Le lendemain, avant d’aller en ville à la Synagogue, Barou’h se rendit auprès d’Abraham et lui demanda pourquoi il n’avait pas tenu sa promesse de venir dans le verger pour discuter le problème d’embaucher un nouveau gardien à sa place. Abraham ne voulait pas lui dire la vérité et aussi, il prétexta que pour certaines raisons, il lui avait été impossible de venir au rendez-vous. « Mais de toute façon, demanda Abraham, pourquoi cette hâte ? Est-ce que cela ne peut pas attendre un jour de plus ? » Abraham promit de s’occuper de la question.
Abraham, lui-même un homme juste et instruit, était intrigué par ce veilleur et se demandait ce qui avait pu le décider si soudainement à laisser son travail.
Abraham appartenait à cette classe accomplie de Juifs qui, depuis longtemps, avait reconnu l’importance pour les Juifs de devenir artisans afin de s’assurer une existence matérielle saine. Dans sa jeunesse, Abraham était renommé pour son grand savoir. Il devint le gendre d’un Juif très accompli et respecté, et demeura chez lui, nourri et logé, pendant de nombreuses années.
Après cela, le beau-père d’Abraham voulait qu’il devînt rabbin, et Abraham avait toutes les qualifications et était parfaitement digne d’une telle position, même dans la communauté la plus exigeante. Mais il ne voulait à aucun prix devenir rabbin. Il avait décidé qu’il gagnerait sa vie par un travail manuel et il se fit jardinier. Il plantait toutes sortes de plantes et les vendait à Lyozna. Plus tard, il prit un associé, nommé Azriel, et ils entreprirent non seulement les cultures maraîchères, mais aussi la location de vergers. Pendant tout son temps libre, Abraham étudiait la Torah et la ville entière de Lyozna savait qu’Abraham ne voulait pas se servir de la Torah pour gagner sa vie. Il était naturel par conséquent pour Abraham de comprendre facilement et d’estimer un jeune homme comme Barou’h. Maintenant il était clair pour lui que Barou’h était, non seulement un de ceux qui voulaient vivre de leur travail sans se faire aider par personne, mais que, de plus, c’était un mystique.
Il était curieux, cependant, de savoir la raison qui poussait Barou’h à quitter le verger où, après tout, il pouvait continuer sa manière de vivre sans être importuné et demeurer caché.
Abraham décida d’aller au fond des choses et, si possible, d’essayer de retenir Barou’h. Aussi la première question que posa Abraham à Barou’h quand il vint le voir dans le verger fut : « Pourquoi veux-tu quitter le verger ? » Barou’h répugnait à donner la vraie raison. Abraham insistait cependant et Barou’h n’eut d’autre alternative que de lui dire la vérité, c’est-à-dire que, dans l’accomplissement de sa tâche, il avait à son avis profané le Chabbat. Il s’était par conséquent imposé une pénitence et avait décidé qu’au lieu de continuer son métier de gardien du verger, qui était relativement facile, il accomplirait dorénavant de durs travaux manuels et ne s’accorderait pas de repos
Abraham était tenté d’entrer avec Barou’h dans une sérieuse discussion de la Torah, mais cela aurait été lui révéler qu’il avait découvert son secret et qu’il savait que Barou’h était un savant. Aussi Abraham décida-t-il de ne pas montrer qu’il était conscient de la supériorité de Barou’h, mais continua à lui parler en des termes simples semblables à ceux qu’employait Barou’h. Abraham cita le proverbe « Ne sois pas trop parfait », pour montrer qu’il ne faut pas pousser les choses à l’extrême. Il cita également la parole de nos Sages : « Un ignorant ne peut être pieux. » Par conséquent, quelques bonnes que soient ses intentions de ne pas profaner la sainteté du Chabbat, il ne devait pas se livrer à l’ascétisme, car cette vertu devait être laissée aux grands savants et aux esprits élevés. Ainsi, Abraham cherchait à persuader Barou’h qu’il devait revenir sur sa décision et, de la sorte, il plaçait Barou’h dans un dilemme. S’il ne voulait pas apparaître aux yeux d’Abraham comme ayant une opinion exagérée de soi et se prenant pour l’un de ces savants et de ces esprits élevés, il n’avait d’autre solution qu’admettre qu’Abraham avait raison. D’autant plus qu’Abraham pressait Barou’h de rester chez lui comme gardien, disant qu’il prendrait un non-juif pour le remplacer dans le verger le jour du Chabbat.
Barou’h n’avait pas de prétexte pour quitter son poste et il continua à être gardien du verger.
Comme ceci ne satisfaisait pas entièrement sa conscience, il décida de compenser par une plus grande étude de la Torah et une plus ardente dévotion à la prière.
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