Six semaines s’écoulèrent. Barou’h passait ses jours et ses nuits à étudier intensément et, se sachant seul dans le verger, donnait libre cours à sa douce voix, chantant sans contrainte et remplissant le verger de ses harmonieuses mélodies.

Il ignorait le fait qu’Abraham venait souvent dans le verger sans être vu et, se tenant caché, écoutait pendant des heures, la façon enthousiaste dont Barou’h étudiait. Puis il s’éloignait avec précaution. Abraham vit que Barou’h n’était pas un étudiant ordinaire, mais qu’il pouvait être mis au rang des plus grands savants.

La période de mûrissement des fruits était passée et l’époque de la cueillette était arrivée.

Barou’h ne pouvait plus jouir dans le verger de la paisible atmosphère qu’il avait connue jusqu’alors. Il n’était plus seul. Les deux associés Abraham et Azriel avec leurs femmes et leurs enfants et même des gens du dehors, étaient venus dans le verger. Tous étaient impatients de commencer le travail. On plaçait des échelles contre les arbres et les fruits étaient déposés dans des corbeilles qui étaient chargées sur des charrettes pour être emportées en ville. Le verger devint bruyant et animé. Barou’h était maintenant aussi occupé que tous les autres à cueillir et à emballer les fruits. Il offrait un joli tableau avec sa personnalité attrayante et sa silhouette harmonieuse. Il était large d’épaules, bien musclé, grand, avec un visage d’une extrême beauté.

Ses yeux en particulier faisaient une grande impression. Ils étaient profonds et clairs, reflétant la profondeur et la force de caractère, le courage et l’intrépidité. On pouvait toujours discerner dans ses yeux et sur son visage une gravité pensive. Barou’h était doué d’une langue plaisante et claire. Il parlait bien et d’une voix agréablement timbrée. Il parlait aussi un polonais châtié et très courant qui surprenait plaisamment les nombreux non-juifs qui travaillaient dans le verger aussi bien que ses compagnons de travail juifs.

La récolte des fruits dura environ deux ou trois semaines, pendant lesquelles de nombreux visiteurs distingués vinrent dans le verger. C’étaient le châtelain propriétaire du verger et sa famille, comprenant son fils, sa fille et sa femme. Ils venaient offrir leurs vœux aux deux associés qui leur avaient loué le verger à bon prix. Le châtelain montra sa générosité en demandant qu’on lui prépare un panier de fruits qu’il voulut absolument payer malgré la prière des associés de l’accepter comme présent.

C’est à l’occasion de cette visite que l’attention de ces visiteurs de marque fut attirée par Barou’h. Le châtelain ne pouvait s’empêcher d’admirer la beauté physique de Barou’h, son visage exceptionnellement frappant et ses yeux pénétrants et intelligents. Quand il apprit que Barou’h parlait un polonais élégant et courant, son admiration pour lui ne connut plus de bornes. Il s’intéressait énormément à lui et il voulut connaître tous les détails de son existence, surtout quand il apprit que Barou’h était à longueur de temps gardien du verger.

Le châtelain présenta Barou’h à ses enfants, leur faisant entendre que c’était un jeune homme très remarquable. Barou’h nota bientôt que toute la famille du châtelain s’intéressait à lui. Il remarqua en particulier, et ceci fit affluer le sang à ses joues, que la fille du châtelain, qui était encore une très jeune fille, ne le quittait pas des yeux. « Et vous passez vraiment les nuits tout seul dans le verger ? », demanda-t-elle à Barou’h. Barou’h répondit d’un signe de tête, ne voulant évidemment pas entrer en conversation avec la fille du châtelain. Il répondit cependant de bonne grâce aux questions que lui posèrent le châtelain et son fils. La fille du châtelain attribua cela à la timidité et à son manque d’habitude de parler à des jeunes filles, aussi ne l’embarrassa-t-elle pas par d’autres questions et laissa la conversation à son père et son frère.

Le lendemain, le châtelain et sa famille revinrent au verger, et cette fois ils montrèrent tous sans équivoque que leur intérêt principal était centré sur Barou’h. Barou’h fut profondément étonné, non moins que les deux associés Abraham et Azriel.

« Il faudra que vous veniez nous rendre visite, dit le châtelain à Barou’h. Dans mon château, nous aurons mieux l’occasion de bavarder. » Le jeune châtelain acquiesça de la tête. Lui aussi s’intéressait à Barou’h. Sa sœur souriait, mais ne disait rien.

Barou’h ne répondit pas à l’invitation du châtelain. Le seul signe de compréhension qu’il manifesta fut une vague inclinaison de la tête, mais il garda le silence. Le châtelain et sa famille se retirèrent et Barou’h continua son travail, essayant d’oublier ce qui venait de se passer.

Pendant la journée Barou’h était occupé avec les autres à cueillir les fruits. Le soir, comme tout le monde retournait en ville, Barou’h demeura seul dans le verger. Comme de coutume, il consacra son temps à l’étude de la Torah et à l’adoration de D.ieu.