Lorsque le « Baal HaTanya », Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi atteignit l’âge de treize ans1 , il fut nommé membre de la Hebra Kadicha2 de sa ville natale, Lyozna, à laquelle son père, Rabbi Baroukh, l’avait inscrit dès l’âge de cinq ans. Dans le répertoire de cette congrégation, son nom est accompagné du qualificatif « Tana Oufalig »3.

De nombreux grands érudits des villes de Vitebsk, Polotsk et Minsk se déplacèrent pour participer au banquet de sa Bar Mitsva. Cette célébration se prolongea durant sept jours, au cours desquels les convives échangèrent leurs points de vue sur différents passages talmudiques. Mais, malgré leur grande érudition, ceux-ci furent vivement impressionnés par la profondeur de l’approche qu’avait le jeune Chnéour Zalman des textes traditionnels et lui attribuèrent le titre de « Maître du judaïsme » qui fut rajouté sur le répertoire de la Hebra Kadicha.

Après le départ des invités, le Baal HaTanya, continua à échanger ses points de vue sur le Talmud et la loi juive avec les érudits par voie épistolaire. Rav Its’hak Eïzik, qui présidait le tribunal rabbinique de Vitebsk, raconta qu’il possédait trois volumes de lettres qu’avait envoyées le Baal HaTanya à cette époque qu’il avait retranscrites des archives de Rabbi Yéhouda Leib, frère du Baal HaTanya.

« Cet homme t’appartient, mais il devra venir à toi de lui-même sans que personne ne l’y pousse... »Lors de sa Bar Mitsva, le Baal HaTanya s’était lié d’amitié avec le frère de sa mère, Rav Yosseph Its’hak qui était renommé dans toute la région pour son érudition et que l’on surnommait le « Maître de Stareï ». Quelques jours après la fête, le Baal HaTanya se rendit chez son oncle pour quelques mois.

« Chaque instant de mon séjour chez mon oncle et maître, Rav Yosseph Its’hak, raconte le Baal HaTanya, me prodiguait un plaisir comparable à celui d’un jour de fête. Les explications de mon oncle sur les textes talmudiques aussi bien qu’ésotériques étaient d’une profondeur vertigineuse.

Jusqu’à ma rencontre avec mon maître, le Maguid de Mézéritch, je n’avais jamais vu un homme d’un tel niveau, dont la pensée et l’expression étaient d’une étonnante clarté et qui était capable d’analyser les passages les plus difficiles du Talmud avec une aisance déconcertante.

Pendant mon séjour chez lui, mon oncle m’expliquait de temps à autre un verset biblique, un récit talmudique ou midrashique à la lumière de la Kabbale ou de la ‘Hakira4 qui réveillaient l’âme et éclairaient le corps. Plus tard, j’appris que ces explications étaient, pour la plupart, des enseignements du Baal Chem Tov que mon oncle5 avait développés. »

Le Baal Chem Tov se dissimule à lui

Pour des raisons spirituelles, Rabbi Israël Baal Chem Tov dut cacher son existence au Baal HaTanya, ce qui lui causa beaucoup de peine.

Rabbi Baroukh désirait ardemment amener son fils, le Baal HaTanya chez son maître, le Baal Chem Tov. Celui-ci le lui interdit et mit aussi en garde son beau-frère, Rav Yosseph Its’hak, de ne jamais parler de lui ni du mouvement hassidique à son neveu, car, expliqua-t-il, le Baal HaTanya ne devait pas être son disciple, mais celui de son successeur.

Rav Yosseph Its’hak avait l’habitude de rendre visite à son maître chaque année ou chaque deux ans à l’occasion de la fête de Chavouot. À partir de l’année 5509 (1749), le Baal Chem Tov demanda à son disciple, lors de chacune de ses visites, un compte rendu détaillé sur son neveu. Il lui renouvelait de même sa mise en garde par rapport à son existence et celle du mouvement hassidique.

Rav Yosseph Its’hak rendit sa dernière visite au Baal Chem Tov à l’occasion de la fête de Chavouot de l’année 5520 (1760) (pendant le deuxième jour de laquelle le Baal Chem Tov quitta ce monde). Après la prière du Chabbat qui précédait la fête, le Baal Chem Tov s’adressa à son disciple et futur successeur, Rabbi Dov Ber, en présence de Rav Yosseph Its’hak et lui dit :

« Depuis le jour où une âme nouvelle devait descendre de sa demeure, aux plus hauts niveaux des mondes spirituels, dans ce bas-monde et que mon disciple Rabbi Baroukh et son épouse ont mérité que cette sainte âme habite le corps de leur fils Chnéour Zalman, j’ai donné toutes mes forces pour elle. Maintenant, cet homme t’appartient, mais il devra venir à toi de lui-même sans que personne ne l’y pousse. Lorsque qu’il viendra jusqu’à toi, sache à quelle sorte de disciple tu as affaire. Sache aussi qu’il te faudra le diriger avec une grande attention afin qu’il puisse réussir dans la mission qui lui a été confiée. »

En 5520, le Baal HaTanya ne savait encore rien sur le Baal Chem Tov. Ce n’est qu’au mois d’Eloul6 de cette année-là que Rav Yosseph Its’hak lui parla de son maître, de son enseignement et de l’école de pensée hassidique.

Un mariage engagé

Le renom du Baal HaTanya s’était répandu dans toute la région de Lyozna et Reb Yehouda Leib Segal, qui était un des notables de la ville de Vitebsk, le prit pour gendre.

Il avait été convenu, raconta la Rabbanit Rivka, mère du Baal HaTanya, que le mariage aurait lieu au mois d’Eloul de l’année 5519 (1758) mais le père du futur marié quitta la maison au début du mois et n’y revint qu’au début de l’année 5520. Le père de la fiancée demanda alors qu’il soit célébré en hiver, mais Rabbi Baroukh refusa. Après la fête de Pessa'h, celui-ci quitta de nouveau la maison pour y revenir au mois de Tammouz7. Il fixa alors le mariage à la veille du Chabbat qui suivait le 9 Av8. Le Baal HaTanya s’installa à Vitebsk où son beau-père subvint à ses besoins pour qu’il puisse s’adonner à l’étude du Talmud.

Le précédent Rabbi de Loubavitch raconte dans l’un de ses cahiers :

L’amour et la crainte de D.ieu doivent résulter d’un approfondissement sur Sa grandeur« Lorsque le Baal HaTanya dut se fiancer, il accepta la proposition de Reb Yéhouda Leib Segal à la condition que celui-ci mette à sa disposition une dote de cinq mille pièces d’or sans que Reb Yéhouda Leib n’intervienne dans leur utilisation. La première année après son mariage, il consacra cette somme, avec l’accord de son épouse la Rabbanit Sterna, à l’installation de familles qui voulaient retourner aux travaux de la terre. Grâce à cet argent, ces familles purent acquérir des terrains, des animaux, des outils et bâtir un moulin et des ateliers de tissage de la laine et du lin. D’importantes communautés se rassemblèrent alors à proximité de la ville de Vitebsk, tout au long de la rivière Dvina. De temps à autre, le Baal HaTanya prenait la parole en public pour inciter les juifs à abandonner les métiers de commerce vide de sens qu’ils exerçaient dans les villes pour retourner vers des activités rurales. De plus, il rendait régulièrement visite à ces communautés pour les stimuler à fixer des temps d’étude de la Bible, et des récits talmudiques qui pouvaient réveiller les cœurs des plus ignorants, incapables d’accéder à la profondeur des textes talmudiques. »

Le beau-père du Baal HaTanya était un descendant, à la huitième génération, du MaHaRIL Segal, qui était l’associé de Reb Tevil le donateur, fondateur de la communauté de Vitebsk. Son ancêtre avait fondé une fabrique de Vodka en Pologne qu’il avait léguée à sa descendance jusqu’à Reb Yéhouda Leib. Les activités commerciales de celui-ci, lui avaient permis de tisser un réseau de relations dans les sphères gouvernementales de la capitale et avec les nobles et les grands propriétaires terriens de Pologne. Lorsque le Baal HaTanya devint son gendre, sa renommée l’accompagna dans la région de Vitebsk et fut bientôt accrue par la sagacité d’esprit que celui-ci montra dans la résolution de deux problèmes scientifiques de haut niveau.

Lorsque le Baal HaTanya arriva à Vitebsk, il continua à consacrer du temps aux juifs les plus simples auxquels il apportait un soutien physique et moral. Comme nous l’avons dit, le Baal HaTanya avait consacré sa dote aux besoins des ignorants qui revenaient à la terre. Cette décision fut prise en réaction à l’attitude des érudits de Vitebsk qui rejetaient les ignorants en pensant qu’il était du devoir des érudits de se séparer de la masse populaire.

Premier contact avec le 'Hassidisme

Pendant deux ans, Rav Yosseph Its’hak, l’oncle du Baal HaTanya, lui enseigna les fondements de la pensée hassidique et la façon de prier selon les principes du hassidisme.

Rav Yosseph Its’hak cacha cependant au Baal HaTanya son appartenance à ce mouvement en tant que disciple de Rabbi Israël Baal Chem Tov, puis du Maguid de Mézéritch. C’est pourquoi il ne lui donna que les bases de leur enseignement sans les développer.

À cette époque, le Baal HaTanya possédait déjà une connaissance encyclopédique des livres du Talmud, de la Kabbale, ainsi que de ceux de recherche en métaphysique juive. Il s’approfondit alors sur les dissertations théologiques du RaMA9 et sur les ouvrages du MaHaRaL de Prague10, du Chneï Lou’hoth Haberith11 et d’autres encore. Ces nouvelles lectures ouvrirent son esprit sur une vision du monde qui portait déjà en elle les prémisses du hassidisme HaBaD.

« Lorsque je sus le but de ma venue dans ce monde, raconte le Baal HaTanya, les forces dont on m’avait doté et la grande responsabilité que l’on m’avait confiée, je choisis deux jeunes érudits de haut niveau avec lesquels j’appris les textes Kabbalistiques en plus du Talmud. Nous apprenions régulièrement la Kabbale et nous nous efforcions de nous comporter selon les enseignements du Chneï Lou’hot Haberith. » Durant les trois années pendant lesquelles le Baal HaTanya étudia avec ces jeunes gens, sa renommée alla en grandissant.

Pendant près de cinq ans (5518-5523/1758-1763), le Baal HaTanya développa une nouvelle école du service de D.ieu dont le principe était : l’amour et la crainte de D.ieu doivent résulter d’un approfondissement sur Sa grandeur. Cette connaissance doit être fondée sur le concept décrit par le verset : « Je verrai le divin à partir de ma chair »12, selon lequel la Création est une projection physique de processus divins. De ce fait, l’homme peut percevoir de façon directe ces processus à l’aide d’allégories et d’exemples matériels. D’autre part, l’homme peut acquérir une notion de la hauteur vertigineuse de l’Infini Divin grâce à sa connaissance des limites du monde physique et du système allégorique qui s’y rapporte, au-delà desquels se trouve l’inaccessible divin.

Un beau-père déconcerté

Dans la maison de son beau-père, le Baal HaTanya se renforça dans son étude du Talmud et, à l’âge de dix-huit ans, il avait déjà acquis une parfaite connaissance du compendium talmudique dans son intégralité et de tous les commentaires qui s’y rapporte, sans en omettre le moindre détail. De même, il s’adonnait à l’étude des textes kabbalistiques qui lui procuraient les bases de son service divin : il priait longuement et avec ferveur et se comportait selon les enseignements du Chneï Lou’hoth Haberith.

Toutefois, un tel comportement, dans un environnement où l’étude et le savoir étaient les seuls critères de grandeur, parut plus qu’étrange aux yeux de son beau-père. Il lui sembla que son gendre n’était plus en pleine possession de ses moyens psychiques. Aussi demanda-t-il à sa fille, la Rabbanit Sterna, d’accepter de divorcer. Celle-ci refusa catégoriquement et son attitude provoqua un durcissement de ses parents à son égard et à l’égard de son époux. Plus d’une fois, on priva son mari de bougies et celui-ci dut étudier à la lumière de la lune, dans un froid glacial, pendant de longues nuits d’hiver. On le priva aussi de nourriture pour le convaincre de quitter son épouse, mais toutes ces persécutions furent vaines. Bien au contraire, le Baal HaTanya se renforça dans son service divin et son épouse, qui endura, elle aussi, de grandes souffrances, resta sur ses positions et refusa de se séparer de lui.