Bien avant son arrestation à l’été 1927, les autorités soviétiques surveillaient de près les activités « contre-révolutionnaires » du sixième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, attendant l’occasion de se jeter sur leur proie. Souvent, le Rabbi devait quitter sa résidence de Leningrad et échapper aux sbires du Parti jusqu’à ce que le danger passe. À l’une de ces occasions, alors qu’il passait un Chabbat à Niskina, dans la banlieue de Moscou, il raconta l’incident suivant, survenu à l’époque de l’« ancien » régime tsariste :
Le « Mouvement des Lumières », dans sa guerre contre la vie juive traditionnelle, complotait une fois de plus pour obtenir l’aide du gouvernement tsariste afin d’atteindre ses objectifs. À la tête de ces efforts se trouvait un certain M. Karpos que les autorités avaient installé comme rabbin à Odessa. Il avait préparé une thèse volumineuse « prouvant » que la religion était l’ennemi numéro un de la civilisation et avait conclu en recommandant que l’étude de la Kabbale et d’autres fondements du judaïsme soient interdits. Il s’était ensuite rendu à Pétersbourg pour présenter ses « conclusions » au gouvernement.
Mon père fut informé de ces développements et m’envoya à Pétersbourg pour m’occuper de cette affaire. Le but du voyage fut gardé secret : j’ai voyagé avec ma femme, et nous avons fait savoir que nous étions partis pour une consultation médicale.
Après plusieurs jours à Pétersbourg, je n’avais fait aucun progrès ; toutes mes relations et tous mes efforts n’avaient servi à rien. J’ai informé père par télégramme que tous mes efforts pour arrêter Karpos avaient échoué. Père m’a répondu que je devais continuer à essayer.
Après plusieurs jours sans résultats, j’ai pris le train pour rentrer chez moi et informer personnellement père du caractère désespéré de la situation. Lorsque je suis entré dans son bureau, père se préparait pour la prière du matin ; son talith plié était sur son épaule et il examinait ses tsitsit. J’ai relaté les événements et les efforts infructueux des derniers jours, et j’ai conclu que, selon moi, il n’y avait absolument rien à faire pour remédier à la situation.
Père dit alors : « Une fois, Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi envoya son fils, Rabbi DovBer, pour une certaine mission. Rabbi DovBer revint les mains vides. Lorsqu’il arriva, il trouva son père avec son talith plié sur son épaule, vérifiant ses tsitsit en préparation de la prière du matin.
Rabbi Chnéour Zalman dit : “Tu vois ? Ceci est un talith. Le talith représente le niveau du Or Makif (‘Lumière Transcendante’), et la Lumière Transcendante aveugle toutes les forces du mal.” Entendant cela, Rabbi DovBer embrassa les tsitsit de son père et repartit. Cette fois, il réussit. »
Sans un mot de plus, j’ai pris les tsitsit de père, je les ai embrassés et j’ai pris le prochain train pour retourner à Pétersbourg. De nouveau, j’ai commencé à me creuser les méninges et à faire mes rondes. Puis, j’ai eu une idée. Je suis allé à l’hôtel de Karpos et j’ai demandé à le voir.
Karpos me reçut chaleureusement – il semble qu’il avait entendu parler de moi ou de mon père. Nous nous sommes assis et avons discuté, et j’ai abordé le sujet de sa thèse. Il parla volontiers de ses projets. « Bientôt, nous verrons qui l’emportera, lança-t-il. Bientôt, nous, les hommes des Lumières, débarrasserons le peuple juif de vos notions et pratiques archaïques. »
« J’ai déjà préparé tout le matériel, continua-t-il à se vanter. Il ne me reste plus qu’à apporter quelques touches finales et il sera prêt à être soumis. La Commission Ministérielle de la Culture et des Religions de notre tsar doit examiner la question dans quelques jours. Une fois pour toutes, nous ferons valoir nos arguments ! »
– Puis-je voir ce que vous avez écrit ?, ai-je demandé.
– Mais bien sûr. Je n’ai rien à cacher. Dans quelques jours, tout sera décidé, dit le calomniateur prétentieux en me tendant son manuscrit.
Sans un mot, j’ai commencé à déchirer la dissertation en lambeaux.
Karpos explosa de rage. « Mais que faites-vous ? Mes conférences ! Mes notes ! Savez-vous combien de mois de recherche et d’écriture sont investis dans ces documents ?! » J’ai continué à déchirer le manuscrit en petits morceaux de papier. Pendant ce temps, il continuait à hurler de rage, à me maudire et à me railler. Dans sa fureur, il m’asséna un coup retentissant au visage.
Quand j’en eus fini avec ses papiers, je me suis enfui de l’hôtel et suis retourné à Loubavitch.
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