Tout élève ayant étudié le ‘Houmach connaît le nom de Sera’h, fille d’Acher, lequel fut lui-même l’un des douze fils de Jacob (« les Tribus d’Israël »). Elle est la seule femme dont le nom ait été mentionné parmi les enfants des douze Tribus, petits-enfants de Jacob. Son mérite a dû, en conséquence, être bien grand. Car l’aïeul avait beaucoup d’autres petites-filles dont nous ignorons les noms, à l’exception de l’une d’elles qui partage avec Sera’h ce privilège : c’est Yokhéved, fille de Lévi (mentionnée plus tard à l’occasion de la naissance de son fils Moïse). Seuls les petits-fils de Jacob sont cités nommément parmi les « soixante-dix âmes » qui se rendirent en Égypte.

Sera’h, dès sa plus tendre enfance, grandit dans la maison de son grand-père. Le vieux Jacob lui-même s’occupa de son éducation. Toute jeune encore, elle se distinguait des autres enfants par une conduite parfaite, un grand amour de D.ieu et une bonté qu’elle témoignait à tous ceux qui l’entouraient. Comme on peut l’imaginer, elle portait une affection profonde à son grand-père. Aussi quand son oncle Joseph disparut et que Jacob, le croyant mort, fut rongé par le chagrin vingt-deux années durant, Sera’h fut-elle d’un immense réconfort pour lui. Puis vint le jour merveilleux où son père et ses dix oncles revinrent, apportant la nouvelle de leur frère Joseph retrouvé. Et retrouvé, non pas esclave comme ils l’avaient craint, mais vice-roi et premier ministre du pays ! Mais de quelle manière annoncer au vieillard une chose aussi extraordinaire ? Il fallait le faire avec beaucoup de ménagement, le choc pouvait lui être funeste. De plus, la honte que, dans le secret de leur cœur, ils n’avaient cessé d’éprouver pour avoir été la cause du chagrin de leur père pendant si longtemps les paralysait maintenant. Leur seul recours fut Sera’h ; elle, et nul autre, annoncerait l’heureuse nouvelle. Elle prit sa harpe dont elle s’était abstenue de jouer en présence de son grand-père pendant toutes ces années, et commença de chanter en s’accompagnant sur l’instrument. Plongé dans sa tristesse, le vieux Jacob l’entendit. Vingt-deux années durant, aucun son de joie, aucun chant ne s’étaient fait entendre dans la maison. Que signifiait tout cela ? Il prêta l’oreille, attentif aux paroles de sa petite-fille. Et soudain, pressentant son bonheur, son cœur se mit à battre à coups précipités. Il venait de distinguer dans la mélodie de Sera’h ces mots : « Joseph est vivant ; il gouverne toute l’Égypte ! »

Encore une bonne nouvelle

C’est alors seulement que ses fils approchèrent et lui confirmèrent la nouvelle, multipliant les détails, racontant leur arrivée en Égypte en vue d’acheter des vivres, et comment le « dur » vice-roi, tel qu’il se révéla au premier contact, ne faisait que feindre tant de dureté. Il voulait éprouver l’affection qu’ils avaient l’un pour l’autre et celle qu’ils portaient à leur père ; il voulait savoir aussi s’ils regrettaient de l’avoir si froidement vendu à des caravaniers de passage. Alors, il avait jeté le masque. À ce moment, ils le reconnurent : c’était bien Joseph, leur frère ; plus âgé, bien sûr, et maintenant père de deux garçons.

Pouvait-il y avoir nouvelle plus réjouissante pour Jacob ? Des inquiétudes pourtant persistaient en lui. Il lui était difficile de croire que le jeune homme arraché à son affection à l’âge de dix-sept ans eût pu conserver intacts la crainte de D.ieu et les liens filiaux qui l’attachaient à celui qui lui avait donné le jour. Mais les frères de Joseph s’empressèrent de rassurer leur père : ses craintes n’avaient aucun fondement, son fils était resté inaccessible aux influences étrangères, qu’elles vinssent du mode de vie différent, de la puissance ou de la richesse. Au contraire, Joseph, qui était seul à tenir les rênes du pouvoir, exerçait son influence bénéfique sur tout le pays, à commencer par le palais royal même. Cette nouvelle était encore plus extraordinaire que celle qui l’avait précédée. Les dernières ombres se dissipaient, Jacob se laissa aller sans réserve à sa joie. Il sentit lui revenir le pouvoir de prophétie.

Pour récompenser sa petite-fille d’avoir été la messagère du bonheur, il la bénit en demandant à D.ieu de lui accorder et une longue vie et le pouvoir de prophétiser.

Le cercueil de Joseph

Sera’h vit, en effet, les générations se succéder. Sa longue vie lui permit de traverser de part en part les deux cent dix ans que dura l’esclavage en Égypte, jusqu’à ce que le jour vint où notre peuple quitta le pays des Pharaons. Moïse se souvint alors de la promesse faite à Joseph avant sa mort : les enfants d’Israël s’étaient engagés à emporter ses os en Terre Sainte où ils devaient les ensevelir. Mais où était donc le cercueil du prestigieux ancêtre ? Un seul témoin pouvait renseigner Moïse : Sera’h. Il alla la trouver. Elle lui révéla que les Égyptiens, après avoir mis le cadavre de Joseph dans un cercueil, avaient descendu le prestigieux fardeau au fond du Nil. Ils espéraient que la présence de sa dépouille dans les eaux du fleuve serait bénéfique à celles-ci. De plus, il serait impossible aux enfants d’Israël de le trouver, d’accomplir leur promesse et, partant, de quitter le pays.

Mais Sera’h n’ignorait rien de ces calculs. Elle conduisit Moïse au bord du Nil. Là, celui-ci lança son appel : « Joseph ! Joseph ! L’heure du départ a sonné, nous devons nous diriger vers notre Terre Promise. Nous voulons tenir notre engagement de t’emmener avec nous. Monte à la surface et ne nous retarde pas ! » Et le miracle se produisit : le cercueil monta du fond des eaux. Ainsi, pendant les quarante années d’errance à travers le désert, ouvrant la marche, deux arches cheminaient côte à côte ; l’une contenait les deux tables de pierre des Dix Commandements et l’autre, les os de Joseph. Et les enfants d’Israël aimaient à dire : « Celui qui repose dans celle-ci a accompli ce qui se trouve dans celle-là. »

La révolte de Chéva

Beaucoup d’années plus tard, sous le règne de David, un homme de la tribu de Benjamin, Chéva, fils de Bikhri, fomenta une rébellion contre le roi. Ce fut encore une fois Sera’h, disent nos Sages, qui prit une part importante dans les événements, mettant ainsi fin à cette révolte. Yoav, le grand général de David, défit Chéva ; puis mettant le siège devant la ville d’Avel-Beth-Maakhah où ce dernier c’était réfugié, il menaça de raser celle-ci si le chef de la rébellion ne lui était pas livré. Une « femme pleine de sagesse », nous est-il dit dans le second livre de Samuel, persuada les habitants de céder devant l’ultimatum du grand général. Chéva fut tué par ces derniers et sa tête jeté à Yoav par-dessus les murs. La ville échappait ainsi au désastre. La « femme pleine de sagesse », nous est-il précisé, n’était autre que Sera’h.

Les Sages qui nous le révèlent nous ont transmis beaucoup d’autres détails sur notre héroïne. La bénédiction de Jacob se réalisa et elle vécut plusieurs centaines d’années. Et même, selon certaines opinions, Sera’h ne mourut jamais ; elle fut l’une des neuf personnes qui entrèrent vivantes au Gan Éden (le Paradis).

Selon une autre tradition, Sera’h vécut jusqu’à la destruction du premier Beth Hamikdache, subissant ainsi l’exil de Babylone. Avec beaucoup d’autres Juifs, elle s’installa à Ispahan, en Perse (actuellement l’Iran), où elle mourut et fut ensevelie. Un voyageur musulman, qui vécut il y a plus de sept cents ans, nous a laissé un récit de sa visite à cette ville et de ce qu’on lui avait relaté sur les circonstances qui avaient amené les Juifs à s’y établir. Selon lui, ces derniers, fuyant devant Nabuchodonosor, emportèrent de la ville sainte un peu d’eau et de terre. Après avoir erré longtemps, ils arrivèrent à Ispahan où ils découvrirent que la terre et l’eau y avaient la même haute qualité que les leurs. Ils décidèrent de s’y installer et y établirent leurs foyers et leurs familles. Le quartier juif était appelé Al-Yahoudiyah. Non loin de cette ville qui est le jardin de l’Iran, dans un lieu nommé Ling’an, se trouve la tombe de Sera’h, que les Juifs connaissent bien.

Il y a de nombreuses années, encore qu’elle fût sacrée également pour les musulmans, cette tombe appartenait aux Israélites. Plus tard, elle leur fut enlevée par les Perses. Elle est aujourd’hui l’objet de beaucoup de récits et de légendes.