Pendant ce temps Benjamin avait voyagé de ville en ville et de village en village, arrivant finalement à Dobromysl, où personne ne le connaissait et où il n’avait pas besoin de décliner son identité.

Mais une fois, dans un Beth Hamidrache, il lui arriva d’entendre des Juifs qui parlaient de lui et de ses miracles et il en fut très troublé. Il aurait pu atteindre une très grande gloire et de grands honneurs et être reconnu pour un « faiseur de miracles », mais il ne le voulait à aucun prix. Il désirait rester ignoré et continuer sa vie de voyages, inconnu et solitaire.

Ce qui préoccupait le plus Benjamin, était le fait qu’il devrait retourner à Loubavitch où tout le monde le connaissait. Il ne pouvait plus rester dans l’ombre. Il ne pourrait plus avoir de paix, car, de tous côtés, on viendrait à lui avec des requêtes. Surtout, on lui rendrait trop d’honneurs. Évidemment, il ne pouvait éviter d’aller à Loubavitch puisque sa femme s’y trouvait ainsi que toutes leurs possessions. Aussi revint-il à Loubavitch, le cœur très lourd, comme un coupable pris « la main dans le sac ».

Fut-ce à cause du trouble qui régnait dans l’esprit de Benjamin (et il faut dire que les angoisses d’un juste ne sont pas négligées par le Très-Haut) ou pour quelque autre raison ? Un événement terrible se produisit à Loubavitch peu après le retour de Benjamin. Un immense incendie se déclara dans la ville engloutissant toutes les maisons et les bâtiments dans ses flammes. La maison de Benjamin fut aussi du nombre. L’unique Beth Hamidrache que possédait Loubavitch fut également détruit.

Tandis que tout le monde était occupé à élever des maisons, on remarqua que Benjamin semblait construire un édifice de vastes proportions

Dans cette grande catastrophe qui accabla les habitants, on oublia tout naturellement Benjamin. Et même plus tard, quand les dernières bûches incandescentes des maisons incendiées furent éteintes, que les victimes ahuries et effondrées se furent relevées du choc et employées à mettre un toit sur leur tête, on ne prêta aucune attention particulière à Benjamin. Tous les sans-abris durent se mettre au travail pour reconstruire leurs maisons. Il y avait assez de forêts près de là et ils n’avaient qu’à aller dans les bois, couper des arbres et ramener les troncs pour bâtir leurs maisons. Les Juifs qui habitaient Loubavitch à cette époque étaient très durs à la tâche. Tous pouvaient manier adroitement la hache et la scie. Ceux qui ne pouvaient pas se permettre de payer des ouvriers pour ce travail le faisaient eux-mêmes. Ainsi, les forêts retentirent de coups de hache et des voix des bûcherons. On apportait rapidement les troncs, et bientôt des maisons s’élevèrent de nouveau dans les rues de Loubavitch.

Benjamin commença lui aussi à rebâtir sa maison. C’était maintenant un vieil homme. Il n’avait pas d’enfants pour l’aider dans cette tâche, aussi engagea-t-il des ouvriers. Tandis que tout le monde était occupé à élever des maisons, on remarqua que Benjamin semblait construire un édifice de vastes proportions. Qu’est-ce que cela signifie ? se demandait-on. Est-ce que Benjamin avait l’intention de remplacer sa petite maison incendiée par une demeure aussi imposante ? On haussait les épaules. On n’osait pas poser de questions à Benjamin, et lui-même ne disait rien.

Mais quand le bâtiment fut presque terminé, on commença à se demander si Benjamin construisait bien une maison pour lui-même. Le mystère fut bientôt éclairci. Après tout, ce n’était pas une maison pour lui, mais une maison de D.ieu ! Benjamin avait construit un Beth Hamidrache.

Enfin, on comprit ce qui s’était passé. Tous avaient été si préoccupés par la construction de leurs propres maisons qu’ils en avaient oublié la nécessité d’élever un Beth Hamidrache. Ils s’en seraient probablement souciés lorsqu’ils auraient été confortablement relogés. Benjamin avait agi tout autrement, il bâtit d’abord une maison de prières. Ainsi, on se rappela sa sagesse et il fut décidé que le Beth Hamidrache se nommerait « la maison de prières de Benjamin ». On se souvenait maintenant de tout ce que Rabbi Betsalel Ouri de Polotzk avait dit de lui, et on se mit à en parler avec beaucoup d’enthousiasme. Benjamin essaya de tout démentir de façon catégorique. « Je ne suis rien de plus qu’un simple colporteur, je ne suis pas un Mystique », affirmait-il. Et comme pour les convaincre à nouveau de l’humilité de son état, il était plus affable que jamais avec tous les ouvriers de la ville, et spécialement avec Wolf le savetier, qui donnait toujours l’impression de ne pas même comprendre la signification des prières quotidiennes.