Lorsque le Baal Hatanya revint de Mézéritch, il se mit à diffuser les enseignements du Baal Chem Tov et sa nouvelle façon d’aborder le service de D.ieu, fondée, en particulier, sur la ferveur dans la prière. Son discours était alors déjà fondé sur l’approche intellectuelle du 'Hassidisme et fit une grande impression sur les érudits de Vitebsk. Les plus anciens des disciples du Gaon de Vilna1 déléguèrent quelques-uns des maîtres talmudiques de Vitebsk auprès du Gaon pour l’informer du fait que le « génie de Lyozna » était devenu un disciple du Maguid de Mézéritch, qu’il diffusait les enseignements du Baal Chem Tov et de son successeur et que ses paroles trouvaient écho auprès des jeunes érudits de leur ville. De plus, il se montrait très proche des Juifs les plus simples et des ignorants. Le Gaon de Vilna répondit alors qu’il ne s’occupait pas  des choses cachées.

Le Baal Hatanya fit savoir au tribunal rabbinique de Vitebsk qu’il était prêt à participer à une controverse sur l’école du Baal Chem Tov et de son successeur, qui était devenu son maître. Il affirma que les maîtres du 'Hassidisme avaient été injustement condamnés en l’année 5517 (1757) et que la sentence qui avait été prononcée à leur égard allait contre les fondements même de la loi juive. Le tribunal rabbinique examina longuement sa proposition, en collaboration avec les plus grands érudits de la ville, avant de prendre une décision. Il accepta finalement d’écouter les arguments du « gendre du Ril2 Ségal » – c’est ainsi que l’on désignait le Baal Hatanya à Vitebsk – car, à son avis, il ne faisait que se vanter de ses connaissances.

Après une discussion publique qui dura près d’une semaine, pendant laquelle le Baal Hatanya défendit brillamment les points de vue du Baal Chem Tov et du Maguid de Mézéritch, une grande querelle éclata dans les rangs des grands de Vitebsk. Certains d’entre eux furent convaincus par ses paroles et se rangèrent à son avis alors que d’autres continuèrent à soutenir que le 'Hassidisme restait condamnable. Une grande partie des jeunes érudits de Vitebsk le suivirent et fixèrent des temps d’étude avec lui.

Les parents de ces jeunes érudits, ainsi que leurs beaux-parents et les autres membres de leur famille, utilisèrent tous les moyens de pression pour les détacher de cette influence néfaste à leurs yeux, mais, plus ils les persécutaient, plus ceux-ci s’attachaient à leur nouveau maître et à son enseignement. Devant leur impuissance, ils demandèrent aux autorités civiles de chasser le gendre du Ril Ségal de la ville de Vitebsk. Mais les questions scientifiques que celui-ci avait résolues par le passé3 l’avaient grandi à leurs yeux et ils ne donnèrent aucune suite à leur requête.

Un engagement social

Lorsque le Baal Hatanya était à Vitebsk, il mena une grande action en faveur du retour des Juifs à la terre. Lorsque la Tsarine Catherine II donna officiellement la permission aux Juifs de s’installer à Riga (en 5524-1764) puis, dans les villes voisines (en 5529-1769), le Baal Hatanya mena une grande campagne pour que les Juifs puissent s’établir dans des propriétés rurales, dans des forêts ou prennent la gestion d’auberges qui se trouvaient dans des carrefours routiers. Sous ses conseils, de nombreux Juifs se consacrèrent à l’exploitation des forêts dont ils acheminaient le bois par voie fluviale sur la Dvina jusqu’à Riga qui était alors une plate-forme du commerce avec la Pologne et l’Allemagne.

Le Baal Hatanya avait ramené ses points de vue de Mézéritch, où il avait appris combien le Baal Chem Tov tenait au retour des Juifs vers les travaux des champs, à l’élevage, à la pisciculture et à l’artisanat afin d’améliorer leurs conditions de vie. Sur le chemin de son retour à Vitebsk, il avait rendu visite à plusieurs communautés pour les exhorter et les aider à agir dans ce sens. Dans chaque village qu’il visitait, il s’intéressait à la situation morale et religieuse des Juifs ainsi qu’à l’éducation de leurs enfants. Il en profitait aussi pour pousser les érudits à prodiguer de leurs connaissances aux Juifs les plus simples.

Toutefois, Le Baal Hatanya ne se contenta pas d’exhorter les Juifs au retour à la terre. Il s’intéressa aussi à la situation de leur commerce. À cette époque, le commerce était considéré comme une activité secondaire et, à son grand regret, beaucoup de Juifs en tiraient leur subsistance. Cela était devenu un prétexte pour les dirigeants de la Russie pour mépriser les Juifs dont les seules occupations étaient le commerce et le courtage qu’ils considéraient comme des activités dénuées d’intérêt. Cependant, comme il était utopique de reconvertir tous les Juifs vers des activités rurales ou artisanales en une fois, le Baal Hatanya apporta aussi son aide à ceux qui pratiquaient le commerce avec honnêteté et surtout à ceux qui tiraient leur gagne-pain du travail de leurs mains.

Retour à Mézéritch

Le Baal Hatanya resta un temps relativement court à Vitebsk. Il retourna dès qu’il put à Mézéritch, chez son maître, le Maguid.

En chemin, il rendit visite à Rabbi Pin’has de Koritz, qui était lui-même un ancien disciple du Baal Chem Tov. Celui-ci le reçut chaleureusement et lui proposa de devenir son disciple, en lui assurant qu’auprès de lui, il pourrait apprendre le langage des oiseaux, des arbres, connaître les secrets de la Création et savoir se diriger dans les sphères célestes. Le Baal Hatanya lui répondit : « Ce que l’homme a l’obligation de connaître est l’unité et l’unicité de D.ieu et cela, on l’apprend parfaitement bien à Mézéritch. »

Lorsque le Baal Hatanya arriva à Mézéritch, le Maguid lui dit : « Rabbi Pin’has a voulu t’enseigner le langage des oiseaux et d’autres choses encore, mais moi, je t’enseignerai les notions d’unité supérieure et inférieure du Divin. »

L’un des petits-fils du Baal Hatanya raconta qu’un jour, lors d’un voyage du Baal Hatanya avec son petit-fils, le Tsémah Tsédek, qui était alors un jeune enfant, les oiseaux gazouillaient en tournoyant dans le ciel. Le Baal Hatanya sortit alors sa tête du carrosse et affirma à son petit-fils que le gazouillement des oiseaux était en fait leur langage et qu’ils possédaient un véritable alphabet que celui dont les sens étaient suffisamment développés pouvait arriver à saisir.

Rencontre avec des grands

Un jour, le gendre du Baal Chem Tov, qui se nommait Rabbi Yé’hiel, rendit visite au Maguid de Mézéritch. Celui-ci était le père de Rabbi Baroukh de Médzibodz4 et de Rabbi Moché Haïm Éphraïm, auteur du livre intitulé : « Ma’hané Éphraïm » (le camp d’Éphraïm).

Sa visite eut lieu aux environs de la fête de Pourim5 et, à l’occasion de cette fête, Rabbi Yé’hiel dressa sa propre table, indépendamment de celle du Maguid. Celui-ci demanda alors au Baal Hatanya d’honorer Rabbi Yé’hiel par sa présence à sa table. Pendant le repas, Rabbi Yé’hiel lui répéta un commentaire de son beau-père sur lequel le Baal Hatanya fonda, par la suite, l’une de ses dissertations hassidiques sur la fête de Pourim6.

Un autre jour, Rabbi Meikhel de Zolotchov arriva à Mézéritch et le Maguid envoya le Baal Hatanya à sa table. Celui-ci s’exécuta à contrecœur car il ne pouvait assister, en ces occasions, aux discours que son maître prononçait à sa propre table. Cette fois-ci, il fut enchanté de sa rencontre avec Rabbi Meikhel car il avait beaucoup appris de lui.

Entre autres, Rabbi Meikhel lui avait enseigné un chant du Baal Chem Tov que le Baal Hatanya légua à ses hassidim. De plus, le Baal Hatanya a appris de Rabbi Meikhel l’importance des prodiges réalisés par un maître hassidique. En effet, avait expliqué un jour le Baal Hatanya, chez mon maître, le Maguid, nous puisions la divinité à pleins seaux, mais les prodiges restaient sous les bancs et personne n’avait le temps de les ramasser. Lorsque le Baal Hatanya prit la charge d’une école hassidique, il comprit, grâce à l’enseignement de Rabbi Meikhel, qu’un Rabbi avait aussi besoin de faire des prodiges pour s’imposer.

Le Choul'hane Aroukh HaRav

À cette époque, le Maguid de Mézéritch confia au Baal Hatanya la charge de rédiger un nouveau code de loi juive7 qui présenterait, par rapport à ses prédécesseurs, la particularité de donner, en plus de l’énoncé des lois, leurs raisons.

Les motivations du Maguid de Mézéritch apparaissent dans la préface des fils du Baal Hatanya au livre de leur père :

« Lorsqu’il se trouvait encore là-bas, à Mézéritch, l’esprit de divination de notre saint maître, le Maguid, se réveilla et, comme D.ieu avait posé Sa main sur lui, il sut – et le Ciel se rangea à son avis – comment faire du bien au peuple juif par les paroles de l’Alliance que représente la partie de notre Connaissance révélée à nous et à nos enfants8 etc... car il est du devoir de chaque Juif de connaître les six cent treize commandements divins ainsi que leur sens. Mais, comme les besoins des Juifs sont nombreux, en particulier, en ces temps difficiles où chacun doit investir toutes ses forces pour subvenir à ses besoins et, de ce fait, tous n’ont pas le loisir de prendre le temps de plonger dans l’océan du Talmud et des décisionnaires pour s’y approfondir afin de connaître les lois et toutes leurs implications ainsi que leurs raisons.

C’est pour cela que le Ciel fut en accord avec le saint maître mentionné plus haut, le Maguid de Mézéritch, pour chercher avec soin parmi ses disciples un homme inspiré par D.ieu pour comprendre et enseigner la loi juive avec clarté, qui s’investit dans l’étude pour en déduire la loi avec ses raisons. Celui-ci assumerait la tâche de rédiger un code de loi juive comprenant les sections Ora’h Haïm9 et Yoré Déah10 dont les sujets trouvent leur application dans la vie quotidienne, de mettre en ordre toutes les lois contenues dans le code de loi juive classique et dans ses derniers11 commentaires dans un langage clair en y adjoignant les raisons.

Il choisit alors notre respecté père et maître qui avait déjà, à son époque, une connaissance débordante de l’océan du Talmud et des décisionnaires. Il le pria, avec une insistance presque gênante, d’accepter cette mission, affirmant que nul n’était aussi compétent que lui pour arriver jusqu’aux profondeurs de la loi afin d’accomplir cette sainte tâche, à savoir, de mettre à jour la quintessence des raisons des lois mentionnées dans les ouvrages des premiers et derniers commentateurs du Talmud, qui demandent d’être revues quatorze fois avant d’être assimilées sans erreur aucune et, d’autre part, les différentes résolutions qui ressortent des paroles des décisionnaires jusqu’aux maîtres de notre époque.

Il commença son œuvre alors qu’il se trouvait dans le lieu où résidait le saint maître cité précédemment pour y puiser la sagesse. Là-bas, il commença à expliquer les lois sur les Tsitsith12 ainsi que celles sur la Pâque juive. Il les acheva sur place et, lorsqu’arrivèrent les maîtres renommés pour leur érudition hors du commun, Rav Schmelke et son frère Rav Pin’has (auteur du commentaire sur le Talmud intitulé « Séfer Hahaflaa »), sur leur chemin vers les villes de Nicolsburg et de Francfort, en Allemagne, dont ils devaient prendre la responsabilité religieuse, les écrits de notre père parvinrent jusqu’à leurs mains. Ils ne tarirent pas d’éloges à leur propos et encouragèrent notre père avec enthousiasme, affirmant qu’il était l’homme de la situation et que le mérite de la Torah resterait à ses côtés, aux côtés de sa descendance et du peuple juif tout entier.

En deux ans à peine, il avait terminé le recueil de lois sur le Ora’h ‘Haïm, constitué de deux tables, l’une intérieure, l’autre extérieure. L’intérieur était constitué des lois et de leurs raisons, énoncées dans un style clair et limpide et fondées sur les avis de tous les premiers et derniers décisionnaires avec le Maguen Avraham13 à leur tête. Il n’eut pas l’effronterie de s’opposer à eux, il ne fit que trancher parmi leurs différents points de vue en apportant de justes preuves qui témoigneront d’elles-mêmes. L’extérieur est une sagesse contenue dans la seconde table, appelée « Kountrass A’haron »14. Ce recueil est une analyse réservée aux érudits.

Il en fit de même pour les lois indispensables à chacun contenues dans les autres parties du code de loi juive. Il les a rassemblées l’une après l’autre, comme il l’avait fait pour le Ora’h ‘Haïm...

Après de nombreuses années, alors qu’il avait ajouté des merveilles de sagesse à sa sagesse, à sa puissance d’analyse et à son érudition, à l’âge d’environ trente ans, il avait revu tout le Talmud avec ses premiers et derniers commentaires seize fois consécutives. Comme nous l’avons entendu de sa sainte bouche, il se trouvait dans la communauté de Mohilov, au bord du fleuve Dniestr (en 5537 (1777)), lorsqu’il passa en revue le Talmud pour la seizième fois, en s’y consacrant jour et nuit sans relâche. Tous ont pu voir et entendre les clairs enseignements talmudiques dispensés par sa bouche, pareils au jour où ils ont été donnés par D.ieu. Il étudia la Torah, il réfléchit par sa sagesse et acquit la pratique des lois. Il commença alors à corriger et renouveler son œuvre, en commençant par le Ora’h ‘Haïm... Au cours du temps, il se renforça dans sa lutte pour la Torah et il acquit une érudition comparable à celle de l’un des premiers grands commentateurs, comme tous ceux qui ont des yeux pour voir et un cœur pour comprendre un peu, une goutte dans l’océan de sa sagesse, de la faculté d’analyse et de l’érudition dont il fait preuve dans son « Kountrass A’haron »... »

En 5554 (1794), le Baal Hatanya fit imprimer son recueil de lois sur l’étude de la Torah, préfacé par Rav ‘Hanokh Henikh Schick de Chaklov. Après sa disparition, ses fils firent imprimer, avec l’aide de Rav Pin’has Reizes, fils de Rav ‘Hanokh Henikh Schick, ce qu’il restait du code de loi juive écrit par leur père car une grande partie de ses écrits avaient disparus dans des incendies de son vivant. Seuls restaient la quasi-totalité du Ora’h ‘Haïm et quelques chapitres du Yoré Déa, se rapportant aux lois sur l’abattage rituel des animaux, sur l’interdiction de prêt à intérêt ainsi que la majorité des lois sur la pureté familiale. Ils y inclurent aussi les lois sur l’étude de la Torah qui avaient déjà été imprimées du vivant de leur père. À leur préface citée plus haut, son fils et successeur, l’Admour Haemtsaï, ajouta une préface dans laquelle il demandait à chaque communauté de fixer un temps d’étude de ce code de lois car tel était le désir profond du Baal Hatanya, qui voulait que chacun puisse connaître les lois et leurs raisons.

Le Baal Hatanya avait aussi commencé à rédiger une seconde version de son code de lois, dans laquelle il tenait compte de l’avis des kabbalistes, mais quatre chapitres seulement de cette version nous sont restés et ils furent inclus dans l’édition de son code de loi juive.

Une deuxième édition parut en 5607 (1847). Celle-ci, dirigée par son fils, Rav ‘Haïm Avraham, fut enrichie d’un certain nombre de choses, telles que les références aux décisionnaires pour plus de soixante chapitres de lois sur le Chabbat, qui avaient été retrouvés ultérieurement dans des manuscrits.

Le code de loi juive du Baal Hatanya fut édité à de nombreuses reprises et fut accueilli avec respect dans tout le monde juif. Même des décisionnaires orientaux tels que le Ben Ich ‘Haï, Rav de la communauté irakienne au début de ce siècle, y font systématiquement référence.