Le commencement de notre paracha, faisant le récit, qui semble excessivement détaillé, des deux rêves de Pharaon, soulève plusieurs questions. Pourquoi ces rêves sont-ils relatés si longuement dans la Torah ? Que peuvent nous enseigner les différences entre les rêves de Pharaon et ceux de Joseph dans la paracha précédente ? Caractérisent-ils quelque contraste fondamental entre les mondes que représentent respectivement Joseph et Pharaon ? Et si oui, qu’est-ce que ce contraste implique pour nous ?

1. Les rêves de Pharaon

Le début de notre Paracha est marqué par un long récit des rêves du Pharaon – à propos des vaches et des épis de blé – et de l’interprétation qu’en donne Joseph, à savoir que ceux-ci symbolisaient les années de plénitude et les années de famine.

Pourquoi la Torah s’attarde-t-elle donc si longuement et de façon si détaillée sur ces rêves ? Le point central de l’épisode est simple : Joseph prédit les sept années de plénitude et les sept années de famine, en conséquence de quoi il est nommé vice-roi de Pharaon en Égypte. En quoi est-il important que cela ait découlé de rêves et de leur interprétation et non par d’autres circonstances ?

Même si la Torah avait tenu à souligner que c’est à travers les rêves de Pharaon que Joseph obtint cette position, elle aurait pu nous en informer sans pour autant nous en narrer tous les détails.

2. L’influence de Joseph

La réponse à ces questions est que les rêves du Pharaon doivent être compris dans leur contexte. Pharaon rêva à cause de Joseph. Dans la Paracha précédente, nous avons appris que Joseph reçut une communication divine par des rêves. Et Joseph était l’héritier spirituel de Jacob, celui qui allait apporter au monde tout ce que Jacob représentait.1 Il était ainsi une « âme collective », à travers laquelle doivent passer les émanations divines au monde, le « juste qui est le fondement du monde ». Si, pour lui, la révélation divine était parvenue par des rêves, tel devait être l’ordre du monde. Ainsi, quand une communication fut nécessaire pour le monde et pour le Pharaon, qui en était le maître,2 elle devait venir à celui-ci par le rêve.

3. Le Juif et le monde

Ces faits nous donnent une leçon fondamentale dans notre service de D.ieu. Quand un Juif doit surmonter des défis difficiles, que ce soient des attitudes ou des désirs antagonistes, il doit prendre conscience que leur véritable origine n’est pas le monde, mais en lui-même. Il n’est pas vrai qu’il doit suivre le monde, pas plus que pour vivre une vie juive fidèle, il doive faire des concessions au monde. C’est tout le contraire : le Juif crée lui-même l’état du monde dans lequel il vit. Si son Judaïsme est tempéré par une réticence intérieure, cela se reflète dans le monde qui l’environne. Mais c’est la nature du monde que de dissimuler sa source spirituelle. Dès lors, ce fait est également caché et les attitudes hostiles au Judaïsme sont ressenties comme émanant de l’extérieur, comme venant d’un monde qui essaie d’éloigner le Juif de sa foi. Mais la vérité est que c’est le Juif est lui-même qui est l’auteur de ces attitudes. S’il changeait ses propres désirs, si sa réticence laissait place à la motivation, cela transformerait également l’attitude du monde à son égard.

Cela n’est pas tout, même si nous ne trouvons pas l’origine d’un tel conflit dans le Juif lui-même parce qu’il est dénué de tout conflit en lui-même, c’est malgré à cause de lui que cela arrive. Car c’est en lui que réside le but de la création. Comme les Sages l’ont dit : « Le monde fut créé au commencement pour Israël, qui est appelé le commencement de Sa récolte.3 Et s’il refuse de se laisser vaincre par cela, cela s’avérera n’avoir aucune réalité. Parce que l’état du monde dépend de l’état du Juif dans son judaïsme.

4. Les différences entre les rêves de Joseph et ceux du Pharaon

Bien que les rêves du pharaon aient découlé du fait que Joseph rêva, ils étaient radicalement différents des siens par leur nature. Les rêves de Joseph appartenaient au domaine de la sainteté et non ceux du Pharaon. C’est pourquoi nous trouvons plusieurs différences entre eux, dans leur structure et dans leurs détails.4

Tout d’abord, les rêves de Joseph commencèrent par une image de service, celle du pain gagné par le labeur : « Nous amassions des gerbes. » Cette idée est totalement absente des rêves du pharaon dans lesquels la nourriture n’est vue comme le produit d’aucun effort. Les bénédictions qui viennent de D.ieu au Juif sont parfaites, c’est pourquoi elles doivent venir en réponse à des efforts. Car ce qui est reçu sans qu’on ait œuvré pour cela – le « pain de la honte » – manque de quelque chose : que l’homme ait eut une part dans sa création. En revanche, ce qui relève de l’extérieur du domaine de la sainteté – la nourriture dont rêva Pharaon – n’est pas totalement bon et peut parfois venir gratuitement, sans efforts.

D’autre part, les rêves de Joseph représentent une progression dans la perfection. Ils commencent par des « épis de blé », des épis individuels, séparés les uns des autres, qui deviennent des « gerbes », dans lesquelles des éléments disparates ont été réunis. Puis dans le second rêve, nous passons au soleil, à la lune, et aux étoiles, les éléments célestes. Même dans le domaine physique, les gerbes sont plus précieuses que les épis, et les pierres précieuses (l’équivalent terrestre des étoiles5), sont plus précieuses que les gerbes.

Mais dans les rêves du Pharaon, l’ordre est inversé : des vaches nous descendons aux épis, du règne animal, nous passons au règne végétal. L’ordre naturel de la séquence des rêves aurait été l’inverse, car la condition des vaches, tant les grasses que les maigres, dépend du blé riche ou pauvre dont elles se nourrissent. Au sein de chacun des rêves, on retrouve la même notion de descente ou de déclin, D’abord apparaissent les vaches grasses et le blé riche, puis les vaches maigres et 1e blé pauvre, au point que le bon est entièrement consumé par le mauvais. Et cet ordre est préservé dans l’interprétation de ces rêves. D’abord viennent les sept années d’abondance, suivies du déclin menant aux sept années de famine, jusqu’à ce que « toute l’abondance sera oubliée, et la famine consumera le pays ». (Le fait qu'après les années de famine la prospérité revint n’est pas lié aux rêves de Pharaon, mais à la bénédiction de Jacob).

5. Le sacré et le profane : la constance et le changement

Ces différences entre les rêves de Joseph et de Pharaon traduisent ce qui oppose la sainteté et son contraire. La sainteté est éternelle et immuable. Dans son domaine, s’il y a des changements, ce sont toujours des élévations, des progressions « de force en force », ce qui en vérité ne constitue pas du tout un changement, mais une réalisation plus parfaite de quelque chose d’identique. Et bien que le peuple Juif ait souffert de vicissitudes, parfois sous forme de progrès, parfois en déclin,6 ce ne sont pas de réels changements. Car le Juif porte en lui une unique mission7 et une unique foi8 : accomplir la Torah et les Mitsvot et s’élever dans la sainteté. Et puisque « là où se situe la volonté de l’homme, c’est là qu’il se trouve », de plus, puisque la descente du peuple juif a toujours pour but ultime une ascension plus grande dans une « paix éternelle », les fluctuations de l’histoire juive ne sont pas fondamentalement des changements, mais la « paix ». Une seule intention, un seul désir les sous-tendent toutes.

À l’opposé, le domaine du profane est sujet au changement, en fait, au déclin perpétuel. Car ce qui n’est pas saint n’existe pas par soi-même. C’est tout au plus un moyen pour mettre l’homme à l’épreuve et susciter en lui l’expression de tout son potentiel de sainteté. Plus l’homme surmonte l’épreuve, plus il se renforce et s’élève dans son service, et moins il a besoin d’être mis à l’épreuve. Automatiquement, l’existence du côté profane s’en affaiblit alors d’autant. « Quand celui-ci s’élève, l’autre tombe »,9 à mesure que le monde de la sainteté se renforce, celui du profane décline.

C’est là aussi que réside la distinction fondamentale entre les lumières de ‘Hanouka et les sacrifices de la fête de Soukkot. À Soukkot, soixante-dix bœufs étaient sacrifiés au cours des sept jours de la fête, représentant les « soixante-dix nations du monde ».10 Et chaque jour un nombre décroissant en était offert (de treize au premier jour, à sept au septième), représentant une diminution, ou un déclin, continuels.11 Mais les lumières de ‘Hanouka représentent la sainteté, c’est pourquoi le nombre de lumières allumé s’accroît chaque jour, car la sainteté est toujours en élévation.

6. Effort et récompense

Une leçon se dégage de tout ce qui précède. Quand une personne croit qu’elle peut recevoir des bienfaits ou des bénédictions sans effort, simplement par l’effet de certaines causes naturelles, elle peut être sûre que cette croyance émane de son « âme animale », le côté non spirituel de sa nature. Car à ce niveau, il peut en effet y avoir des bienfaits sans effort. Mais elle doit être également consciente que ce qui relève de ce domaine est sans cesse en déclin : en fin de compte, rien ne lui restera.12 Mais si, à l’opposé, elle s’efforce dans le service de D.ieu, elle peut être assurée de la promesse : « Tu t’es efforcé et tu as trouvé. » Elle « trouvera » venant du Ciel plus que ce pour quoi elle a œuvré. Et, sans cesse, elle « s’élèvera dans la sainteté ».

(Source : Likoutei Si’hot, vol. 3, p.819-822)