eux. Ils s'abstinrent donc de bavarder entre eux. Mais Rabbi Lévi Its'hak se leva alors et fit part ouvertement de son avis. « Il est interdit de signer une telle déclaration qui est mensongère », dit-il. La réunion se prolongea plusieurs jours durant et Rabbi Lévi Its'hak ne se contenta pas de cette prise de position. Sans relâche, il insista sur la gravité d'une telle déclaration. Le ministre de l'Éducation, prenant conscience de son influence, convoqua Rabbi Lévi Its'hak et le mit en garde du danger d'une telle entrave au bien-être du gouvernement. Les conséquences de cette discussion furent nulles. Rabbi Lévi Its'hak maintint fermement son opinion et finit par convaincre les autres rabbins de ne pas signer. Les autorités n'eurent d'autre choix que d'abandonner leur projet...
Durant la réunion, Rabbi Lévi Its'hak apprit qu'une personnalité devait voyager en dehors de Russie. Il lui demanda de diffuser dans tous les journaux le combat des autorités contre les rabbins. L'envoyé remplit sa mission et répandit la nouvelle dans les journaux libres. On pouvait même voir une caricature représentant un policier russe armé d'un pistolet forçant un rabbin à signer un papier.
Le problème de la foi
L'année de son emprisonnement, avant la fête de Pessa'h, les autorités distribuèrent un questionnaire à remplir par chaque citoyen russe. Une des questions concernait la foi : chacun devait répondre s'il croyait ou non en D.ieu. Quand Rabbi Lévi Its'hak vit que nombreux étaient les Juifs qui craignaient de répondre par l'affirmative, il affirma devant toute l'assemblée de la synagogue qu'il est interdit à tout Juif de ne pas répondre correctement. « Celui qui répond par la négative nie la royauté divine », dit-il. Les fidèles présents furent néanmoins inquiets car ils n'avaient aucun doute de la présence d'un espion parmi eux qui iraient rapporter les paroles de Rabbi Lévi Its'hak aux membres de la G.P.U.
Mais l'impact des paroles de Rabbi Lévi Its'hak fut tel que l'un des fidèles, qui avait des fonctions importantes et dont la femme avait nié la croyance en D.ieu en son nom, se rendit au bureau des autorités et demanda à voir le questionnaire qui lui avait été présenté. Il expliqua aux employés que sa femme avait menti et corrigea son affirmation.
La police eut connaissance des paroles de Rabbi Lévi Its'hak, grâce à un espion chargé de le surveiller. Ces paroles même constituaient une raison suffisante à son arrestation.
Par la suite, raconta la Rabbanit 'Hanna, lorsqu'on l'interrogea à propos des paroles qu'il avait prononcées, il répondit : « Les autorités veulent avoir une réponse exacte et étant donné que de nombreux Juifs répondaient par la négative par peur de perdre leur travail, je les ai encouragés à répondre correctement. »
Les matsot surveillées
Le 18 Nissan 5743 (1983), durant la réunion des Tsivot Hachem, le Rabbi raconta :
« Le 18 Nissan est l'anniversaire de mon père. Je veux raconter une histoire à son sujet qui, pour différentes raisons, ne fut pas tellement diffusée. Cette histoire nous enseigne jusqu'où peut arriver un Juif qui décide de tenir fermement [...] et tente d'accomplir l'ordre de D.ieu et Sa mission.
Cette histoire est en rapport avec la farine et les matsot pour Pessa'h.
C'était durant les années du pouvoir soviétique où tout le commerce était dirigé par le gouvernement. Même les entrepôts où l'on moulait le blé, les manufactures centrales où l'on faisait cuire les matsot, étaient sous la propriété des autorités et fonctionnaient sous la surveillance des représentants du gouvernement.
Lorsque fut arrivé le moment d'amasser la farine et de l'apporter dans les manufactures de matsot, du fait que la ville dans laquelle mon père était le rav était située dans le Sud de la Russie, contrée dans laquelle était produite la majeure partie du blé de Russie, la certification cachère de la farine, depuis quelques années, relevait de son autorité.
C'est pourquoi, dès qu'ils avaient besoin d'envoyer de la farine et de faire certifier par un rav qu'elle avait été moulue sous une grande surveillance et pouvait servir à la cuisson des matsot, ils se tournaient vers mon père. Celui-ci donnait le certificat exigé après avoir placé des surveillants dans les moulins qui prenaient garde à ce que la farine n'entre pas en contact avec l'eau.
Sachant qu'ainsi se déroulaient les choses depuis de longues années, et qu'à nouveau ils devraient lui demander un certificat, ils s’adressèrent à lui et lui expliquèrent que la farine appartenait au gouvernement. S'il devait se produire qu'une partie de la farine ne soit pas vendue du fait de son refus d'accorder le certificat, cela signifierait qu'il combattait ouvertement le gouvernement, à qui profitaient les recettes de la farine. En particulier, à Pessa'h, la farine était vendue à un prix très élevé et les recettes étaient très importantes.
Mon père leur répondit que, s'ils lui permettaient de placer des surveillants et que les ouvriers suivent leurs instructions de façon à ce que la farine soit produite conformément à la loi juive, il donnerait certainement le certificat. Toutefois, s'ils refusaient d'accorder cette permission aux surveillants ou de se conformer à leurs instructions, il ne donnerait pas le certificat exigé. Plus encore, il informerait tout le monde que cette farine n'avait pas reçu son approbation.
Devant ces propos, ils répondirent qu'ils lui permettraient de placer ses surveillants. Néanmoins, s'ils autorisaient toute la production, tout irait bien. Sinon, il devrait savoir qu'il partait ouvertement en guerre contre le gouvernement.
À nouveau, il leur répondit qu'il allait se rendre à Moscou, auprès du dirigeant Kalinine pour lui expliquer qu'il était impossible de donner un certificat sur de la farine non cachère. S'ils voulaient le punir pour cela, ils en auraient la possibilité. Toutefois, donner un certificat sur de la farine non cachère pour la matsa est contraire à la loi juive et contre la volonté de D.ieu. Il ne donnerait donc pas son certificat et ferait tout son possible pour que tous sachent qu'il ne l'a pas fait.
Ils essayèrent à nouveau de le menacer, mais virent qu'ils ne parviendraient pas à changer son avis. Ils racontèrent cela à Kalinine ou à ses conseillers et ce dernier décida finalement que dans tout lieu où l'on prenait la farine pour la cuisson des matsot à Pessa'h, il devrait y avoir le certificat de cacherout pour Pessa'h et qu'il fallait permettre de placer des surveillants qui surveilleraient les endroits où l'on cuisait la farine.
Cette année et les années qui suivirent, partout, on cuisit des matsot cachères pour Pessa'h, sous l'ordre des autorités soviétiques.
Tout ceci enseigne à chacun d'entre nous, même aux enfants, que si l'on est ferme et qu'on affirme que cette fermeté est pour D.ieu qui a créé le Ciel et la Terre, et qu'un Juif ne doit rien faire contre Sa volonté et ne fera rien qui soit contraire à la loi juive et au Choul'hane Aroukh, même si le gouvernement lui-même dit le contraire, on obtiendra la réussite. Et plus encore, c'est le gouvernement lui-même qui a ordonné de placer partout des surveillants compétents. Ainsi, le blé a été moulu de façon cachère et conforme au Choul'hane Aroukh.
Bien entendu, tout le monde n'a pas cette force. Mais tout le monde n'a pas à faire face à un gouvernement dominant un pays de deux cents millions d'habitants. Ce que l'on doit faire, c'est seulement tenir fermement contre son propre mauvais penchant. Même si celui-ci tente de nous convaincre que les non-juifs ne permettront pas à un enfant juif de se comporter comme il se doit, il doit lui répondre qu'il s'agit là d'un mensonge grossier. Et puisque qu'il part avec la force de D.ieu qui se trouve au-dessus de lui, qui se tient à ses côtés et l'accompagne dans son combat contre tous les obstacles, il réussira finalement et obtiendra comme ces jours-là un Pessa'h cacher et joyeux.
Que nous ayons nous aussi à présent un Pessa'h cacher et joyeux, lorsque nous prenons la décision de nous conduire avec force et fermeté et il se dévoilera et sera visible que toute l'année sera cachère et joyeuse et toute l'année sera une année de délivrance rapide, la délivrance de Machia'h très bientôt et de nos jours. »
Toutefois, une des raisons pour lesquelles il fut arrêté et exilé fut d'avoir déclaré ouvertement en public une année, à la suite de problèmes dans la fabrication des Matsot, que celles vendues par le gouvernement devaient être considérées comme du véritable 'hamets, et qu'il était interdit à tout Juif d'en apporter chez lui.
Nombreuses sont les histoires qui, comme celles-ci, reflètent la personnalité exceptionnelle de Rabbi Lévi Its'hak. Il organisa des mariages, des brit-mila (circoncisions), il construisit des mikvés (bains rituels) dans le plus grand secret, malgré la menace des autorités. Chacun de ses actes comportait de terribles dangers. Les autorités l'espionnaient constamment et il risquait à tout moment de se faire arrêter.
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