Après la fête de Pessa'h qui suivit son vingtième anniversaire, le Baal Hatanya décida, avec l’accord de son épouse, de se rendre en un lieu où il pourrait parfaire ses connaissances et son service de D.ieu.

« Je me suis demandé, raconta plus tard le Baal Hatanya, où je devais me diriger mais je ne pouvais me décider.

Mon frère, Rabbi Yéhouda Leib, qui était un homme clairvoyant, me conseilla d’aller à Mézéritch. Je savais qu’à Vilna on pouvait apprendre à étudier et à Mézéritch, à prier. Étudier, je savais quelque peu mais je ne connaissais pratiquement rien de la prière. Je partis donc à Mézéritch. »

Comme nous l’avons dit plus haut, ce voyage fut entrepris avec la bénédiction de son épouse, mais celle-ci mit cependant la condition de ne pas la quitter plus de dix-huit mois. Elle se procura la somme de trente roubles d’argent qui lui permit d’acquérir un cheval et un carrosse. Le Baal Hatanya entreprit donc ce voyage en compagnie de son frère.

Lorsqu’ils atteignirent Arsha, sur leur route, le cheval mourut. Le Baal Hatanya mit immédiatement cet événement en relation avec le fait que son frère n’avait pas demandé à son épouse la permission d’entreprendre ce voyage. Il lui dit alors : « Il semble que tu ne doives pas poursuivre ce voyage. Retourne donc chez toi et je me rendrai seul à Mézéritch. De tout ce que j’y apprendrai, je te réserverai une part ». Puis il continua sa route à pied.

Rencontre avec le Maguid de Mézéritch

Le Baal Hatanya raconte :

« Un jour où j’enseignais le Chneï Lou’hoth Haberith à mes disciples, étude à laquelle je consacrais plus d’une heure chaque jour, je me mis à penser que je devrais m’exiler, comme c’était alors la coutume des érudits.

A cette époque, deux villes avaient acquis une grande renommée auprès des érudits. La première était Vilna qui se distinguait par son étude et ses maîtres à la tête desquels se trouvait Rabbi Elyahou, le Gaon de Vilna. La seconde était Mézéritch, en Wohlynie. Je donnai donc des directives aux disciples pour leur étude du Chneï Louhoth Habérith pendant mon absence et je me préparai à partir, après réflexion, en direction de Mézéritch. Je me dis : je sais mieux étudier que prier.

Les premiers jours après mon arrivée, je vis le Maguid et ses disciples consacrer la majorité de la journée et de la nuit au service de D.ieu par la prière. Les trois prières étaient précédées de longs préparatifs et suivies d’une reprise de conscience du monde ici-bas. On se préparait, de même à la lecture du Chéma1 avant le coucher et au Tikoun ‘Hatsoth2.

Quant à moi, mon service de D.ieu fondé sur le rituel du Ari ZaL3 avec les commentaires du Chneï Louhoth Habérith, était limité dans le temps, aussi bien les jours de semaine que les jours de fête ou le Chabbat. La plus grande partie de mon temps, je m’efforçais d’acquérir des connaissances talmudiques, juridiques, kabbalistiques et philosophiques. Et bien que le service de D.ieu du Maguid et des plus vieux de ses disciples m’ait impressionné, je décidai de retourner chez moi pour me consacrer à mon étude des parties exotériques et ésotériques du Judaïsme avec plus d’assiduité encore.

Lorsque je pris le chemin du retour, je me rappelai que j’avais oublié un objet qui m’appartenait dans la salle d’étude et je retournai sur mes pas pour le récupérer. Lorsque j’entrai dans la salle, je trouvai le Maguid occupé à résoudre un problème qui se posait sur le poumon d’un animal abattu rituellement qui lui avait été soumis4. Je prêtai l’oreille aux arguments développés par le Maguid sur cette question et je fus impressionné par leur profondeur et le niveau d’érudition qu’il montrait sur le sujet. Cet événement me fit revenir sur ma décision et je résolus de rester encore quelques jours à Mézéritch ».

C’est alors que le Maguid révéla au Baal Hatanya que son maître, Rabbi Israël Baal Chem Tov5, lui avait dit au nom de son maître, A'hya HaChiloni6, qu’un jour viendrait où se présenterait à lui le fils de Rabbi Baroukh, qui était un de ses disciples.

Ce fils, qui possédait une âme nouvelle et se nommait Rabbi Chnéour Zalman, repartirait puis reviendrait vers lui et le prendrait comme maître. Alors, le Maguid devrait lui dévoiler qui il était vraiment et que sa mission consistait à enseigner les chemins du 'Hassidisme. Et même si cette tâche devait présenter certains dangers au début, il « finirait par s’élever très haut ».

« Mon Maître et moi-même, ajouta le Baal Chem Tov, prierons pour lui et pour ceux qui s’attacheront à lui dans toutes les générations jusqu’à l’avènement des temps messianiques. »

En entendant ces paroles le Baal Hatanya se mit à trembler de tous les membres et des larmes coulèrent de ses yeux.

Les récits des vieux 'hassidim

« Lorsque je me rendis pour la première fois chez mon maître à Mézéritch, raconta le Baal Hatanya, je trouvai là-bas plus d’une vingtaine de Juifs qui avaient connu les justes cachés7 de l’époque antérieure au Baal Chem Tov. Ces vieux 'hassidim rapportaient les faits et les comportements du Baal Chem Tov alors qu’il n’était encore qu’un juste caché. Je reconnus l’un de ces anciens 'hassidim du nom de Rabbi Yossef Méir. Celui-ci était réputé pour son hospitalité et, lorsqu’il rendait visite à mon père, tous lui témoignaient un grand respect.

Lorsque je vins à Mézéritch et que je décidai de rester un certain temps auprès du Maguid, Reb Yossef Méir prononça la bénédiction sur les heureuses nouvelles car il avait eu le mérite de voir de ses yeux se réaliser ce que le Baal Chem Tov avait révélé à quelques-uns de ses proches disciples sur le rôle que j’aurais à jouer dans le mouvement 'hassidique.

Reb Yossef Méir et les autres anciens, se montrèrent très proches de moi. Ils me firent des récits sur la confrérie des justes cachés. Reb Baroukh Moché, Reb Aaron Beinish, Reb Moché Its’hak et Reb Chlomo Its’hak en particulier étaient des conteurs d’une grande rigueur qui avaient connu Rabbi Eliézer, le père du Baal Chem Tov, alors qu’ils étaient encore enfants.

Les nuits ne me suffisaient pas pour consigner par écrit ce que j’entendais pendant les journées. Je mettais un point d’honneur à rédiger les récits que j’avais écoutés de la bouche de mon maître, de celle de son fils et de tous ses disciples. La plupart de ces  récits parlaient des débuts du 'Hassidisme et chaque fait qui y était relaté contenait des trésors d’enseignements pour le service de D.ieu. »

Plusieurs volumes d’archives écrites par lui-même ou récupérées auprès des disciples du Maguid se trouvaient en possession du Baal Hatanya. Malheureusement, la plupart de ces archives, une vingtaine de volumes reliés et une dizaine de sacs de documents non triées furent la proie des flammes lors de l’incendie qui ravagea la ville de Lyadi en 5570 (1810) alors que le Baal Hatanya se trouvait à Berditchev. La plupart de ces documents avaient été écrits ou recopiés de sa propre main. Les trois-quarts du code de loi juive que le Baal Hatanya avait rédigé à la demande de son maître disparurent dans cet incendie eux aussi.

Étude avec Rabbi Avraham “l'Ange”

Le Maguid se montra très proche du Baal Hatanya lors de son séjour à Mézéritch. Il lui fixa, entre autres, un temps d’étude avec son fils Abraham (surnommé par les 'hassidim polonais « HaMalakh - l’ange » et « HaKadoche - le saint » par les 'hassidim de Russie), qui était un grand érudit tant en matière talmudique qu’ésotérique. Leur étude se divisait en trois heures où le Baal Hatanya enseignait le Talmud à Rabbi Abraham et trois heures où Rabbi Abraham lui prodiguait à son tour ses connaissances 'hassidiques. Souvent, le Baal Hatanya reculait en cachette les aiguilles de la montre pour prolonger le temps d’enseignement de Rabbi Abraham.

De temps à autre, le Maguid enseignait lui-même à son fils et laissait le Baal Hatanya se joindre à eux, ce qui permit au Baal Hatanya d’acquérir une solide connaissance en matière de pensée 'hassidique.

Au service du Maguid

« Lorsque je vins à Mézéritch, raconta un jour le Baal Hatanya à son petit-fils, le Tséma’h Tsédek8, j’ai plus acquis de connaissance par la négative que par l’affirmative.

En effet, chacun des disciples du Maguid faisaient un roulement mensuel pour servir leur maître, selon ses instructions. J’eus moi-même le mérite de faire partie de ces disciples dès mon arrivée. Au bout de deux semaines, alors que j’étais devenu familier à la maison de mon maître puisque j’étudiais chaque jour avec son fils, je remarquai que les jeudis et vendredis, les disciples qui étaient de faction étaient trop préoccupés par les préparatifs du Chabbat pour servir le Maguid. De ce fait, je les remplaçais dans cette fonction et me trouvais ainsi dans la chambre même de mon maître.

La première fois, mon maître refusa que je le serve mais, devant mon insistance, il finit par accepter et ce service devint habituel.

Un vendredi, le Maguid m’appela dans sa chambre et me demanda quelle sorte d’invités étaient arrivés pour passer Chabbat avec lui et quel genre de discours leur conviendrait.

Il prononça devant moi un premier discours et je lui dis que de telles paroles seraient difficilement perçues par ces invités. Il prononça alors un second, puis un troisième, puis un quatrième discours et c’est seulement le cinquième qui trouva grâce à mes yeux. Depuis, mon maître me demanda régulièrement mon avis et cela me permit d’enrichir mes connaissances de ses discours potentiels. »

Le plus jeune et le plus érudit

Aux yeux des disciples du Maguid, qui étaient de grands érudits dont certains étaient déjà des maîtres de l’époque, le Baal Hatanya, qui était bien plus jeune qu’eux, se présentait comme un jeune homme droit et doté de qualités de cœur et d’esprit, mais sans plus.

De ce fait, les plus vieux disciples du Maguid n’hésitaient pas à le charger de différentes courses que le Baal Hatanya exécutait avec la plus grande joie car, se disait-il, il servait ainsi des érudits, ce qui constitue, selon nos sages, une préparation à l’acquisition des connaissances du Judaïsme.

Un jour, le Maguid prononça devant ses disciples un discours difficile à saisir de par sa profondeur. Ceux-ci lui demandèrent alors de bien vouloir le répéter afin qu’ils le comprennent. Le Maguid leur répondit: « Demandez en mon nom au jeune Chnéour Zalman de vous l’expliquer. »

Cette affirmation de leur maître étonna les disciples au plus haut point. Ils se rendirent donc auprès du Baal Hatanya et lui firent part de la demande du Maguid.

Le Baal Hatanya fut très gêné par cette requête. Il savait que, s’il révélait sa grande érudition aux disciples, ceux-ci ne lui demanderaient plus aucun service, ce qui le priverait de son mérite. Cependant, il s’agissait d’un ordre de son maître auquel il aurait du mal à se soustraire. Il s’accorda donc une journée de réflexion et les pria de revenir le lendemain. Sa décision fut d’accomplir les paroles de son maître et lorsque ses condisciples se présentèrent devant lui le jour suivant, il leur expliqua le sens du discours du Maguid avec une aisance et une clarté déconcertantes. Depuis, les autres disciples montrèrent à son égard le plus grand respect. Ils n’osèrent plus se servir de lui comme ils le faisaient auparavant.

Un jour, Rav Pin’has et Rav Schlemke, qui dirigeaient les communautés de Nicholsburg et de Francfort, durent s’en retourner chez eux. Avant de prendre la route, ils allèrent, comme de coutume, prendre congé de leur maître et profitèrent de cette occasion pour lui poser deux questions : la première portait sur un sujet difficile développé dans le Zohar et la deuxième était : qui est réellement le Baal Hatanya ? Le Maguid affirma qu’il était bien plus difficile de répondre à la seconde question qu’à la première et, en fait, leur seconde question resta sans réponse.

Le Baal Hatanya respecta la condition mise par sa femme sur son séjour à Mézéritch et, au bout de dix-huit mois, il revint chez lui pour quelques temps. Sur le chemin du retour vers Vitebsk, il en profita pour diffuser dans les communautés où il passait l’existence de son maître, sa grandeur spirituelle et son érudition hors du commun.

Outre les trésors de connaissance et de spiritualité qu’il rapportait de son premier séjour à Mézéritch, le Baal Hatanya avait entendu de son maître ce que le Baal Chem Tov lui avait révélé :

  • Son âme provenait du monde d’Atsilout9.
  • Elle était descendue dans ce bas monde pour y révéler une forme intellectuelle de la pensée 'hassidique.
  • Le déclenchement des facultés intellectuelles pouvait se faire par une mélodie qui élevait l’homme vers D.ieu puis amenait le divin ici-bas.

Le Baal Hatanya reçut du Maguid de Mézéritch tous les concepts et les comportement que le Baal Chem Tov avait développés à propos de l’amour du prochain. Du Maguid lui-même, il apprit la façon d’arriver à un véritable amour de D.ieu ainsi qu’à un puissant amour de la Torah10.