En réalité, Wolf le savetier, lui aussi, était un Mystique, et l’amitié qui le liait à Benjamin avait de très hautes raisons. Personne cependant ne le savait ni ne pouvait le deviner, car les seules occasions qu’ils consacraient à l’étude commune de la Torah avaient lieu pendant leurs absences de Loubavitch, alors qu’ils pouvaient se cacher dans les forêts voisines, si propices à la solitude.

Comme Benjamin, Wolf le savetier était sans enfants. Sa femme avait été victime d’une épidémie de choléra qui avait sévi à Loubavitch et dans les villes voisines, et pendant laquelle les habitants tombaient comme des mouches. Wolf, que les autochtones prenaient toujours pour un simple ouvrier, s’était remarié avec une veuve, fille d’un tailleur de Loubavitch.

Cependant, Benjamin vieillissait. Ses jambes refusaient de le porter. Il ne pouvait plus voyager comme auparavant ni parcourir les villages dans ses tournées de colporteur. De même, sa femme s’était affaiblie en vieillissant. Ils avaient besoin de quelqu’un pour s’occuper d’eux et de leur maison, aussi prirent-ils un homme nommé Tsvi-Aryeh et sa femme Léah-Braïné ; un jeune ménage qui n’avait pas encore d’enfants.

Jusque là Tsvi-Aryeh avait gagné sa vie en tournant les meules d’un moulin à main. C’était un Juif simple et craignant D.ieu, qui vivait du travail de ses mains.

Benjamin mit une condition : ils devraient toujours maintenir table ouverte pour les voyageurs et les accueillir

On ignore si Tsvi-Aryeh était lui aussi un Mystique, ou si Benjamin le choisit seulement pour sa simplicité et sa piété. Le fait est que, non seulement Benjamin prit le jeune couple chez lui pour qu’il veille sur lui et sa femme, mais encore qu’il fit de Tsvi-Aryeh leur héritier.

Avant de mourir, Benjamin envoya chercher la ‘Hevrah-Kadicha, la Société du Dernier Devoir, et donna ses instructions en ce qui concernait ses funérailles. Il dit aussi de réserver une place près de sa tombe pour sa femme. Il légua alors sa maison, son jardin et tous ses biens à Tsvi-Aryeh et à sa femme Léah-Braïné.

Il y mit une condition cependant : ils devraient toujours maintenir table ouverte pour les voyageurs et les accueillir. Ils devraient aussi recueillir les orphelins et les élever. Benjamin exigeait de ses héritiers, au cas où ils auraient le bonheur d’avoir un fils ou une fille, de les nommer Benjamin et Sarah comme lui et sa femme.

Lorsque Benjamin en eut fini avec le comité d’enterrement et Tsvi-Aryeh, il fit appeler Wolf le savetier qui resta avec lui jusqu’à son dernier souffle.

Wolf demeura pendant plusieurs heures auprès du lit de mort de son ami, mais les secrets qu’ils se révélèrent mutuellement pendant les derniers instants de la vie terrestre de Benjamin ne furent jamais dévoilés.

Selon ses dernières volontés, les funérailles de Benjamin furent extrêmement simples, et il n’y eut pas de discours.

Un mois plus tard, sa femme Sarah mourut et fut enterrée près de son mari, selon le désir qu’il avait exprimé.

Tsvi-Aryeh et sa femme recueillirent l’héritage et exécutèrent les instructions de Benjamin. Leur maison était ouverte à tous et ils accueillaient et élevaient des orphelins comme s’il se fut agi de leurs propres enfants.

Pendant ce temps un événement s’était produit dans la vie de Wolf le savetier...