Mon mari étant en Chiva – les sept jours de deuil – pour sa mère à Lakewood, New Jersey, en 5766 (2006), lorsqu’il fut approché un matin après la prière par un vieux monsieur. « Je vois que vous êtes un ‘hassid Loubavitch. Puis-je vous raconter une histoire qui m’est arrivée avec le Rabbi précédent ? »

Je m’appelle Mordechai Grunwald. J’ai grandi en Hongrie, dans la ville de Munkatch (Munkacz). Bien qu’il ne s’y trouvât pas de ‘hassidim Loubavitch, je connaissais et respectais Loubavitch car mon Rabbi – le saint Rabbi de Munkatch – avait un très grand respect pour le Baal HaTanya et les autres Rabbis de ‘Habad.

Je ne me suis pas trempé dans de l’eau – mais je me suis trempé dans le feu...

J’ai survécu à la Guerre et à toutes ses horreurs, y compris à un séjour à Auschwitz. Après la guerre, je me suis retrouvé dans un camp de réfugiés, je me suis marié et j’ai eu un enfant. En 1949, grâce aux services du HIAS, j’ai réussi à venir aux États-Unis. On nous donna une chambre dans un hôtel de Manhattan, avec d’autres familles d’immigrants juifs. Nous étions heureux d’être là, mais c’était très difficile pour nous, avec notre maigre connaissance de l’anglais, de trouver du travail. Les mois passèrent, mais je ne trouvais pas de travail.

Chaque matin, le journal en yiddish était distribué à la porte de notre chambre. Un dimanche matin, le 11 Chevat, les titres annonçaient le décès du Rabbi de Loubavitch, et les funérailles auraient lieu devant le 770. Je décidai d’y aller, et j’ai trouvé un ami prêt à se joindre à moi. Nous n’avions pas d’argent pour s’y rendre, mais nous avons parlé à plusieurs personnes et finalement quelqu’un nous donna de quoi payer un taxi.

Quand nous sommes arrivés au 770, il y avait là une foule immense. Par haut-parleur, quelqu’un annonça que seuls ceux qui s’étaient trempés le matin même au mikvé (bain rituel) seraient autorisés à toucher le cercueil du Rabbi. Ce n’était pas mon cas, mais je me suis quand même approché du cercueil en jouant des coudes. Quelqu’un m’arrêta et me demanda si j’avais été au mikvé ce jour-là. J’ai relevé ma manche et lui ai montré le numéro tatoué sur mon bras. « Je ne me suis pas trempé dans de l’eau – mais je me suis trempé dans le feu... » Il s’écarta et me laissa passer. Quand je parvins à toucher le cercueil, j’ai murmuré : « Rebbé, parnassa (subsistance)... » J’ai même réussi à porter le cercueil quelques pas, murmurant sans cesse : « Rebbé, parnassa ».

J’ai réussi à me rendre au cimetière et, en poussant beaucoup (après tout, je suis aussi un ‘hassid), je suis parvenu à arriver devant et à attraper une pelle. À chaque pelletée de terre que je jetais sur la tombe, je murmurai : « Rebbé, parnassa. Rebbé, parnassa... »

Après l’enterrement, j’ai été de voiture en voiture pour voir si quelqu’un pourrait me ramener à mon hôtel. À un moment j’ai entamé une conversation avec un monsieur, et je lui ai dit au passage que je cherchais aussi un emploi. Il me dit qu’il n’allait pas à Manhattan, mais il me donna une carte en disant : « Si vous voulez travailler, venez à cet endroit demain matin et vous aurez un job. »

J’y suis allé le lendemain, et j’ai travaillé là-bas jusqu’à ma retraite. Quant aux autres immigrants à l’hôtel, il leur fallut encore de longs mois avant qu’ils ne trouvent du travail...