Après son mariage, Benjamin continua ses études talmudiques, toujours sous la direction de Rabbi Joseph, c’était son père Tsvi-Aryeh qui subvenait à ses besoins. Rabbi Joseph s’était mis à montrer une disposition à s’absenter de temps à autre pour vivre dans un exil volontaire. Il partait habituellement pour des périodes d’environ six mois, puis revenait à ses devoirs de rabbin à Loubavitch.

Pendant ses absences il laissait à sa place son élève Benjamin. Dix ans s’écoulèrent ainsi. Rabbi Benjamin, vivant toujours aux dépens de son père, continuait à se consacrer à l’étude de la Torah et au service de D.ieu. Le temps vint cependant où Tsvi-Aryeh mourut et Rabbi Benjamin se trouva sans secours financier.

C’est aux environs de l’an 5496 (1736) que le rabbin de Loubavitch, Rabbi Joseph, réunit les chefs de la communauté et leur dit : « Jusqu’à présent, quand je partais en exil pour plusieurs mois, je désignais moi-même mon élève Benjamin pour me remplacer, mais maintenant j’ai l’intention de partir pour au moins deux ans. Il ne serait pas juste, par conséquent, que je sois seul à le désigner cette fois, je veux que vous le fassiez. »

Les chefs de la communauté furent tous d’accord pour reconnaître que Rabbi Benjamin était certainement digne d’être le rabbin de Loubavitch.

Avant de quitter Loubavitch, Rabbi Joseph demanda à Rabbi Benjamin de lui promettre de verser en son absence une pension à sa femme et à sa fille, qu’il prendrait sur son propre salaire. Benjamin y consentit volontiers et Rabbi Joseph put ainsi, d’un cœur léger, partir pour son exil volontaire.

Deux ans plus tard, Rabbi Joseph revint, mais ne voulut pas que son poste de rabbin lui fut rendu. Il dit que Rabbi Benjamin y avait maintenant plus de droits que lui, surtout puisque la communauté était pleinement satisfaite de son nouveau rabbin.

Que faire alors de Rabbi Joseph ? On décida à l’unanimité que la meilleure solution pour tous les intéressés serait de nommer Rabbi Joseph, le Maguid (prédicateur) et chef de la communauté.

Rabbi Joseph ne voulait pas amener les gens à la Torah par la crainte, mais plutôt gagner les cœurs par la bonté, la sincérité et surtout par la compréhension.

Rabbi Joseph montra maintenant sa compétence dans son nouveau rôle de prédicateur. Il faisait preuve, dans sa manière d’aborder les sujets, d’une originalité dont nul autre prédicateur de l’époque n’avait témoigné. Nombre d’entre eux venaient à Loubavitch de tous les points du pays. Ils prêchaient tous dans le Beth Hamidrache et leurs sermons étaient tous sur le même modèle. Ils disaient à leurs auditeurs que s’ils péchaient contre D.ieu et ne se repentaient pas immédiatement, ils seraient punis de tortures indescriptibles au purgatoire. Il n’était pas rare qu’en entendant ces avertissements et ces menaces, l’auditoire se mette à pleurer et à gémir. L’atmosphère tout entière, chez les hommes aussi bien que chez les femmes, était remplie de soupirs et de gémissements.

Telle n’était pas la manière du nouveau prédicateur Rabbi Joseph. Il ne jetait pas le feu et l’anathème sur les pécheurs. Il ne proférait pas de malédictions. Il ne parlait pas de purgatoire et ne menaçait pas des tourments de l’enfer.

Au contraire, il insistait sur la récompense glorieuse qui attendait tous ceux qui étudiaient la Torah et respectaient les commandements de D.ieu. Il ne voulait pas amener les gens à la Torah par la crainte, mais plutôt gagner les cœurs des jeunes et des vieux, hommes, femmes et enfants, par la bonté, la sincérité et surtout par la compréhension.

Rabbi Joseph était très désireux de conduire tout le monde dans le droit chemin par l’amour et la compréhension. Il disait que, à part le fait que les Juifs seraient récompensés par le Tout-Puissant pour leurs bonnes actions, en même temps ils apportaient un sentiment de satisfaction à leur Créateur. C’était vraiment une méthode entièrement nouvelle. Les paroles de Rabbi Joseph captivaient totalement les cœurs des fidèles.

De plus, quand Rabbi Joseph parlait de D.ieu, Créateur de l’univers, il ne parlait pas d’un D.ieu de vengeance, qui jette la crainte sur l’humanité, mais d’un D.ieu de miséricorde, un « D.ieu philanthrope » dont découlent l’amour et la bonté et dont le seul désir est de voir l’homme rester dans le droit chemin. D.ieu ne souhaite pas la mort des méchants et ne veut pas qu’ils soient punis pour leurs mauvaises actions, mais qu’ils se repentent et qu’ils vivent pour jouir des bienfaits du monde de D.ieu.

Rabbi Joseph excellait aussi dans sa manière d’interpréter les paroles de nos Sages et sa façon imagée de les expliquer à ses auditeurs.

Il faisait naître en eux les pensées et les idées les plus profondes et les plus belles et, par-dessus tout, il éveillait dans son auditoire un grand amour de D.ieu.

Il disait que l’amour et la crainte sont les fondations du Judaïsme, mais que l’amour l’emporte toujours sur la crainte.

« L’amour de D.ieu et la crainte de D.ieu sont deux préceptes égaux, disait-il, mais néanmoins, l’amour de D.ieu vient en premier lieu, car il est écrit : “Et tu aimeras l’Éternel ton D.ieu” et seulement ensuite : “Tu craindras l’Éternel ton D.ieu”. Ainsi, adorer D.ieu par amour a plus de valeur que de l’adorer seulement dans la crainte. »

L’effet des sermons de Rabbi Joseph sur les Juifs de Loubavitch était extraordinaire. Il transportait ses auditeurs dans un monde entièrement nouveau. Le style et le contenu de ses sermons étaient tout à fait neufs et totalement différents de ceux des autres prédicateurs de cette époque. Rabbi Joseph apportait un univers de science dans ses causeries, une puissance d’érudition. De plus, il possédait des dons oratoires captivants. Mais ce n’était pas tout. Rabbi Joseph ne se contentait pas de prêcher « la bonne manière de vivre », mais aussi il vivait ses enseignements et les mettait en pratique.

Maintenant qu’il était devenu le prédicateur de la communauté, il s’efforçait de se surpasser dans la perfection de sa personnalité et de ses actions, encore plus que lorsqu’il était le rabbin. Surtout, l’amour de Rabbi Joseph pour tous les Juifs, à quelque classe ou à quelque rang qu’ils appartiennent, se manifestait dans toutes ses actions, le rendant cher à chaque habitant juif de Loubavitch.

Ses sermons étaient toujours tissés du fil d’or de son amour pour son peuple. Il exaltait toujours ses vertus. Rabbi Joseph témoignait spécialement de son amour envers le Juif commun, humble et simple, l’ouvrier, le pauvre commerçant, et tous ceux qui travaillaient et gagnaient honnêtement leur vie.

Dans ces gens simples, Rabbi Joseph voyait la vraie beauté de la nation juive et la réelle profondeur de l’âme juive. L’opinion populaire à cette époque voulait que le Savant soit l’homme auquel une situation sociale élevée était due. Rabbi Joseph essaya de modifier cette idée et de montrer que le Juif, sincère dans sa croyance juive et sa manière de vivre, même s’il n’était pas homme de science, avait une place aussi grande dans son cœur.

Personne à Loubavitch ne savait où Rabbi Joseph avait acquis ses nouvelles idées, sa manière de vivre et la nouvelle méthode qu’il avait d’aborder les problèmes dans ses sermons. Mais tout le monde s’accordait pour dire que ces innovations avaient un effet très bénéfique sur la communauté. Rabbi Joseph avait réussi à apporter une nouvelle vie et une âme neuve dans les cœurs et les vies de la population simple et modeste de Loubavitch, qui, jusque-là, avait été tenue à l’écart.

L’influence de Rabbi Joseph sur les Juifs fut ressentie non seulement à Loubavitch, mais aussi dans les villes et les bourgades avoisinantes. Les chefs d’autres communautés, cependant, effrayés par ses idées révolutionnaires, lui interdirent de venir prêcher devant leurs fidèles. Néanmoins, Rabbi Joseph rendait fréquemment visite à des villes telles que Roudnia, Kalisk, Yanovitch, Lyozna, Doubrovna, Dobromysl, Babinovitch, Rossosno, et beaucoup d’autres où son influence était profondément ressentie et estimée.

Rabbi Joseph continuait à disparaître périodiquement et personne ne connaissait sa destination. On devinait qu’il allait vivre en exil volontaire et comme il avait pris cette habitude du vivant de son père et l’avait conservée alors qu’il était le rabbin de Loubavitch, ses disparitions ne suscitaient pas de commentaires et personne ne se souciait de découvrir son secret. Personne ne se doutait que les disparitions de Rabbi Joseph avaient un rapport quelconque avec la nouvelle doctrine du ‘Hassidisme qui avait commencé à s’implanter dans le monde juif.