Dans ce village vivait un prêtre catholique qui s’était mis en tête qu’il devait et pouvait convertir les Juifs au christianisme. Tout d’abord, le prêtre commença par des paroles douces et des manières amicales. À l’occasion de chaque fête publique, il réunissait tous les habitants, Juifs aussi bien que Gentils, et leur parlait du haut d’une estrade élevée sur la place du marché. Il leur disait que si les Juifs voulaient simplement adopter la foi chrétienne et se joindre aux Chrétiens, ils seraient sauvés, et qu’ensemble, Juifs et Chrétiens formeraient une communauté heureuse.
Ce langage faisait grande impression sur les auditeurs, en particulier sur les Chrétiens qui faisaient vraiment un effort pour témoigner de l’amitié aux Juifs. De leur côté, les Juifs se sentaient plus en sécurité. Mais quant aux admonitions du prêtre disant que les Juifs et les Chrétiens devaient s’unir et devenir un seul et même peuple, elles restaient lettre morte. Les Juifs restaient attachés à leur religion et les Chrétiens à la leur.
Aussi longtemps que le prêtre se borna à conseiller l’amitié des Juifs et Gentils, personne ne fut inquiet. Les Gentils sentaient qu’ils devaient suivre les instructions du prêtre, leur enjoignant clairement de traiter les Juifs à l’égal de leurs coreligionnaires. Ceci était certainement à l’avantage des Juifs et ils l’appréciaient en conséquence.
Il ne fallut pas longtemps cependant pour que les Juifs puissent voir que les belles paroles du prêtre n’étaient qu’une préparation. Il devint bientôt évident que tous ces propos d’amitié l’amenaient à demander franchement aux Juifs de se convertir. Le prêtre commença à tempêter ouvertement contre la foi juive et « prouva » que le christianisme était la seule vraie religion, et plus précisément celle qui était représentée par l’Église catholique.
Le prêtre chercha à étaler son érudition, en citant des passages de la Bible qu’il traduisait de façon à démontrer que « même l’Ancien Testament reconnaissait le christianisme ».
– Est-ce que quelqu’un peut répliquer à mes arguments ? demanda le prêtreLes Juifs instruits savaient comment réfuter de tels arguments. À travers les siècles, de célèbres dirigeants juifs eurent affaire à de telles soi-disant « preuves » offertes par des missionnaires, et les annulèrent totalement. Cependant, il semblait que, malheureusement, il n’y avait pas un Juif dans ce village de Volhynie qui fût capable de répondre au prêtre de manière convaincante. C’étaient tous des gens simples et les preuves du prêtre au langage doucereux dépassaient leur entendement. Aussi ces pauvres Juifs se trouvaient réellement dans une impasse.
Le prêtre devenait de plus en plus pressant dans son défi. Il invitait ouvertement les Juifs soit à réfuter ses « preuves » qu’il avait puisées dans la Bible, soit à abandonner leur foi juive pour se convertir au christianisme. Le prêtre, voyant qu’aucun des Juifs présents n’essayait de répondre quoi que ce soit, devint extrêmement fier de lui, pensant qu’il avait certainement battu les Juifs, même s’il ne les avait pas convaincus. Il s’attendait à donner un grand coup de filet, espérant qu’un grand nombre de Juifs se convertiraient.
Un jour, juste avant une fête chrétienne, en été, le prêtre assembla Juifs et Gentils sur la place du marché et leur parla du haut de l’estrade selon son habitude. Mais cette fois, le prêtre attaqua plus violemment la religion juive et demanda carrément aux Juifs d’embrasser la religion chrétienne. Il tourna en dérision leurs coutumes et leur foi, essayant, avec son insolence habituelle, de démontrer que la vérité ne pouvait se trouver que dans le catholicisme seulement.
– Est-ce que quelqu’un peut répliquer à mes arguments ? demanda le prêtre regardant autour de lui, certain qu’aucun des Juifs présents ne pouvait répondre.
Mais, soudain, quelqu’un se détacha du nombre des Juifs assemblés, disant d’une voix nette qu’il était prêt à répondre au prêtre. Tout le monde se retourna pour voir qui pouvait être cet homme. Et, à l’étonnement général, ce n’était nul autre que Wolf le savetier, « Wolfké-Dobri », comme l’appelaient les chrétiens, l’homme dont la plupart n’avaient jamais entendu la voix, au point que beaucoup se demandaient s’il était ou non doué de langage. « Qu’est-ce que cela signifie que lui se présente ? » se demandaient les villageois, les yeux agrandis par la surprise. Le prêtre, lui aussi, était intrigué.
– Alors, Wolf, s’écria-t-il, tu veux nous dire quelque chose ? Viens ici, sur l’estrade, et qu’on entende ce que tu as à dire. Le prêtre était évidemment certain que ce « Wolfké-Dobri » pouvait l’aider à river leur clou aux Juifs et qu’ils ne pourraient pas échapper à son emprise.
D’un pas assuré, Wolf se dirigea vers l’estrade et se mit à parler. Au grand étonnement des auditeurs, ils entendirent un langage dont ils ne l’auraient jamais cru capable. Il parlait polonais, s’exprimant en polonais clair et courant comme un vrai Polonais. Ce qui surprit le plus l’assemblée, cependant, fut ce qu’il disait. Il commença par réfuter les arguments du prêtre, l’un après l’autre, et exposa des contre-arguments qui rendaient complètement ridicule ce qu’avait dit le prêtre. Le savetier cita, en hébreu, passage après passage de la Bible, traduisant rapidement et couramment en polonais. Le plus surprenant de tout ceci était que tout le monde comprenait clairement et facilement et ne pouvait manquer de voir qu’il était dans le vrai.
Il démontra que le prêtre ne savait pas de quoi il parlait et non seulement qu’il s’était trompé dans ses références bibliques, mais qu’il avait mal traduit ou mal compris ses citations.
Le prêtre était vraiment réduit au silence. Il n’était pas de taille à se mesurer à Wolf. La discussion fut close, chacun voyant que le savetier avait vaincu le prêtre. Les Juifs étaient remplis de joie. Ils sentaient que Wolf les avait sauvés d’un grand danger. Même les Gentils ne pouvaient s’empêcher de s’émerveiller devant la soudaine révélation de ce Wolf, silencieux et apparemment inculte.
Dans le village, tout le monde se mit à la recherche de WolfLe prêtre n’osa plus insulter les Juifs et cessa ses discours publics sur la place du marché.
C’est ainsi qu’on découvrit que Wolf était un Mystique. Ses propres actes avaient dévoilé son secret, mais la nécessité impérieuse de défendre la sainteté du nom de D.ieu ne lui avait pas laissé d’autre alternative. Désormais, il n’avait pas envie de rester dans le village où tous les habitants, Juifs et Gentils, lui rendraient sans aucun doute les honneurs qu’ils penseraient lui être dus et il serait certainement obligé d’abandonner son métier de savetier. Il était absolument décidé à n’en rien faire. Il avait rempli sa mission en cet endroit et maintenant il pouvait partir.
Ceci s’était passé au milieu de l’été, avant la moisson. Au commencement du mois d’Eloul (aux environs du mois d’août), on s’aperçut que Wolf et sa femme avaient disparu.
Une nouvelle période d’exil commença pour Wolf. Il alla de nouveau à travers villes et villages, continuant calmement son métier de savetier, en des lieux où personne ne soupçonnait qu’il était autre chose qu’un homme simple, sans autre ambition que de passer son temps avec ses égaux et de gagner très modestement sa vie, justement et honnêtement.
Dans le village qu’il avait quitté, tout le monde se mit à la recherche de Wolf. On ne voulait pas le perdre, mais on ne trouva absolument aucune trace de lui. Tout le monde en était désolé. La seule exception naturellement était le prêtre qui se réjouissait grandement. Il était maintenant débarrassé de celui qui l’avait acculé au pied du mur. Il pouvait reprendre sans obstacle la tâche qu’il s’était assignée de convertir les Juifs.
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