Cet article est tiré de « Séfère haSi'hoth Torath Chalom » et décrit une réunion (Farbrenguen) de Pourim, dirigée par Rabbi Chalom Dov Ber Schneerson (connu sous le nom de l'acrostiche « RaCHaB »), le cinquième Rabbi de Loubavitch, dans la ville de Rostov, sous la surveillance menaçante de l'infâme « Yevsektsya » (la section juive du parti communiste).
Nous sommes en 1920 et le régime Bolchévique vient de prendre le contrôle de la ville. Et tous nous avons une prémonition très intense de la menace qui se dresse à l'horizon.
Lorsque les Bolcheviques se rapprochèrent de Rostov, au mois de Tévet 5680 (début 1920), les membres de la famille du Rabbi Rachab envisageaient de quitter la Russie. Mais quand le Rabbi accepta finalement d'organiser les préparatifs, les Bolcheviques étaient entrés à Rostov et les plans ne purent pas être exécutés. Une fois le Rabbi m'appela dans sa chambre et me dit : « Faites savoir à mes disciples en mon nom, que je les prie instamment de ne pas venir ici, ni pour prier, ni pour écouter les discours de 'Hassidouth, non plus que pour la « Yé'hidout » (consultation spirituelle privée). En général je les prie de venir me voir le moins possible, afin d'éviter la surveillance et l'attention des Bolcheviques ». Je transmis ses désirs immédiatement, et les visites à la maison du Rabbi cessèrent en effet, sauf pour les cas exceptionnels, et même dans ces cas-là les visites furent très discrètes et secrètes. Cette situation dura jusqu'à Pourim.
La réunion de Pourim
A Pourim, nous nous sommes réunis à la maison du Rabbi pour la Séoudah (le repas de la fête). Nous apprîmes que le Rabbi allait rester avec nous quelques heures seulement pour nous donner une causerie 'hassidique et ensuite nous devions tous rentrer chez nous. Nul ne devait parler de cette réunion; les Bolcheviques avaient strictement prohibé toute forme de réunion, et une assemblée religieuse était tout particulièrement dangereuse. Une autre source de danger était la présence de plusieurs riches personnes, ce qui risquait de provoquer une suspicion encore plus grande. De plus, un couvre-feu avait été instauré, interdisant tout mouvement dans la ville dans les trois heures qui suivaient la tombée de la nuit. Il est facile d'imaginer comme nous étions gênés et prudents à cette réunion; nous étions prêts à partir immédiatement après le Repas de Pourim.
Une demie heure environ après que nous nous soyons tous assis à la table pour la Séoudah, une différence sensible se produisit dans l'humeur du Rabbi lorsqu'il commença à dire Lé'hayim à tous ceux qui étaient présents. Il semblait complètement transformé. Il prit une somme d'argent de sa poche, appela l'un des 'Hassidim et lui demanda d'apporter de la liqueur pour que tous puissent se réjouir comme il convient de le faire lorsqu'on célèbre Pourim. Puis il dit aux 'Hassidim de chanter et commença lui-même à chanter.
La maison était très exposée et les voix pouvaient être entendues à l'extérieur. Nous fûmes bouleversés par le formidable courage du Rabbi, et un fort sentiment de joie nous saisit tous lors que nous nous mîmes à chanter.
Le Rabbi nous dévisagea tous et insista que nous nous réjouissions. La Rebbetsen (l'épouse du Rabbi), qui observait cette absence totale de prudence, commença à trembler et demanda aux 'Hassidim de cesser leurs chants. Personne n'aurait eu l'audace d'aller à l'encontre des désirs du Rabbi.
Dans un monde plus élevé
Son fils – et plus tard son successeur – Rabbi Yossef Its’hak, craignait lui aussi que cette réunion ne cause quelque danger à son père. Lorsque le Rabbi remarqua sa peur, il le prit dans ses saintes mains et dit : « Yossef Its’hak, ne crains rien, on ne nous fera aucun mal, non seulement dans des circonstances secrètes, mais même lorsque nous agissons ouvertement et de façon manifeste » . L'expression du Rabbi était très émouvante, comme s'il était dans un monde plus, élevé. Il parla longuement sur des thèmes 'hassidiques, et nous vîmes bien des choses qui nous ont inspirés.
Soudain il y eut une grande agitation dans la maison, car on apprit qu'une fouille générale avait été entreprise en ville cette nuit-là. Tous les présents à la maison du Rabbi étaient très embarrassés et ne savaient comment agir. C'était vraiment une situation étrange et inhabituelle, sans précédent. Son fils semblait abattu toute la soirée. Mais le Rabbi ne permit aucune interruption de l'atmosphère de fête, ne fût-ce que pour un instant. Puis soudain nous vîmes que les Bolcheviques avaient atteint la maison. Vous pouvez imaginer la terreur qui nous prit et nous ne savions pas quoi faire. Le Rabbi ne bougea pas de sa place, il resta assis et ordonna aux 'Hassidim de rester chacun à sa place et de ne pas interrompre leurs chants, ne serait-ce qu'un court moment.
« Je ne les crains pas »
Quand les agents entrèrent dans la maison, on leur dit que la Rabbi n'avait pas le temps car il était en compagnie de ses disciples. Ils demandèrent quand ils pourraient retourner et on leur dit que dans quelques heures le Rabbi pourrait les voir.
Ils quittèrent la maison et retournèrent quelques heures plus tard. Vous imaginez la scène à ce moment-là : la joie et les chants des 'Hassidim, les bouteilles de liqueur sur les tables, de même que l'argent des contributions faites pour la Yéchiva et autres entreprises religieuses. Lorsque les 'Hassidim apprirent que les agents bolcheviques étaient de retour, ils voulurent enlever les bouteilles et l'argent de sur les tables, car toute l'assemblée était déjà bien suspecte. Mais le Rabbi déclara qu'aucun changement ne serait apporté et que tout devrait continuer comme auparavant. « En cet instant, dit-il, je ne les crains pas du tout ».
Jusqu'à quatre heures du matin
Les hommes entrèrent dans la salle et s'approchèrent de la table où se trouvait le Rabbi. Il ne les regarda même pas mais se tourna vers les 'Hassidim à ses côtés et dit : « Nous allons commencer à “parler 'Hassidouth” et ils seront complètement annihilés » Et il commença à prononcer le Maamar Réchit Goyim Amalek – « Amalek est la première des nations, mais sa fin sera une destruction totale ».
Les agents restèrent un long moment à regarder le Rabbi, puis ils s'en allèrent sans dire une parole. Le Farbrenguen continua jusqu'à quatre heures du matin.
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